Grèce : Angela Merkel désormais au centre du jeu

Par Romaric Godin  |   |  1509  mots
Que décidera Angela Merkel ?
A l'Eurogroupe, la ligne dure incarnée par Wolfgang Schäuble l'a emporté. La question est désormais de savoir si Angela Merkel soutiendra cette ligne jusqu'au bout.

Qui est « irresponsable » ? Depuis quelques jours, le gouvernement et les médias allemands prétendent avoir affaire à un gouvernement grec qui a des allures de canard à la tête coupée, avançant vers on ne sait où en zigzaguant à l'aveugle. Cette thèse a été notamment avancée lundi 16 février par le ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble qui a affirmé dans une interview qu'il regrettait que les Grecs aient un gouvernement « qui se comporte de façon irresponsable. » Ce mardi 17 février, dans son Morning Briefing, le directeur de la rédaction du quotidien Handelsblatt, proche d'Angela Merkel, dénonce après l'échec de la discussion de l'Eurogroupe, « la puberté politique » des dirigeants helléniques.

Irresponsabilité grecque ?

Le but de ces déclarations est évident : il s'agit de reporter sur le gouvernement Tsipras les conséquences d'un éventuel échec des discussions. C'est leur refus d'entrer dans une « discussion sérieuse » qui aura provoqué cet échec. Depuis les premiers jours qui ont suivi la victoire de Syriza le 25 janvier, beaucoup de dirigeants européens défendent cette vision du « manque d'expérience. » Mais, depuis ce lundi 16 février, on comprend mieux ce que signifie dans leurs esprits ce « manque d'expérience », cette « puberté politique » ou cette « irresponsabilité » : il s'agit simplement de ne pas accepter les solutions proposées par le ministère allemand des finances.

La proposition Moscovici

Selon le Financial Times, en effet, le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, qui a ensuite confirmé ce fait, aurait été prêt à signer un premier projet de déclaration proposée par Pierre Moscovici, le commissaire européen à l'Economie. Ce projet était une vraie concession accordée par Athènes aux Européens, puisqu'il évoquait une « prolongation » pour quatre mois de l'actuel programme. Les conditions étaient cependant différentes, notamment sur le respect de la souveraineté budgétaire du pays. Autrement dit, Athènes pouvait, sous conditions, commencer à appliquer son programme économique. Selon la partie grecque, cet accord avait l'assentiment de la directrice générale du FMI, Christine Lagarde et du président de la BCE, Mario Draghi. De fait, Athènes semblait donc ouverte au compromis. Avant la réunion, Yanis Varoufakis avait indiqué qu'il s'attendait à un accord à la dernière minute...

Durcissement

Pourtant, le président de l'Eurogroupe, le ministre néerlandais des Finances Jeroen Dijsselbloem, a retiré le projet Moscovici pour le remplacer par un texte se contentant de promettre de la « flexibilité » contre une extension du programme existant dans toute sa force. C'était donc faire revivre la troïka que Yanis Varoufakis avait « tué » devant les caméras et devant un Jeroen Dijsselbloem médusé. Evidemment, ce projet ne pouvait être acceptable pour un gouvernement hellénique élu sur le rejet du programme et qui cherche précisément à en négocier un nouveau. Dès lors, la position défendue par Jeroen Dijsselbloem est devenue celle de l'ensemble de l'Eurogroupe, ainsi que celle de la Commission et du FMI. Mieux même, on a présenté un ultimatum à la Grèce : acceptez l'existant ou partez ! On mesurera qui est soucieux de négocier...

Si les événements se sont vraiment produits ainsi, le président de l'Eurogroupe a choisi délibérément la politique du pire et le refus de tout compromis. Difficile ensuite de se cacher derrière l'irresponsabilité des dirigeants grecs. Du reste, même si aucun projet alternatif n'avait été présenté à Yanis Varoufakis, le projet proposé à sa signature était inacceptable et les ministres des Finances le savaient.

Qui est Jeroen Dijsselbloem ?

Jeroen Dijsselbloem a donc joué un rôle central dans cette affaire. Sa nomination début 2013 à la tête de l'Eurogroupe était théoriquement le fruit d'un compromis entre la France et l'Allemagne. Berlin acceptait la nomination d'un homme « de gauche » et Paris celle d'un allié traditionnel de l'Allemagne. Mais rapidement, le ministre des Finances néerlandais, qui a appliqué dans son pays une austérité budgétaire sévère, s'est montré un fidèle lieutenant de Wolfgang Schäuble.

Lors de la crise chypriote, en mars-avril 2013, il avait déjà joué la ligne dure et avait même « gaffé » en indiquant que le « sauvetage » de l'île était désormais un « modèle » pour les actions futures. A l'époque rabroué par ses pairs, il avait en réalité raison puisque la participation des déposants au sauvetage des banques a été retenue comme modèle pour l'union bancaire. Dans les mois qui ont suivi, Jeroen Dijsselbloem n'a jamais manqué de pointer du doigt les « mauvais élèves » budgétaires.

Avec la Finlande, et dans une moindre mesure le Luxembourg et l'Autriche, les Pays-Bas font partie des pays les plus proches de l'Allemagne dans les domaines budgétaires. S'il a agi ainsi vis-à-vis d'Athènes, ce n'est donc pas seulement pour se venger de l'humiliation subie lors de la conférence de presse du 30 janvier déjà évoquée, c'est bien parce qu'il avait le feu vert de Wolfgang Schäuble.

La vision de Wolfgang Schäuble

Dès lors, la vision de ce dernier semble l'emporter au sein de l'Eurogroupe, mais aussi au sein du gouvernement allemand. Le ministre allemand des Finances a une vision juridique de l'affaire : il existe des règles, il faut s'y tenir. Ceux qui ne veulent pas de ces règles doivent sortir de la zone euro. C'est une lecture étroite des traités, car le traité sur le MES ne se contente de préciser que toute aide doit avoir comme contrepartie un « programme d'ajustement. » Le mémorandum signé avec la Grèce en 2012 n'est donc qu'une possibilité, il n'est pas gravé dans le marbre des traités.

Mais le ministre allemand a aussi la volonté de développer la « culture de stabilité » partout dans la zone euro. Pour lui, c'est la condition sine qua non de la survie de l'euro et la crise de 2010 ne provient que des mauvais comportements des Etats. De même, pour Wolfgang Schäuble, l'échec des politiques de la troïka en Grèce ne peut être la preuve que cette politique était mauvaise, c'est bien plutôt la preuve d'une mauvaise volonté hellénique. D'où cette idée de « faire un exemple » qui permettrait, en faisant peur à tous les autres, de renforcer la « culture de stabilité » dans les pays du sud. On comprend mieux alors l'ultimatum de lundi soir : il faut rentrer dans le rang ou sortir. La « troisième voie » promue par Athènes est impossible.

La tentation du Grexit

Par deux fois, déjà, Wolfgang Schäuble a tenté d'expulser Athènes de la zone euro. Fin 2011, après la proposition de référendum de George Papandréou, il l'a proposé au ministre des Affaires étrangères de l'époque, Evangelos Venizelos qui a vigoureusement refusé. Au printemps 2012, il a plaidé encore auprès de la chancelière pour un « Grexit », mais cette dernière a refusé, craignant une contagion qui aurait mis à mal l'existence de la monnaie unique. La seule vraie question aujourd'hui est donc de savoir si Angela Merkel soutiendra jusqu'au bout la politique du pire de son ministre des Finances.

Pressions politiques contradictoires

La position intérieure de la chancelière est cruciale. L'élection à Hambourg dimanche 15 février a montré que les Eurosceptiques d'AfD pouvaient gagner des voix sur l'électorat CDU. Elle doit donc craindre toute faiblesse vis-à-vis de la Grèce. Elle sait, par ailleurs, que son vice-chancelier Sigmar Gabriel ne déclenchera pas une crise de coalition pour l'affaire grecque. La SPD n'aurait rien à y gagner dans l'état actuel de l'opinion. Angela Merkel peut donc se montrer ferme avec Athènes. Mais elle est prise en tenaille : si Alexis Tsipras ne cède pas et que la Grèce fait défaut, AfD ne manquera pas l'occasion de fustiger les erreurs de la politique européenne de la chancelière et le coût pour les contribuables allemands. Sa position est donc délicate.

Le choix d'Angela

Même constat quant aux conséquences du « Grexit. » Certes, à la différence de 2012, l'expulsion de facto de la Grèce ne déclenchera pas immédiatement un effet domino. Mais il ne sera pas sans conséquences, ni à moyen, ni à long terme, y compris pour l'Allemagne. L'euro ne sera plus irréversible et cela place une épée de Damoclès sur l'avenir de la monnaie unique. Là encore, le choix n'est pas simple. La meilleure solution pour Angela Merkel est donc que tout continue pour avant l'élection de Syriza. Voilà sans doute pourquoi elle a laissé Wolfgang Schäuble avancer sur sa ligne dure. En espérant qu'Athènes prenne peur et cède. La politique allemande est conduite par un refus de reconnaître dans les faits l'élection du 25 janvier. Mais ce déni rattrapera immanquablement la chancelière qui, au dernier moment, devra faire ce choix décisif pour l'avenir de l'Europe : laisser ou non agir son ministre des Finances.