WorldCom, nouvel Enron ?

La crainte de voir le géant des télécommunications américain WorldCom se transformer en nouvel Enron, qui agite Wall Street depuis plusieurs mois, était hélas fondée. Car le deuxième opérateur de communications longue distance des Etats-Unis se retrouve aujourd'hui plongé en plein scandale financier, contraint de tailler dans ses effectifs et entraîné dans une chute boursière spectaculaire.Mardi soir, WorldCom a annoncé le licenciement de son directeur financier, Scott Sullivan, après la découverte d'irrégularités comptables ayant porté au total sur 3,85 milliards de dollars. L'affaire l'obligera à réviser ses comptes annuels 2001 ainsi que les résultats du premier trimestre 2002. Selon le groupe, certaines dépenses d'exploitation ont été comptabilisées comme des investissements, au cours des cinq derniers trimestres, en désaccord avec les normes comptables GAAP, dans le but évident d'augmenter le cash flow publié. Le montant de ces "transferts" a atteint 3,055 milliards de dollars en 2001 et 797 millions sur les trois premiers mois de cette année. Sans ces transferts, admet WorldCom, l'Ebitda (excédent brut d'exploitation) du groupe n'aurait atteint que 6,34 milliards de dollars sur 2001, au lieu des 8,08 milliards annoncés, et 1,37 milliard pour le premier trimestre 2002, au lieu de 1,8 milliard. Ces manipulations comptables sont d'"une amplitude sans précédent", a estimé mercredi soir la SEC, commission américaine des opérations boursières, dans un bref communiqué. La SEC a aussi assuré les investisseurs qu'elle allait "vigoureusement enquêter sur les circonstances de cette affaire liée à la véracité des résultats financiers de WorldCom". Le groupe, qui a changé de PDG fin avril - Bernie Ebbers ayant été poussé dehors par ses administrateurs après avoir reçu des prêts du groupe - était déjà visé par une enquête de la SEC. Celle-ci va redoubler d'efforts : elle a déjà demandé aux dirigeants actuels de WorldCom de venir s'expliquer, sous serment, sur les circonstances ayant conduit au limogeage de Scott Sullivan. Pour l'instant, l'heure est au sauve-qui-peut chez WorldCom : un nouveau plan social va être mis en oeuvre dès vendredi pour supprimer 17.000 emplois, soit plus de 20% des effectifs. L'objectif est de réduire les dépenses de 900 millions de dollars en rythme annuel. Au-delà, WorldCom va de nouveau sabrer dans ses programmes d'investissement, déjà réduits ces derniers mois : cette fois-ci, les coupes représentent 40% des dépenses prévues et ramèneront les investissements annuels à 2,1 milliards de dollars en 2003. Enfin, de nouvelles cessions d'actifs non-stratégiques devraient permettre d'économiser 700 millions de dollars supplémentaires. Parmi les activités dont la cession est mise à l'étude figure la revente de téléphonie mobile et certaines filiales sud-américaines. Au total, John Sidgmore, le nouveau patron du groupe, veut générer 2 milliards de dollars d'économies en année pleine.Ce nouveau scandale éclate alors que WorldCom, qui a accumulé une dette de 30 milliards de dollars, négocie avec ses banques une nouvelle ligne de crédit de 5 milliards. Le groupe précise cependant que la révision en cours des comptes annuels 2001 et de ceux du premier trimestre 2002 n'aura pas de conséquences sur sa trésorerie et "n'affectera pas les clients et les services de WorldCom". Il ajoute qu'aucune dette n'arrive à échéance au cours des deux prochains trimestres. "Je veux assurer nos clients et salariés que l'entreprise reste viable", a souligné John Sidgmore. Les analystes financiers ne sont pas aussi convaincus : dans une étude publiée ce matin, la banque Robertson Stephens estime qu'"un dépôt de bilan est très probable dans les douze prochains mois". Et révise son opinion sur l'action à "performance inférieure à celle du marché", au lieu d'"achat fort".Dans l'après-midi, c'est au tour de l'agence de notation financière Standard and Poor's de montrer sa défiance à l'égard du groupe, en faisant passer sa note de "B+" à "CCC-", soit quatre échelons de moins. L'agence n'exclut pas de dégrader à nouveau l'entreprise si elle le juge nécessaire. "Ces événements accroissent la probabilité d'une restructuration de la dette ou d'une mise sous la protection de la loi sur les faillites", a justifié l'analyste Rosemarie Kalinowski.Après Enron et les différentes enquêtes de la SEC, cette nouvelle affaire fait directement réagir en haut lieu. Qualifiant les éventuelles malversations du groupe de "scandaleuses", George W. Bush lui-même a certifié lors d'un point presse à l'occasion du G8 que WorldCom ferait l'objet d'une enquête fédérale. A Wall Street, ces annonces ont évidemment fait l'effet d'un nouveau choc, qui rappelle étrangement les débuts de l'affaire Enron l'automne dernier. D'autant que les comptes 2001 de l'opérateur de télécoms ont été audités par... Andersen, le cabinet au centre du scandale Enron, remplacé depuis par KPMG. En pré-ouverture du Nasdaq, l'action s'effondrait littéralement, tombant sous les 10 cents dès les premières minutes d'échange, soit une baisse de 88% sur le cours de clôture d'hier soir. La cotation du titre a alors été suspendue à 9 cents. Le titre de MCI restait suspendu également.Mais au-delà du seul cas WorldCom, ce sont tous les marchés qui sont une nouvelle fois ébranlés par ce scandale, qui attise les craintes sur la sincérité des comptes des grandes entreprises, comme le montre le mouvement de panique générale observé ce matin sur les marchés asiatiques et européens, tout comme le nouvel accès de faiblesse du dollar (lire ci-contre).
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