La chasse aux sorcières comptables

Le scandale Enron, à l'automne dernier, avait déjà sérieusement ébranlé les piliers du capitalisme, au point que certains observateurs parlèrent d'un "11 septembre financier" ayant sapé la confiance envers les patrons, les auditeurs, les analystes, voire les autorités boursières. Depuis, les investisseurs traquent la moindre bizarrerie qui pourrait dissimuler un odieux tour de passe-passe comptable. WorldCom est venu aggraver la psychose la semaine dernière, suivi de Xerox. A qui le tour ? Si Bush avait plus ou moins fermé les yeux sur l'affaire Enron, gros contributeur de sa campagne électorale, le président américain a cette fois-ci pris des accents de shérif pour promettre "la tolérance zéro" pour les PDG véreux : "le gouvernement fédéral sera vigilant et poursuivra les coupables" et "s'ils ont eu un comportement criminel, ils feront de la prison." Qualifiant de choquants et scandaleux les agissements des dirigeants de WorldCom, Bush veut en finir avec de tels comportements qui déshonorent l'Amérique. Certains vieux routiers de la finance restent ébahis devant une telle naïveté : le "window dressing", selon l'expression des anglo-saxons, n'est pas né d'hier. Il s'agit tout simplement de, littéralement, "bien décorer la vitrine", c'est-à-dire s'arranger pour que les chiffres soient le plus présentables possible. On connaît même le phénomène inverse, lorsque, par exemple, un nouveau PDG "charge la barque" pour noircir le bilan de son prédécesseur et se laisser une belle marge de progression pour l'exercice en cours. Certes, aujourd'hui l'ampleur de cet habillage des comptes donne le vertige et fait peur. Mais un analyste aguerri met en garde : si l'on se prend à chercher toutes les petites astuces comptables, on en trouvera partout et chez tout le monde, même chez les plus irréprochables Blue Chips. Et une grande partie du métier d'analyse revient précisément à retraiter, décrypter les chiffres fournis par les entreprises aux acceptions changeantes : pro forma, progression à périmètre comparable, croissance organique mais intégration des acquisitions, exceptionnels en réalité récurrents, etc. Bienvenue dans l'ère du puritanisme comptable. Certes, on ne peut que se réjouir de voir condamner malversations, fraudes avérées et autre mensonges organisés, et codifier davantage certaines pratiques. Mais attention aux abus de cette nouvelle chasse aux sorcières. Il ne faudrait pas qu'elle aboutisse aux mêmes condamnations hâtives et souvent sans appel caractéristiques du Mac Carthysme : il est facile de jeter le soupçon, et les hedge funds, amateurs voire initiateurs de rumeurs, s'en délectent. Mais les dégâts provoqués sont souvent très longs à réparer.
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