L'économie américaine, une euphorie sans lendemain ?

"Une récession profonde conduit à une forte reprise". De cet axiome souvent cité par les économistes, faut-il déduire qu'une récession légère conduit nécessairement à une reprise molle? Cette question, qui a agité les milieux économiques penchés sur le cas des Etats-Unis, semble aujourd'hui tranchée. Ce qui l'est moins, c'est la manière dont la première économie mondiale va négocier le tournant de 2005. Les obstacles sont en effet nombreux et pour n'en citer que quelques-uns, on citera la réduction nécessaire du déficit budgétaire et le relèvement annoncé des taux d'intérêt. L'économie américaine affiche pour l'heure une santé insolente : au troisième trimestre 2003, le produit intérieur brut a progressé de 8,2% en rythme annualisé et pour les trois derniers mois de l'année, la première estimation du département du commerce ressort à 4%. La majorité des économistes parie sur une certaine vitalité en 2004 puisque selon le consensus, la première économie mondiale devrait afficher une croissance de l'ordre de 4,4%, soit un rythme supérieur au potentiel. Guillaume Baron, économiste à la Société Générale, se montre pour sa part très confiant. Prévoyant une croissance de 4,5% cette année, il considère que la reprise outre-Atlantique continuera "d'être alimentée par la consommation avec des entreprises qui prennent le relais par le biais des investissements". La "Job Machine" redémarreDe fait, les chiffres diffusés pour le troisième trimestre 2003 ont montré ce retour sur le devant de la scène des groupes américains. Sur la période concernée, l'investissement non résidentiel a progressé de 14% en rythme annualisé. Cette évolution doit beaucoup aux taux d'intérêt très bas et à la restauration de la profitabilité des entreprises. La direction des études économiques de BNP Paribas note par exemple qu' "au troisième trimestre, les profits - corrigés de la dépréciation du capital et de la valorisation des stocks - ont progressé de 56% en terme annualisé". Et d'ajouter un chiffre symbolique : les profits dépassaient les 1.000 milliards de dollars, atteignant 9,1% du PIB, soit un plus haut de cinq ans. Selon Guillaume Baron, le mouvement vers l'investissement ne devrait pas s'interrompre dans la mesure où les entreprises disposent de capacités de financement suffisantes, environ 80 milliards de dollars.Si cette amélioration très marquée des profits doit beaucoup à vigueur de la demande finale intérieure et à la baisse du dollar qui a permis à certaines entreprises de bénéficier de relais de croissance à l'étranger, elle est aussi le fruit des efforts de restructuration consentis par les entreprises. Des réductions de coûts qui se sont notamment traduites sur le marché du travail : 2,5 millions d'emplois ont été supprimés aux Etats-Unis entre mars 2001 et le troisième trimestre 2003. Une inscription dans la durée de la reprise de l'investissement devrait donc profiter à l'emploi - si cette hypothèse ne se vérifiait pas, alors Guillaume Baron estime que c'est "l'ensemble du scénario de reprise qui viendrait à s'effondrer". Martine Aubert, directrice des études économiques au CCF, écarte d'emblée un tel risque. Jugeant "la conjoncture très soutenue", elle parie sur "une amélioration de l'emploi au printemps". Même si le mouvement semble plus mesuré dans l'industrie, "c'est déjà reparti très fort dans l'informatique", signale-t-elle. La "job machine" redémarre, mais à quel rythme? Renouer avec le dynamisme de la fin des années 90 paraît impensable. A l'époque, on enregistrait la création de 300.000 emplois par mois. Chez Natexis Banques Populaires, Marc Touati évoque des créations d'emplois dans les services proches de 150.000 et de 25.000 dans l'industrie. Selon lui, le taux de chômage aux Etats-Unis pourrait retomber à 5% à la fin de cette année. L'essoufflement de la consommation se profileCette question de la reprise de l'emploi est cruciale dans la mesure où elle détermine la bonne tenue de la demande. Rappelons qu'aux Etats-Unis, les dépenses de consommation représentent les deux tiers du PIB. Or pour certains économistes, plus pessimistes que ceux qui viennent d'être cités, il n'est pas acquis que le passage de témoin entre la consommation et l'investissement se déroule sans heurt. Pour les équipes du Crédit Agricole, qui tablent sur une croissance 2004 d'à peine 3,3% - soit inférieure au potentiel, généralement estimé à 3,5% - la contribution de la consommation au PIB devrait se réduire, voire être "négative par moments". Cet essoufflement serait provoqué par la disparition annoncée de certains facteurs stimulants : cadeaux fiscaux, primes automobiles, taux d'intérêts extrêmement bas...Marie-Pierre Ripert et Evariste Lefeuvre, économistes chez CDC-Ixis, partagent cette prudence. Dans une note récente, ils estimaient à seulement 3,8% la croissance américaine cette année. Pour eux, si les politiques économiques vont rester "extrêmement accommodantes" au premier semestre en raison de nouvelles baisses d'impôts, d'un statu quo durable sur les taux et de la dépréciation du dollar, ils jugent les relais de croissance "bien minces" pour anticiper une croissance encore forte en deuxième partie d'année.Dans ce contexte, il sera intéressant d'observer l'attitude de la Réserve fédérale (Fed). Le moment et l'ampleur du premier relèvement des taux d'intérêt - et en corollaire, la réaction des marchés - sont sans doute l'un des grands points d'interrogation de l'année en cours. Pour Martine Aubert, ce premier relèvement du loyer de l'argent, de 25 points de base, devrait intervenir entre l'été et l'automne : "bien expliquée, cette hausse pourrait avoir un effet positif sur les marchés, les convainquant de la pérennité de la reprise". De plus, cette mesure aurait le mérite de répartir sur 2004 et 2005 les conséquences attendues d'un resserrement de la politique monétaire d'une part, et d'un rééquilibrage de la politique budgétaire d'autre part. Résorber les déséquilibresCette question de la réduction des déficits devrait d'ailleurs animer la campagne électorale aux Etats-Unis. Selon les derniers chiffres publiés cette semaine, le "trou" dans les finances de l'Etat fédéral américain se monterait pour cette année à 477 milliards de dollars. Le calendrier électoral pourrait d'ailleurs quelque peu parasiter l'action de la Fed. Par tradition, cette dernière répugne à agir durant cette période, refusant que ses décisions soient utilisées par l'un ou l'autre camp. Malgré tout, une fois la reprise avérée, les autorités monétaires américaines ne pourront retarder plus longtemps un durcissement des conditions de financement. Lors du conseil de politique monétaire du 28 janvier, la Fed a d'ailleurs amorcé un virage dans sa communication: la fameuse référence à la "période considérable", utilisée depuis le mois d'août (durant laquelle la Fed est censée maintenir une politique accommodante) a été retirée et remplacée par : "Le comité estime qu'il peut être patient avant de lever sa politique accommodante". Cette évolution dans la terminologie a pour objectif de préparer les esprits et les marchés à des taux plus élevés. Ce mouvement vers plus de rigueur budgétaire et monétaire devrait entraîner une remontée du dollar - le billet vert, après avoir flirté avec 1,30 pour un euro en ce début d'année reviendrait vers 1,15 selon les équipes de Natexis. Cette tendance pourrait freiner les entreprises américaines dans leur élan, ce qui devrait se traduire par un ralentissement de l'économie américaine. Cet atterrissage, nécessaire pour résorber les déséquilibres actuels (déficits budgétaires et commerciaux, endettement des ménages), devrait commencer à se faire sentir dès la fin de 2004 et être plus net en 2005. L'année prochaine, la croissance pourrait s'établir autour de 3%, estiment de nombreux analystes. Un tel scénario provoque quelques inquiétudes de ce côté-ci de l'Atlantique. Car si les Etats-Unis peuvent très bien s'accommoder d'un tel rythme d'activité, on peut s'interroger sur les conséquences de ce ralentissement pour l'économie européenne, toujours à la traîne de la locomotive américaine. Il suffit de jeter un oeil dans le rétroviseur pour frémir : en 2003, la croissance américaine ressort selon les derniers chiffres connus à 3,1% et en France l'activité aura été tout juste supérieure à zéro.
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