Marc Fleury, de JBoss : "l'essor de l'Open Source ne fait pas plaisir à tout le monde"

Itinéraire de Marc Fleury, le fondateur de JBoss, un éditeur de serveurs d'application et de logiciels d'infrastructure qui a été repris par Red Hat, le leader du système d'exploitation Linux pour l'entreprise. Il répond aux questions de la Tribune.

Il y a quatre ans Marc Fleury, le fondateur de Jboss, distribuait des tracts à l'intérieur de la fameuse conférence JavaOne de Sun Microsystems à San Francisco. "Si vous cherchez un bon serveur d'application Open Source, connectez-vous sur JBoss.com", proposait le tract.

Alertés par les employés de Sun Microsystems, les agents de sécurité ont éconduit Marc Fleury mais il a continué à distribuer ses tracts à l'entrée de la conférence. Le serveur d'application est un dispositif logiciel qui permet à des applications de fonctionner plus rapidement. C'est une partie d'infrastructure critique des systèmes d'information. Les grands noms du secteur s'appellent IBM, avec Websphere, et BEA Systems avec Weblogic, et aussi ... JBoss.

Car en quatre ans, les choses ont bien changé. JBoss est monté en puissance. Son logiciel a été de plus en plus utilisé et a stimulé une communauté de développeurs autour de ses solutions. Finalement, la start-up a été racheté il y a six mois par Red Hat pour 350 millions de dollars. Red Hat, leader du système d'exploitation Linux pour l'entreprise, a démontré la validité du modèle Open Source. En gros, il s'agit de mettre au point un bon logiciel avec une communauté de programmeurs, de le mettre à disposition sur Internet et d'essayer d'en monétiser les téléchargements en vendant des abonnements à des services de support et de maintenance.

"Notre code est téléchargé par des millions de personnes, souligne Marc Fleury. C'est un excellent moyen d'acquérir de nouveaux clients. En moyenne, nous dépensons 30 cents pour chaque dollar de maintenance récupéré alors que la concurrence (logiciel propriétaire) dépense 3 dollars pour ce qui se transforme en 1 dollar de maintenance. Le downside est que nous ne monétisons que 3% de la base client pour Jboss et 10% pour Red Hat".

Cependant, le "downside" mentionné par l'entrepreneur se traduit par des chiffres intéressants. Pour l'exercice fiscal en cours, la banque d'affaires CIBC estime que Red Hat devrait dégager un bénéfice net de 98,4 millions de dollars sur un chiffre d'affaires de 340,9 millions (+49%).

Cette année, Marc Fleury est retourné à JavaOne, cette fois invité en personne par Jonathan Schwartz, le patron de Sun Microsystems. Il y a prononcé le discours d'ouverture de la conférence. Aujourd'hui, le monde Open Source est en ébullition. Sun Microsystems a apporté son langage Java à l'Open Source. Microsoft et Novell ont passé un accord croisé de partage de leur propriété intellectuelle et de travail sur l'inter-opérabilité de leurs solutions. Enfin, Oracle, qui est un grand promoteur de Linux (puisque cela nuit à son concurrent Microsoft) propose un service de maintenance qui est deux fois moins cher que celui de Red Hat. Marc Fleury, qui a réuni ses clients européens à Berlin, apporte un éclairage sur le paysage de l'Open Source.


La Tribune : Existe-t-il un fil conducteur entre les annonces de Sun Microsystems, Oracle, Microsoft et Novell ?
Marc Fleury : A priori non, ces annonces ne sont pas connectées mais celles de Microsoft et d'Oracle sont de même nature. Lorsque JBoss a été racheté par Red Hat, Ron Hovsepian, le patron de Novell a été voir Microsoft pour négocier un accord. Quant à Oracle, certaines personnes disent que Larry Ellison n'est pas content car il n'a pas pu racheter JBoss. Sa proposition viserait à empêcher que Red Hat grandisse trop vite. Notre rachat par Red Hat a certainement démontré que l'Open Source prend rapidement de l'ampleur et cela ne fait pas plaisir à tout le monde.

- Que penser de l'apport de Java à l'Open Source par Sun Microsystems ?
- C'est une très bonne chose. Cela faisait longtemps qu'on en parlait avec Sun et nous sommes ravis qu'il le fasse avec une licence GPL (General Public License, qui codifie l'utilisation des logiciels Open Source). Elle permet à Sun de continuer à percevoir des revenus de licence dans le monde des téléphones portables. Pour nous, cela ne change pas grand-chose mais nous obtenons un moteur java en Open Source et nous allons pouvoir le faire progresser. A mon avis cela donne 50 ans de vie de plus à la licence Java. Avant l'annonce de Sun, Java était perçu comme une licence ouverte en terme de spécification mais fermée en d'implémentation. Nous allons certainement l'intégrer dans nos produits.

- L'échange de royalties entre Microsoft et Novell ?
- C'est une des attaques au niveau légal les plus intéressantes. Le message de Microsoft est le suivant : sur toute les distributions Linux, on ne vous dit rien, mais vous êtes sain et sauf si vous acheter une licence chez nous, sinon vous n'êtes pas couvert. Microsoft se garde bien de dire qu'il possède les brevets Open Source, sinon cela serait suicidaire de sa part. Contrairement à l'attaque d'Oracle, qui ne me fait pas très peur, celle de Microsoft est inquiétante car nous ne possédons pas d'arsenal nucléaire pour y répondre. D'un autre coté, cette attaque engage des sociétés comme Oracle et IBM. Nous, nous ne pouvons pas répondre. Microsoft a décidé de créer cette menace larvée mais on ne sait pas si cela va fonctionner avec le marché.


- Selon vous, Oracle n'est pas une menace pour Red Hat ?
- L'attaque de Larry Ellison est destinée à changer la perception des investisseurs par le biais des analystes financiers et de la presse. Au niveau support, on fait du bon travail et nos clients sont contents. L'annonce d'Oracle me fait penser au premier épisode de la guerre des étoiles, lorsque Harrison Ford joue aux échecs avec Chewbacca. Vous pouvez jouer aux échecs avec un Wookie mais il faut surtout faire attention à le laisser gagner.


Bio expressde Marc Fleury
1968 : Naissance à Paris
Diplômé de l'école Polytechnique, fait son service militaire dans les parachutistes avec le grade de lieutenant.
1996 : travaille pour Sun Microsystems puis pour SAP.
1999 : lance le serveur d'application JBoss Application Server dans le garage de ses beaux-parents, à Atlanta.
2001 : création de JBoss Group pour vendre des services de formation et de maintenance.
2004 : Création de JBoss Inc. avec l'entrée de venture capitalist (Accel Partners, Intel Capital et Bain Capital).
2006 : vente de JBoss à Red Hat pour 350 millions de dollars

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