Clemenceau : "Un imbroglio judiciaire qui va entraîner de gros surcoûts pour l'Etat français..."

Françoise Labrousse, avocate spécialiste des questions d'environnement du cabinet d'avocats Jones Day, analyse l'écheveau des procédures judiciaires engagées au sujet du sort du porte-avions.

latribune.fr.- L'arrêt du Conseil d'Etat et la décision du président de la République de faire revenir en France le Clemenceau mettent-ils un terme aux procédures judiciaires dans cette affaire ?

Françoise Labrousse.- Certainement pas, il y a encore plein de procédures en cours. D'abord, le Conseil d'Etat ne s'est prononcé que sur la suspension de la décision du transfert de la coque du navire en Inde, il n'a pas pris de décision définitive. C'est désormais au tribunal administratif de Paris qu'il appartiendra de se prononcer sur la légalité de cette décision de transfert, ce qui prendra plusieurs mois.

Il faut également noter que le Conseil d'Etat n'a pas décidé, contrairement à ce que demandaient les associations, d'ordonner le retour en France du navire, c'est Jacques Chirac qui a pris cette décision.

Le fait que le Clemenceau revienne en France va-t-il rendre inutile une décision sur le fond du tribunal administratif ?

Pour cela, il faudrait que les associations qui sont à l'origine de la procédure retirent leur requête. Mais il est probable qu'elles voudront une décision sur le fond, entérinant notamment le fait que la coque du Clemenceau doit être qualifiée de déchet au sens du règlement du Conseil des Communautés européennes du 1er février 1993 et de la directive du 15 juillet 1975 relative aux déchets, ce qui exclurait définitivement son transfert à l'extérieur de l'Union européenne. La procédure du tribunal administratif va donc vraisemblablement se poursuivre. Toutefois, il est possible, si la coque est effectivement rapatriée en France, que le tribunal considère que la demande des associations est devenue sans objet.

Qu'en est-il des procédures internationales, en Europe et en Inde ?

Dès l'instant où le navire ne va pas en Inde, la Commission européenne pourrait renoncer à ouvrir une enquête, comme elle en avait exprimé l'intention. Quant à la Cour suprême indienne, sa décision de demander une nouvelle expertise visait à ménager l'Etat français. Sa décision finale sur l'entrée du Clemenceau dans les eaux territoriales indiennes perd tout intérêt dès lors que l'Etat français a décidé que le navire n'irait pas dans le pays.

Restent les procédures lancées par l'Etat français contre Technopure, le sous-traitant chargé du premier désamiantage du navire en France...

Cette procédure là va continuer. Les conclusions de l'enquête demandée par l'Etat français pourront être invoquées par celui-ci dans le contexte du litige commercial concernant les contrats passés entre l'Etat, la société SDI qui a repris le navire et son sous-traitant Technopure.

Le problème de la détermination des responsabilités entre ces différentes parties sera de faire le tri entre les inexécutions de leurs obligations invoquées de part et d'autre. L'Etat poursuit Technopure pour ne pas avoir rempli correctement ses obligations de désamiantage, avec notamment la différence constatée entre les quantités d'amiante que la société dit avoir retirées du Clemenceau et celles qui ont été enregistrées en décharge. De son côté, SDI va sûrement reprocher à l'Etat de ne pas avoir rempli ses propres obligations. SDI devait se rémunérer en vendant le métal du navire en Inde. En fait, SDI doit désormais supporter des retards, des surcoûts liés au remorquages successifs et n'aura semble-t-il finalement pas de métaux à vendre... Il y aura donc vraisemblablement un partage de responsabilités entre toutes les parties en cause. Et très certainement des indemnités à payer par l'Etat.

Signalons enfin d'autres procédures en cours: le tribunal de grande instance de Versailles a désigné des experts pour déterminer la quantité d'amiante qui demeure dans le Clemenceau. Au vu de leur rapport, les associations pourraient lancer de nouvelles actions en justice...

Comment en est-on arrivé là ?

Il semble qu'il y ait eu une série de dérapages dans les contrats successifs qui ont été signés. A l'heure actuelle, le problème de fond est que personne n'est capable de dire combien d'amiante a été retiré du navire et combien il en reste. Le fait que l'Etat ait été incapable de donner une estimation claire a certainement joué contre lui devant le Conseil d'Etat.

De plus, la question qui doit désormais être tranchée, c'est de savoir si la coque du porte-avions est un déchet ou pas, au sens de la réglementation européenne. C'est sur ce point que le tribunal administratif sera amené à se prononcer. Les textes peuvent être interprétés dans les deux sens, et il sera intéressant de voir si le tribunal confirmera la position du Conseil d'Etat, qui a estimé qu'il s'agissait bien d'un déchet.

En tout cas, cet imbroglio va certainement entraîner de gros surcoûts pour l'Etat français...

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