"Le resserrement de la politique monétaire américaine s'achève"

Evariste Lefeuvre, économiste chez Ixis, estime que, pris en étau entre le ralentissement conjoncturel et l'inflation, le président de la Fed Ben Bernanke va procéder à un dernier tour de vis du taux directeur en juin. Selon lui, l'inflation devrait ralentir naturellement, étant donné la faible progression des salaires et le niveau peu alarmant des taux d'utilisation des capacités de production.

latribune.fr - Alors que les marchés s'inquiètent d'une politique monétaire restrictive qui pèse sur la croissance, où en est Ben Bernanke?

Evariste Lefeuvre - La position de Ben Bernanke est aujourd'hui particulièrement délicate. Non seulement il succède à l'éminent Alan Greenspan, mais il est arrivé à la tête de la Réserve fédérale à un moment crucial, à la fin du cycle de normalisation monétaire. L'économie américaine présente les symptômes classiques de fin de cycle avec des signes de ralentissement conjoncturel et d'accélération de l'inflation. Bernanke doit asseoir sa crédibilité sans réagir excessivement à ce traditionnel dilemme. Le pilotage à vue est donc particulièrement difficile à gérer.

Compte tenue d'une inflation sous-jacente de 2,4% en mai, la Réserve fédérale (Fed) doit-elle franchement durcir le ton?

Ce n'est pas notre scénario. Même si le "core PCI deflator", l'indicateur d'inflation que suit de près la Fed, est supérieur à la fourchette de 1 à 2% tolérée par Ben Bernanke, la Fed pourrait tenir compte du caractère atypique de la situation. De fait, le partage de la valeur ajoutée s'est fait au détriment des salaires ces dernières années, et ce sont les entreprises qui profitent principalement de la croissance. En dépit du très faible taux de chômage de 4,6%, l'évolution des coûts salariaux unitaires est incompatible avec le déclenchement d'une spirale prix-salaires.

Autre source majeure d'inflation endogène, le taux d'utilisation des capacités de production (TUC) atteint également des niveaux inquiétants...

A 80,7%, ce taux est en effet légèrement supérieur à sa moyenne historique. Mais il est bien loin des 84% atteints durablement dans la seconde moitié des années 1990. De plus, le secteur secondaire ne représente plus aujourd'hui que 25% de l'économie américaine et le rôle croissant des importations dans ce secteur amenuise les tensions créées par la demande.

Quel est le scénario central des économistes?

Les contrats à terme sur Fed Funds traduisent une anticipation de hausse du taux directeur américain d'un quart de point lors de la prochaine réunion de politique monétaire du 29 juin. Le discours de Ben Bernanke jeudi dernier, qui s'est inquiété de la hausse des prix de l'énergie, a également laissé peu de doute sur ce point.

Et après?

Le consensus table sur un ou deux relèvements des taux d'ici la fin de l'année. Notre scénario reste celui d'une fin de cycle de hausse des taux à 5,25% fin juin. Etant donné la faible inflation des salaires et un TUC somme toute peu inquiétant, les tensions inflationnistes devraient s'estomper naturellement et rapidement. D'autant que 40% de l'inflation sous-jacente provient de la composante du loyer imputé (owner equivalent rent), ce qui témoigne simplement d'un déplacement des acheteurs vers le locatif en raison de la hausse des taux.

Qu'est-ce qui justifie le recul des cours de Bourse de ces dernières semaines?

Le ralentissement économique, accéléré par les politiques monétaires restrictives dans un souci de lutte contre l'inflation, a entraîné un mouvement naturel de "flight to quality", c'est-à-dire d'arbitrages au détriment des marchés d'actions, très corrélés à la conjoncture, en faveur des marchés obligataires. En a résulté un recul des taux long, actuellement à 5,15% aux Etats-Unis, alors que l'incertitude se maintient sur la partie courte de la courbe.

L'inversion de la courbe des taux devrait-elle perdurer?

Les marchés vont prendre en compte rapidement le cycle de baisse des taux à venir des banques centrales; dès septembre, la baisse des taux courts devrait donc prendre le pas sur celle des taux longs. Dans le jargon financier, il s'agit d'un phénomène de "bull steepening", qui allie hausse du marché obligataire - et donc baisse des taux -, et renforcement de la pente de la courbe des taux.

Les choix de la Fed sont-ils susceptibles d'influencer la BCE?

Pas vraiment, la BCE se préoccupe avant tout des conditions de croissance de la zone euro et de l'évolution de la masse monétaire M3.

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