Les mots des autres

Au coeur de la terreur stalinienne, un archiviste de la Loubianka dissimule un manuscrit d'Isaac Babel destiné à être détruit. Et retrouve une parcelle de dignité- au risque de sa vie. Un premier roman fulgurant de Travis Holland, un jeune écrivain américain prometteur.

Pourquoi un modeste archiviste à la section littérature de la redoutable Loubianka sauve-t-il de la destruction un manuscrit anonyme? Quelle faute, quelle trahison veut-il réparer par ce geste de rébellion qui risque de lui coûter la vie? Pour son premier roman, l'Américain Travis Holland signe une oeuvre forte et déstabilisante qui sonde en permanence la frontière ténue entre collaboration et résistance dans un régime dictatorial comme l'URSS stalinienne.

Le personnage central de "Loubianka", Pavel Vassiliévitch, est un être complexe, tiraillé entre son devoir d'agent discipliné du NKVD chargé d'archiver puis de détruire les manuscrits des écrivains emprisonnés, et son amour de la littérature, lui l'ancien professeur de lettres de la prestigieuse université Kirov dont l'exclusion, quelque années auparavant, jette un voile de mystère sur cette existence misérable.

Pourtant Pavel retrouve le goût de vivre quand il est chargé d'identifier l'auteur d'un texte anonyme: une nouvelle dont la beauté le fascine et qu'il attribue vite à Isaac Babel. Son interrogatoire avec le grand écrivain, emprisonné à la Loubianka, est le déclic qui va inciter Pavel à soustraire le manuscrit à l'incinérateur et à le cacher. Geste de résistance dérisoire dans cet univers de terreur organisée et planifiée, mais geste vital pour cet homme "qui perd un petit morceau de son âme chaque fois qu'il détruit un livre".

Avec la précision d'un anthropologue, Travis Holland observe les errances de son personnage dans un Moscou sombre et glauque, en cette année 1939 où les menaces de guerre se précisent. Mais plus que dans des descriptions sur la pauvreté matérielle et intellectuelle du peuple russe, c'est dans des dialogues finement ciselés et toujours percutants, entre Pavel et ses amis, sa mère ou même ses supérieurs, que l'écrivain dévoile son véritable talent de romancier.


"Loubianka", de Travis Holland. Traduit de l'anglais par Philippe Giraudon. Editions Héloïse d'Ormesson, 284 pages, 21 euros.

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