Avis de tempête persistant sur les CDO

Le marché des CDO semble en pleine déconfiture. Ces produits, qui devaient protéger du risque, ont pris un formidable essor au cours des six dernières années.

En moins d'un mois, la dernière grande innovation financière de Wall Street a fait beaucoup de dégâts. En Grande Bretagne, le fonds Caliber Gobal Investment va tenter d'organiser une liquidation en bon ordre au cours des 12 prochains mois. Depuis le début de l'année, il a perdu plus de la moitié de sa valeur. Aux Etats-Unis, la banque d'affaires Bear Stearns a du prêter plus de 3 milliards de dollars à deux de ses fonds confrontés à une crise de liquidité. Le point commun des deux cotés de l'Atlantique ? Ces fonds ont investi dans des CDO ("Collaterized Debt Obligation") avec un fort effet de levier. La crise de liquidité actuelle sur ce type d'instrument leur a fait perdre beaucoup d'argent.

Pour comprendre le fonctionnement d'un CDO, il faut remonter dans le temps, à l'époque des années quatre-vingt et dans la salle de marché de Salomon Brothers (aujourd'hui dans Citigroup). Lewis Ranieri, un des responsables de cette banque d'affaires, a l'idée de prendre un portefeuille de crédits hypothécaires d'une banque commerciale, de le placer dans un véhicule d'investissement ad hoc et de le diviser en plusieurs obligations destinées à être vendues à des fonds d'investissement. La titrisation est née. Elle s'étend aux encours de cartes de crédit, aux prêts automobile, aux prêts étudiants, voire aux créances clients des entreprises.

Cependant, le propriétaire d'un titre de créance hypothécaire ("Mortgage Backed Security" ou MBS) est confronté à plusieurs sortes de risque: le risque de crédit (le créditeur ne peut plus payer son emprunt) et le risque de remboursement anticipé. Les caisses de retraite ou les compagnies d'assurances ont besoin d'asseoir leurs ressources sur des emplois à long terme. Elles détestent le risque de remboursement anticipé qui peut totalement bousculer le rendement à long terme d'un portefeuille.

Pour contrôler ces deux types de risque, Wall Street invente un autre type de valeur mobilière, le "Collateralized Mortgage Obligation" (CMO). On prend toujours un portefeuille de titres de créances hypothécaires, on le scinde en plusieurs tranches, certaines étant liées au remboursement du principal, d'autres uniquement aux versements des intérêts, d'autres encore aux risques de défaut du portefeuille.

Dans la foulée, les premiers CDO (pour "Collateralized Debt Obligation") et CLO (pour "Collateralized Loan Obligation") apparaissent vers la fin des années quatre-vingt. Ils connaissent une formidable expansion pendant la décennie suivante et deviennent une véritable vache à lait pour Wall Street à partir de l'an 2000. Le CDO est un mécanisme astucieux qui permet de répartir le risque de défaut d'un portefeuille de créances obligataires en quatre tranches. La première, baptisée "Equity" représente généralement 3% de l'encours et supporte les premières pertes du portefeuille. Très risquée, elle n'est pas notée par les agences de rating. La seconde tranche, la "mezzanine", représente 7% de l'encours et possède un rating BBB. La tranche senior (20%) affiche un rating AA tandis que la tranche super-senior est notée AAA. En théorie, plus le risque d'un portefeuille est élevé, plus le mécanisme du CDO est attractif. Et notamment pour les crédits appelés "subprime". Dans la pratique, il s'agit de crédits à taux variable accordés à des personnes à revenus modestes qui devront quasi-obligatoirement demander à leur banque un ré-échelonnement de leur dette. Est-ce moral d'accorder des crédits à des gens qui ne comprennent pas que leurs mensualités risquent d'augmenter fortement d'ici à deux ans ? Wall Street connaît la réponse : la pratique est fort rémunératrice et pour les banques commerciales, et pour les organismes de financement de l'habitat et pour les banques d'affaires, qui sont certaines de trouver des investisseurs avides d'acheter ce type de papier virtuel. Après tout, la structure des CDO ne doit-elle pas les protéger contre des pertes éventuelles ?

Sans doute, si ces pertes restent dans une limite raisonnable. Or, le secteur du crédit immobilier s'est fortement dégradé au cours des derniers mois. Si la structure des CDO a pu contenir les premières pertes, le marché s'est soudain aperçu que le rating des grandes agences n'était pas une garantie de bonne fin, ni que la liquidité était assurée sur ce type d'instrument. Au contraire, les brokers spécialisés font maintenant la sourde oreille quand on leur demande un prix et ils se gardent bien de fournir la contrepartie. Un procédé assez habituel en cas de crise financière.

Outre les CDO classiques, les banques d'affaires ont su imaginer le "CDO squared", c'est-à-dire un CDO constitué par l'investissement dans d'autres CDO, puis le CDO cube. Vous l'aurez compris, c'est un CDO qui investit dans des "CDO Squared". On a eu droit aussi aux CDO synthétiques, constitués par la vente de protection ("credit default swap" ou CDS) à des ...CDO et enfin, l'année dernière au CPDO (Constant Proportion Debt Obligation) qui n'investit que dans des indices de CDO. De tels instruments sont caractérisés par une complexité croissante et la difficulté d'en analyser le prix. Certes, il existe des modèles mathématiques pour évaluer le prix de tels instruments mais la valeur calculée par un modèle peut être fort différente d'une valeur de marché. Et aujourd'hui, le risque est que la valeur de marché provoque une baisse précipitée des CDO. Si Bear Stearns a prêté de l'argent à ses fonds, "c'est pour éviter de liquider rapidement leur investissement", explique-t-on sur les marchés. Une vente aux enchères des titres détenus aurait apporté de la transparence et la fameuse valeur de marché sur de multiples instruments. Wall Street préfère sans doute utiliser la valeur du modèle mathématique et doit secrètement et en catimini remercier Bear Stearns.

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