Hambourg-Istanbul, tragiques chassés-croisés

Le jeune allemand d'origine turque Fatih Akin entrecroise avec brio le sort d'Allemands et d'émigrés déchirés entre un mode de vie à l'occidentale et les pesanteurs politiques, morales, religieuses de leur pays d'origine. Entre Hambourg et Istanbul, un film très émouvant et une vision plutôt pessimiste de la jonction entre Orient et Occident.

Attention cinéaste surdoué! De film en film, le jeune réalisateur allemand Fatih Akin, né à Hambourg de parents turcs en 1973, confirme un grand sens de la mise en scène allié à une conduite infaillible du récit, aussi riche en personnages et en péripéties soit-il. Cette densité qui exclut toute gratuité fait le prix d'une oeuvre déjà conséquente qui compte de nombreux prix, dont l'ours d'or du Festival de Berlin 2003 pour "Head on".

Son cinquième long métrage, "De l'autre côté", a obtenu, lui, le prix amplement mérité du scénario au dernier festival de Cannes. Le film entrecroise en effet avec maestria le sort de plusieurs personnages déchirés entre l'Allemagne du nord d'une part et d'autre part la Turquie d'où certains proviennent ou retournent. Le film tente de jeter un pont fragile entre ces deux pôles de l'Europe sans gommer les différences irréductibles entre les cultures ni s'illusionner sur leur rencontre future.

Pivot du récit, Nejat (Baki Davrak) jeune prof d'allemand à l'université de Hambourg et double du réalisateur, est comme lui déchiré entre ses origines turques et son intégration dans le pays où ont émigré ses parents. Nejat s'occupe de son vieux père, le sémillant Ali, veuf souffrant de solitude et du mal du pays qui s'éprend avec tendresse d'une prostituée turque, la volcanique Yeter, dont il veut faire sa maîtresse attitrée. Mais le vieillard est violent et s'emporte facilement les soirs de boisson, ce qui provoque un premier drame lourd de conséquences.

A la mort de la prostituée, Nejat apprend que celle-ci envoyait tout son argent au pays pour financer les études de sa fille à qui elle a caché sa "profession". Le prof décide donc de partir sur les traces de cette fille, en Turquie, à Istanbul où il ouvre une librairie allemande. Or, il s'avère que celle-ci n'est nullement la bonne élève sage que sa mère avait laissée au pays mais une activiste politique, l'irréductible Ayten qui a toutes les polices de Turquie à ses trousses, et qui est partie en Allemagne à la recherche de sa mère. Au passage, le film pointe les violences policières en Turquie et le non-respect des droits de l'homme dans un pays qui revendique son intégration à l'Union européenne.

Chemin faisant, Ayten rencontre une étudiante allemande, complètement séduite par cette passionaria qui n'a pas froid aux yeux. Sa mère, elle-même ancienne activiste (bouleversante Hanna Schygulla) a beau mettre la jeune fille en garde, la mécanique infernale est en marche et les chassés-croisés entre ces personnages tous plus paumés les uns que les autres vont se multiplier sans qu'ils puissent jamais se rencontrer ni échapper à leur destin. Une métaphore plutôt pessimiste de l'impossible jonction entre Orient et Occident.

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