Un barrage contre l'humanité

Dans "Still Life", mi-documentaire mi-fiction, le cinéaste chinois Jia Zhang Ke restitue au plus près la vie des ouvriers sur les chantiers du barrage des Trois Gorges, le plus grand du monde. L'un d'entre eux est à la recherche de ses amours englouties avec la montée des eaux. Bouleversant.

Indépendant et plutôt mal vu en Chine où ses films ne sont pas distribués, Jia Zhang Ke dénonce inlassablement le désarroi de ses compatriotes face au développement anarchique du pays. Après "The World", hallucinant voyage dans un parc d'attractions qui reproduit les grands monuments du monde à Pékin, "Still Life" s'attaque aux bouleversements humains induits par la construction du Barrages des Trois Gorges.

L'ouvrage hydroélectrique sur le Yangzi Jiang, d'un longueur ahurissante de 2.300 km, doit lors de son achèvement en 2009 devenir le plus grand barrage du monde. Le tout au mépris de l'impact sur l'environnement et sur les populations locales: 1,4 million d'habitants déplacés sans aucune indemnité.

Le réalisateur, qui a eu le Lion d'or au dernier festival de Venise, filme avec beaucoup d'humanité la vie des myriades d'ouvriers qui s'activent sur les chantiers, détruisant des villes entières qu'ils ont, pour certains, contribué à construire quelques décennies plutôt pour le régime communiste.

Le personnage central, San Ming (bouleversant Han Sanming, un ancien mineur, qui est de tous les films de Jia Zhang Ke) est un taciturne qui déboule dans la ville de Fengje à la recherche de sa femme et de sa fille qu'il n'a pas revues depuis 16 ans. Aujourd'hui, l'immeuble, la rue, le quartier où elles ont vécu ne sont plus qu'une tâche sous les eaux du barrage. Chaque jour l'eau monte comme l'indiquent les marqueurs sur les rives du fleuve qui serpente entre les montagnes perdues dans les nuages et dans la moiteur du climat à l'humidité palpable, tout comme dans les peintures traditionnelles chinoises.

Pour retrouver la trace de sa famille et mener son enquête, San Ming n'a d'autre ressource que de se faire embaucher sur un chantier. Là, il partage la vie des ouvriers et prend part à leur labeur, à leurs joies comme à leurs douleurs, gens simples qui vivent au jour le jour sans domicile fixe au gré des travaux. Les accidents ne sont pas rares, ni les scènes surréalistes comme ces immeubles récents, et très laids, symboles du modernisme communiste, qui s'effondrent soudain comme châteaux de cartes.

Dans les mêmes parages, une femme cherche elle aussi son amour. Leurs chassés-croisés aussi douloureux que vains confèrent au film la couleur mélancolique des amours perdues, réellement et symboliquement englouties par les eaux.

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