Interview : Adidas veut prendre à Nike sa place de leader mondial

La marque aux trois bandes n'a pas l'intention de plier face à l'offensive de Nike dans le football. Il convoite au contraire la place de leader mondial du marché des articles de sport qu'il détenait jusqu'au début des années 90. Il compte notamment sur "l'outdoor" pour passer devant son concurrent. Un segment sur lequel il cherche activement une marque à reprendre qui puisse lui apporter la légitimité nécessaire. C'est ce qu'explique Herbert Hainer, président du directoire du groupe Adidas, à La Tribune.

Latribune.fr : C'est demain que va être donné le premier coup de sifflet de la Coupe d'Europe de football. 2008, nouvelle année record pour Adidas dans le ballon rond ?
Herbert Hainer : Je suis très optimiste. Nous avons déjà 80% du chiffre d'affaires que nous visons. Le niveau final dépendra maintenant du résultat que feront les cinq équipes qui jouent sous nos couleurs. Avec la France, l'Allemagne, l'Espagne, la Grèce et la Roumanie nous avons de bonnes chances. Je pense donc que nous sommes en mesure de dépasser le chiffre d'affaires record réalisé l'année de la dernière Coupe du Monde, soit 1,2 milliards d'euros.

Etes-vous toujours numéro un du secteur ?
Oui. Nous avons même augmenté notre part de marché ces dernières années.

Les produits football représentent 20% du chiffre d'affaires d'Adidas. Pensez vous pouvoir faire encore plus ?
Nous avons encore du potentiel. Mais le niveau est déjà très élevé. Une année de Coupe d'Europe nous vendons plus de 6 millions de ballons officiels, dans une année de Coupe du Monde plus de dix millions. On peut encore progresser. Certainement plus toutefois au rythme des cinq dernières années.

Nike équipera à partir de 2011 l'équipe de France. Vous êtes amer ?
Cela fait trente ans que nous sommes partenaire de la fédération française de football et c'est évident que j'aurai préféré continuer. Mais le prix à payer nous a paru beaucoup trop élevé.

Avant de signer avec les Français, Nike avait tenté de ravir l'équipe allemande. Vous vous êtes défendus bec et ongle et avez réussi à ramener la Fédération allemande à la raison. En France, vous n'avez pas été aussi battant ?
Le dossier était différent. Pour l'équipe allemande, nous avions déjà prolongé par accord oral le contrat. Pour la FFF, il n'y a eu que l'aspect argent qui est entré en compte. Après notre domination claire lors de la dernière Coupe du Monde, notre concurrent avait besoin de nous prendre un de nos symboles, de s'attaquer à une de nos chasses gardées. Parallèlement on a récupéré l'équipe mexicaine avant chez Nike. C'est une grande nation de football comme tout le continent américain, donc un contrat très intéressant. On est également sponsor de la ligue américaine de basket, un sport clé aux Etats-Unis qui nous apporte une très forte visibilité. Parfois on perd des équipes, mais on en gagne d'autres.

Vous conservez en revanche toujours le monopole du sponsoring des grands événements que sont la Coupe du Monde de football, la Coupe d'Europe ou les Jeux Olympiques. Ne craignez vous pas qu'un jour, Nike ne vienne empiéter sur vos plates-bandes ?
Nous avons un accord à long terme avec la Fifa et sommes aussi partenaire du comité olympique de Londres qui organisera les Jeux olympiques en 2012. Pour accompagner ce type d'événements, il n'y a pas que l'argent qui compte. Et Nike ne peut pas non plus tout se permettre. Il doit aussi satisfaire ses actionnaires.

Devant vos actionnaires le mois dernier, vous avez annoncé vouloir détrôner Nike de la première place mondiale. En 2000, vous vous étiez déjà donné cet objectif en estimant cinq ans un délai raisonnable. Mais vous en êtes encore loin ?
Il faut toujours se donner des objectifs. Et, aujourd'hui, on en est plus proche qu'il y a cinq ou huit ans. Je ne peux pas dire quand nous reprendrons la première place sur le podium. Mais je constate que nous progressons plus vite en Asie et en Europe et réduisons donc la différence qui nous sépare.

Nike vient de racheter Umbro. Pensez-vous pouvoir le battre sans acquisition ?
Oui. A condition que nos affaires sur le marché américain évoluent dans le bon sens.

Cela fait des années que vous y visez 20% de part de marché et pourtant vous ne décollez pas des 12% ?
Il est évident que le marché est difficile et qu'il a ses spécificités, notamment parce que les sports qui marchent forts sont des disciplines qui ne sont pas prisées en Europe comme le baseball, le football américain,... C'est le marché domestique de Nike, il est donc normal qu'il soit mieux à même de le comprendre et de le servir. De la même manière que nous sommes aussi deux fois plus gros que Nike sur le marché allemand et qu'on comprend le marche européen mieux. Il faut ajouter également que nous n'y avons jamais investi autant d'argent que sur les marchés européen ou asiatique, sachant que les marges aux Etats-Unis ne sont pas très élevées. Nous préférons donc investir là où les marges sont les plus attractives. L'évolution de nos résultats confirme que c'est le bon choix.

Vous comptez justement beaucoup sur les Jeux olympiques pour conforter votre position sur le marché chinois. Les protestations contre la répression au Tibet et la propagande anti-étrangère du gouvernement chinois vous posent-ils problème ?
Le débat a été très marqué essentiellement en France et en Allemagne. Mais nous avons aussitôt expliqué nos positions et le message est passé. Ce n'est pas notre rôle que de régler les problèmes politiques. Sinon, on ne devrait pas livrer aux Etats-Unis à cause de Guantanamo. On ne devrait pas livrer au Royaume Uni à cause des problèmes avec l'IRA. C'est ridicule. Nous faisons jouer notre influence, là où nous pouvons et notamment dans nos relations avec nos salariés directe et indirecte dans les usines qui produisent nos produits. Nous faisons travailler au total plus de 300.000 salariés en Chine, nous surveillons que les salaires y soient satisfaisants, que les conditions de travail soient acceptables, que la sécurité y soit assurée,...

Vous n'avez pas perdu de chiffre d'affaires ?
Non. On a eu nettement plus de protestations contre l'utilisation du cuir de kangourou. Le fait que les Jeux se tiennent cette année en Chine est une grande chance que nous entendons bien exploiter comme vitrine de nos produits. Nous sommes présents sur 27 des 28 disciplines sportives. En 2010, la Chine sera d'ailleurs notre deuxième marché derrière les Etats-Unis. Cette année, déjà le groupe Adidas au total est numéro un du marché chinois devant Nike.

Existe-t-il en Chine des groupes qui pourraient venir remélanger le classement mondial des groupes d'articles de sport ?
Il y a deux groupes chinois, Li Ning et Anta qui progressent vite même s'ils ne sont pas très gros encore. Et ils sont très sensiblement en dessous de nos prix. 50% en moyenne. Ils ont du mal à percer sur les marchés internationaux. Pour s'offrir des équipes ou des athlètes qui portent votre image, il faut être capable d'investir lourd.

Horst Dassler, fils du fondateur d'Adidas, n'avait jamais cru non plus que Nike aurait l'outrecuidance de passer la marque aux trois bandes...
Il est clair qu'on ne sous-estimera plus aucun concurrent.

La polémique chinoise, les problèmes de doping divers, ..., le sponsoring est-il aujourd'hui à hauts risques ?
Pas plus qu'avant. Il s'agit de cas particuliers. Vous ne pouvez pas généraliser en disant que tous les fonctionnaires sportifs sont corrompus ou tous les athlètes dopés. Jamais les stades de football n'ont été aussi remplis. Malgré les histoires de doping, le tour de France l'an dernier a encore attiré un nouveau record de spectateurs. Mais il faut rester vigilant. Nous réagissons en fonction des cas. Nous avons des clauses à cet effet dans nos contrats

Un secteur sur lequel vous misez beaucoup aujourd'hui est l'outdoor. Vous avez trouvé une cible qui complèterait bien votre offre ?
Nous avons déjà encore en interne un fort potentiel à exploiter. Nous avons mis en place une nouvelle organisation et décidé de nous concentrer sur certains types de produits pour le secteur outdoor. Nous avons également pris sous contrat les grimpeurs les plus rapides au monde, les Bavarois Thomas & Alexander Huber, et nous allons investir dans un secteur qui est au final encore très atomisé. Aujourd'hui nous réalisons plus de 100 millions de chiffre d'affaires et sommes pourtant déjà cinquième du marché mondial.

Etes vous intéressé par une société comme Lafuma/Oxbow ?
On peut s'imaginer des tas de choses. Mais nous ne négocions pas avec Lafuma. Il faut trouver une société qui nous apporte un plus, soit de la technicité dans un domaine, soit une entrée sur des marchés nouveaux,...

Une acquisition est elle envisageable en 2008 ?
Non, pas cette année. Actuellement nous ne négocions d'ailleurs avec personne.

Pouvez vous imaginer de racheter une société en Asie pour y asseoir votre position ?
Je n'en vois pas l'intérêt. Le groupe Adidas y est déjà suffisamment bien présent.

Et vous réfléchirez bien pour éviter de vous laisser surprendre comme avec Reebok ?
On a découvert de fait, après avoir racheté Reebok, que la marque était nettement plus vendue dans le créneau bas de gamme que ce que nous pensions et qu'elle arrosait les distributeurs qui ont traîné pendant longtemps des stocks. Cela sera réglé cette année.

Avez-vous payé trop cher ?
Non. Quand une offre se présente, vous n'avez pas toujours le choix. Soit vous acceptez le prix, soit vous laissez passer votre chance. C'est donc une question de philosophie. Je suis convaincu ceci dit que Reebok stratégiquement est un groupe qui nous complète très bien. Par exemple, il a permis à Adidas de récupérer le sponsoring exclusif de la NBA, la ligue de basket ball. Et Reebok a un fort potentiel international que nous entendons bien développer. Les ventes vont dans le bon sens et nous récoltons déjà les fruits des synergies.

Quand serez vous tiré d'affaires ?
Les produits pour l'été 2009 ont été bien appréciés. On est donc sur la bonne voie et l'année prochaine sera une année importante. Il est évident que les difficultés conjoncturelles américaines ne nous aident pas.

Quel est votre pronostic pour la Coupe d'Europe ?
Cette année, je parie sur l'équipe allemande.

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