La vengeance, un plat empoisonné

Dans "Lady Jane", Robert Guédiguian fait la démonstration éclatante que la vengeance est venimeuse. Un polar bouleversant, servi par le trio d'acteurs fétiches du réalisateur marseillais: Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan.

"La vengeance est un plat qui se mange froid", dit le proverbe. Robert Guédiguian prend le contre-pied de cette exaltation de la violence perpétuée de génération en génération. Avec un récit intériorisé par ses acteurs, dont la formidable Ariane Ascaride, le réalisateur marseillais montre que la vendetta est un plat empoisonné. Hyperstylisé, situé en hiver, dans des ambiances souvent nocturnes, son polar est un film noir qui tranche dans la filmographie du cinéaste marqué à gauche avec ses échos de tragédie antique.

Pour l'occasion, Guédiguian retrouve son cadre favori: la ville de Marseille et son collectif d'acteurs fétiches, à commencer par la grande tragédienne qu'est Ariane Ascaride. "Lady Jane", c'est elle, ainsi nommée d'après le fameux "tube" des Rolling Stones, à la fin des années 60. A l'époque, Muriel flanquée de ses deux potes, François (Jean-Pierre Darroussin) et René (Gérard Meylan), étaient engagés dans des actions de justice sociale pour le moins expéditive: ils formaient un gang qui volait des fourrures et les distribuaient aux ouvrières des ruelles populaires de Marseille.

Depuis, le trio infernal s'est rangé des voitures, du moins en ce qui la concerne. Elle a ouvert une boutique de vêtements chics à Aix, nommée "Lady Jane". Elle vit seule avec son fils unique, un grand garçon dont elle est manifestement très proche.

Pour ses deux anciens acolytes, la situation est moins claire. François traficote dans un atelier de réparation de bateaux au bord de l'étang de Berre. René, lui, est dans le business des machines à sous. Si elle a tiré un trait sur le passé, les deux hommes, eux, en ont la nostalgie et ont gardé une véritable vénération pour leur Lady.

Justement, quand le film s'ouvre, Muriel refait appel à eux: son fils vient d'être enlevé et une demande de rançon a été formulée. Aussitôt, les deux hommes se mettent en demeure de réunir la somme en employant les mêmes méthodes expéditives qu'autrefois. Peine perdue, la rançon n'est qu'un leurre, en fait, c'est la vie du garçon qui est l'enjeu des tractations.

Du coup, le cours des événements prend une tournure vraiment tragique. Muriel va tout tenter pour retenir la main - lourde - de ses deux hommes et inverser un mouvement qui s'est enclenché voilà trente ans. Mais rien n'y fera. Tout au plus pourra-t-elle stopper le cycle infernal de la vengeance. Décision d'autant plus méritoire qu'elle sera pour elle d'un coût exorbitant.

A lire: "Conversation avec Robert Guédiguian". Journaliste spécialiste du cinéma, Isabelle Danel suit le réalisateur marseillais depuis ses débuts et revient avec lui sur ses quinze films, depuis "Dernier été" (1981). Au fil des entretiens, le cinéaste de "A la vie à la mort" (1995) s'exprime sur ses engagements, ses espoirs, ses désillusions, sa "troupe" d'acteurs et de techniciens... "Conversation avec Robert Guédiguian", par Isabelle Danel, Les Carnets de l'info, 190 pages, 21 euros.

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