Quatrième licence de téléphonie : quels enjeux ?

Catherine Lubochinsky professeur honoraire au Conservatoire national des arts et métiers, et Michel Didier professeur à l'université Paris II Panthéon-Assas, reviennent sur le débat autour de l'attribution d'une quatrième licence de téléphonie mobile.

Le débat sur l'attribution d'une quatrième licence de téléphonie mobile a rebondi. L'arrivée d'un nouvel opérateur devrait stimuler la concurrence, susciter de nouveaux services et entraîner une guerre des prix au bénéfice du consommateur. En prime, l'État, qui a bien besoin d'argent, empocherait 620 millions d'euros pour l'attribution des fréquences. Au moment où on cherche à la fois du pouvoir d'achat pour les ménages et de l'argent pour l'État, la tentation est forte de lancer un appel d'offres. Mais attention aux premières impressions. Ce ne sont pas toujours les bonnes. Or aucune étude économique sérieuse n'a été faite à notre connaissance sur le projet.

Rappelons-nous la première affaire des licences téléphoniques. Au début des années 2000, le Conseil d'analyse économique avait commandé un rapport sur les enjeux économiques de l'UMTS. En pleine "bulle Internet", les annonces pharaoniques sur la troisième génération de téléphonie mobile et les "folles enchères" des licences de télécommunication avaient abouti à des prix exorbitants en Allemagne et au Royaume-Uni, ce qui avait contribué au retournement du secteur et probablement aussi à la déstabilisation de l'économie dans son ensemble. La France s'y était essayée avec un peu de retard.

Après un long débat, dont le rapport au Conseil d'analyse économique avait constitué une contribution, on était arrivé à une solution plus raisonnable que nos voisins et il avait été notamment décidé de s'en tenir à trois licences. Nous avons donc aujourd'hui trois offres de téléphonie mobile concurrentes, auxquelles sont venus s'ajouter des "opérateurs virtuels" qui vendent, difficilement il est vrai, des services de téléphonie en utilisant les réseaux des "opérateurs réels". Orange représente 42 % du marché, SFR 36 %, Bouygues Télécom 16 %, les opérateurs virtuels et les licences de marques 6 %.

Quels sont les enjeux économiques de l'introduction d'un quatrième opérateur? Parmi les grandes innovations technologiques de masse (électricité, téléphone fixe, radio, automobile, télévision, ordinateur personnel), la téléphonie mobile est celle qui s'est développée le plus rapidement, à vrai dire de façon fulgurante. Au point d'avoir dépassé en quelques années des taux de pénétration que les autres inventions n'avaient pas atteint en plusieurs décennies. En contrepartie, cela a impliqué de lourdes infrastructures, qu'il faudra d'ailleurs renouveler avec l'arrivée de nouvelles générations techniques. Cela a aussi conduit rapidement à un marché déjà mature comme le souligne une étude de UFC-Que choisir, qui déplore par ailleurs une baisse de tarifs trop modeste, partielle ou inexistante.

Comme il est classique sur les marchés matures, la tendance est plutôt à la reconcentration du secteur. En Europe, le nombre d'opérateurs va de deux (en Norvège) jusqu'à cinq (Royaume-Uni). Tous les autres pays sont à trois ou quatre. Le cas du Royaume-Uni est intéressant. Avec moins de 10 % de parts de marché, le cinquième opérateur est en grande difficulté. Les quatre autres ont trouvé un équilibre car ils sont tous à plus de 20 % de parts de marché. La situation française est très différente avec une répartition de 42 %, 36 % et 16 %. Où se situerait un quatrième opérateur?

On observe aussi que dans les pays qui ont aujourd'hui quatre opérateurs le sentiment général est que l'on va vers un point d'équilibre à trois opérateurs. Les Pays-Bas sont même revenus de trois à deux avec le retrait d'Orange. On observera enfin que pour le téléphone fixe, on s'oriente vers un équilibre à trois opérateurs (Orange, Neuf Télécom et Free). Une autre question concerne le réseau. Notre paysage est déjà hérissé d'antennes multiples. Or, les sites disponibles pour implanter de nouvelles antennes de mobiles (les points hauts) se font rares. Une idée pourrait être de mutualiser certaines antennes ou certaines parties des réseaux. Mais l'expérience montre que cela ne marche pas très bien. Un nouvel opérateur devrait investir.

Mais les trois grands opérateurs mobiles actuels seraient évidemment touchés par l'arrivée d'un quatrième et il faut aussi mesurer l'impact (négatif) global en matière d'investissements et d'emplois. Quant aux 620 millions d'euros encaissés par l'État, il faudra bien les répercuter sur le consommateur. Bref, la problématique économique est complexe. Les marchés de services de réseaux, dans le téléphone comme ailleurs (trains, électricité) sont par nature des marchés d'oligopoles régulés. Il faut de la concurrence, sans doute plus qu'aujourd'hui, pour stimuler les gains de productivité et faire baisser les prix. C'est le rôle de l'Autorité de régulation. Il faut aussi de la recherche technique et des investissements inscrits dans une vision de long terme. L'optimum est à trouver. Il ne le serait pas par une décision trop rapide et sans études économiques d'impact préalables.

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