J'ai testé la première journée sans tabac dans les bars parisiens

Ce mercredi 2 janvier était le premier jour d'une ère nouvelle pour les lieux dits de "convivialité". Après une tolérance de 24 heures, tous les cafés, hôtels, restaurants, et casinos appliquent l'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif. Changement d'ambiance donc, changement d'odeur également, et surtout changement d'habitudes pour les Français.

Ce mercredi 2 janvier, l'interdiction de fumer dans les lieux publics est entrée en vigueur après 24 heures de tolérance. Petit tour à travers Paris et premier constat : l'interdiction semble respectée. Quelques clients distraits rentrent avec la cigarette, d'autres en allument une quand on leur sert le café. Mais il ne s'agit là que de la force de l'habitude, et un simple rappel de l'interdiction suffit à éteindre les cigarettes.

Pour les exploitants, seule l'interprétation sur le degré d'ouverture des terrasses couvertes - celles qui sont totalement fermées sont interdites aux fumeurs - laisse place au débat. Façade totalement ouverte pour certains, terrasse pas totalement couverte pour d'autre.

Jean, propriétaire d'un bar à Châtelet, a opté pour la seconde solution et m'explique que l'espace entre le store et les cloisons de la terrasse est suffisant pour en assurer la ventilation et permet donc d'accueillir les accros de la nicotine. Très satisfait par cette mesure, il se montre particulièrement optimiste, estimant que la fin du tabac dans les bars va ramener une clientèle plus haut de gamme.

Pour l'intérieur de son établissement, me montrant les brûlures de cigarette sur les banquettes, le bar et les tables, il a déjà planifié une opération de grand nettoyage. "Tous les mois, nous devions nettoyer les bouches d'aérations et les plafonds, jaunis par la cigarette. Nous allons désormais pouvoir le faire une bonne fois pour toute."

Dans un bar tabac PMU, visité précédemment, le patron m'avait dit se moquer des effets du tabac sur la santé. "Je suis là pour faire du commerce, et je crains de faire des pertes." Lorsque je demande à Jean son avis sur le pessimisme de son collègue, il coupe court à ma question: "J'ai perdu mon frère d'un cancer des poumons l'année dernière."

Patrice, 42 ans, habitué du lieu ne partage pas l'enthousiasme de Jean. Malgré le soleil et le chauffage au gaz, il a froid et ne cache pas sa mauvaise humeur. "Je suis juste venu aujourd'hui pour présenter mes voeux. On m'enlève un plaisir, donc je ne viendrais plus et prendrais mon café chez moi. Je reviendrais en terrasse au printemps seulement."

Julien, 29 ans est garçon dans un café de Beaubourg. Ce mercredi matin, il avait en charge la terrasse fumeur. Celle-ci a une façade totalement ouverte, et occupe un tiers du grand auvent recouvrant la terrasse. Chemise blanche obligatoire, il peste contre le froid et constate amère: "Regardez par vous même, la terrasse close est vide, celle ouverte est pleine de fumeurs. On n'a personne ce matin, d'habitude le mercredi à cette heure (11h30), c'est plein." Les quelques clients présents ne le contredisent pas, et affirment ne pas culpabiliser. Ils se déclarent content de fumer et en revendiquent le droit. En repassant à l'heure du déjeuner, j'ai pu constater que l'établissement s'était rempli, autant dedans que dehors.

Dans une brasserie du parvis de Notre-Dame, Jeanne, serveuse de 47 ans, me confie spontanément le plaisir qu'elle aura ce soir à ne plus sentir la cigarette en rentrant chez elle. Bien que fumeuse, elle attendait avec impatience de pouvoir travailler dans de meilleures conditions. Je rencontre dans cette brasserie, fréquentée par de nombreux touristes, un groupe de Brésiliens en vacances en France depuis une semaine. Ils apprécient la mesure et m'apprennent que dans l'Etat de São Paulo, de nombreux établissements appliquent déjà l'interdiction de fumer, alors qu'une loi visant à la généraliser est en préparation.

Jean-Michel, gérant d'une brasserie dans le 6e s'amuse: "Ce sont les salariés qui piétinent en attendant de sortir fumer"... pendant que le barman met en scène son manque de nicotine et fait semblant de prendre une longue bouffée de tabac entre ses doigts. "Il est trop tôt pour dire si notre activité va baisser. Ce sont encore les vacances de fin d'années, on en saura plus la semaine prochaine" estime Jean-Michel. En attendant, il prévoit un nouvel aménagement de sa terrasse avec chauffage au gaz pour conserver un espace fumeur.

Aucun résistant rencontré ce mercredi dans les rues de Paris. Cependant, l'Agence France Presse (AFP) rapporte le cas du patron d'un café branché de Lyon refusant de se plier à la loi, et créant un mouvement culturel autour de la liberté de fumer. Le visiteur est accueilli par ce message: "Zone d'expérimentation culturelle et sociale - vous vous exposez à un risque de tabagie passive". Le bar est décoré de photos sur le thème du cendrier, et des citations philosophiques sur le plaisir de fumer sont inscrites sur les murs. Christophe Cedat, propriétraire de l'établissement, entend "ramener le débat sur un terrain neutre: artistique."

Entre inquiétude et enthousiasme, amertume et entrain, exploitants et clients ressentent la fin de la cigarette dans les lieux public de manière contrastée. Opportunité pour certains, menace pour d'autres, seul des chiffres sur le long terme pourront nous en dire plus sur les effets de la loi. Seront alors particulièrement observés le nombre de victimes du tabac (66.000 décès par consommation de tabac, 5.000 par tabagisme passif), et le chiffre d'affaires du secteur (53 milliards d'euros en 2006 selon l'Union des Métiers et des Industries de l'Hôtellerie).


Une interdiction de fumer dans les lieux publics en deux temps
Le renforcement de l'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif, initié par le décret du 15 novembre 2006, prévoyait une mise en oeuvre en deux temps. Le 1er février 2007, l'interdiction s'appliquait dans les entreprises, les administrations, les établissements scolaires, et les établissements de santé. Elle s'applique depuis le mardi 1er janvier 2008 également dans les cafés, les hôtels, les restaurants et les casinos, avec une tolérance de 24 heures. L'interdiction ne s'applique pas aux terrasses couvertes à partir du moment où elles ne sont pas complètement fermées, par exemple si la façade est complètement ouverte. Il en est de même lorsque tous les côtés sont fermés mais que la terrasse n'est pas couverte.

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