Pour ou contre : les Bourses sont-elles entrées dans un nouveau cycle baissier ? Eric Galiègue (Valquant) face à Frédéric Rollin (Pictet Asset Management)

LE DEBAT DE LA TRIBUNE. Avec la guerre en Ukraine, les marchés actions ont violemment décroché avant de se reprendre peu à peu. Face à un conflit jugé sans précédent en Europe, qui entraîne notamment les prix de l’énergie à des sommets, alimentant encore un peu plus l’inflation, les Bourses se montrent paradoxalement résilientes, après une année 2021 exceptionnelle qui a propulsé les principaux indices à des records. Myopie des marchés ? Ou au contraire preuve que les fondamentaux de la croissance ne seront que temporairement écornés par la crise géopolitique ? L’avis d’Eric Galiègue, président de Valquant Expertyse, et de Frédéric Rollin, stratégiste chez Pictet Asset Management.
(Crédits : DR)

"Les marchés ont plus peur de Powell que de Poutine" : cette formule d'un gérant résume bien le sentiment aujourd'hui des investisseurs. Le coup de froid sur les Bourses de ces deux derniers jours sur fond de ligne dure prônée par la banque centrale américaine (Fed) dans sa lutte contre l'inflation, le montre à nouveau. Et ce, alors que la perspective d'un long conflit en Ukraine avait plutôt laissé jusqu'ici de marbre les marchés actions.

Il est vrai que, traditionnellement, les marchés actions ne sont guère troublés par les crises géopolitiques, même les plus graves. Après un épisode de forte volatilité plus ou moins long, ils retrouvent leur trajectoire d'avant-crise. La guerre en Ukraine est un nouvel exemple. Plus d'un mois après l'invasion du pays par les troupes russes, et avant la publication ce mercredi du compte rendu de la réunion des banquiers centraux de la Fed, confirmant l'accélération du rythme des hausses des taux et d'une réduction de son bilan, les Bourses avaient finalement pas trop mal encaissé le choc de l'agression russe.

Le CAC avait même repris  presque 10 % sur le mois de mars pour flirter à nouveau avec les 6.700 point, soit un recul de moins de 7% depuis le début de l'année. Les analystes et les entreprises tardent même à revoir à la baisse leurs prévisions pour 2022, rendant ainsi presque attractif le marché actions, désormais valorisé entre 13 et 14 fois les bénéfices estimés pour cette année. Et puis, qui se risquerait d'aller chercher du risque sur les marchés obligataires, frappés de plein fouet par la hausse des taux?

Si les grands gestionnaires d'actifs, prudents par nature, commencent à réduire l'exposition de leurs portefeuilles aux actions, à neutre ou légèrement sous-pondérer, ce n'est pas non plus la grande panique (ni d'ailleurs sur les marchés obligataires), loin s'en faut. La confiance sur la solidité des résultats est toujours là, même si une nouvelle correction des marchés ne peut être exclue. Elle est même parfois attendue par les investisseurs pour revenir sur les actions à meilleur prix et reprendre du risque.

Pourtant, quelques voix dissonantes, beaucoup plus pessimistes, commencent à se faire entendre, notamment aux Etats-Unis. Elles s'inquiètent d'un changement de régime de la Bourse, qui aurait même débuté l'automne dernier, avec le brusque retournement du Nasdaq, l'indice qui regroupe les valeurs technologiques. Chacun a en mémoire ce fameux adage sur les actions sont sur un cycle haussier les deux tiers du temps et sur un cycle baissier l'autre tiers. Et de redouter ainsi que le virage à 180° de la politique monétaire américaine, sur fond d'inflation et d'envolée des prix de l'énergie sonne l'entrée d'un nouveau cycle baissier de plusieurs années.

Dans ce contexte, une question se pose : les Bourses sont-elles entrées dans un cycle baissier ?

POUR Galiègue

Les marchés se montrent pour l'instant résilients mais l'arbre ne doit pas cacher la forêt. Aujourd'hui, les indices Nasdaq et S&P sont en dessous de leur moyenne mobile à un an. C'est clairement un premier signal de tendance baissière. Mais je suis en réalité très prudent sur les marchés depuis six mois.

Je considère que les Bourses doivent baisser car il existe beaucoup d'éléments négatifs qui s'accumulent. Primo, nous avons un retournement complet des politiques monétaires, qui vont devenir négatives pour les marchés alors qu'elles ont été positives depuis de nombreuses années. C'est particulièrement le cas de la Réserve Fédérale qui a changé son fusil d'épaule de façon rapide, appropriée selon moi, mais avec retard. Ce changement est bien sûr guidé par le retour de l'inflation, sans doute entrée dans un nouveau cycle long, gouverné par des facteurs structurels, comme la réindustrialisation de nos économies ou la transition énergétique.

Deuxio, le prix du pétrole est un facteur majeur de retournement des marchés. Nous avons un choc pétrolier qui exerce, avant même la crise ukrainienne, un effet récessif important. Tertio, les marges des entreprises ont atteint des sommets en 2021, avec des taux d'imposition très bas. Ces bénéfices sont clairement trop hauts pour durer et cela ne pourra pas se reproduire en 2022. Tous ces éléments peuvent nous amener à considérer un changement de tendance sur les marchés.

CONTRE Rollin

Pas du tout. Nous restons positifs sur la croissance et dans l'idée que le choc inflationniste actuel ne se transforme pas en une spirale inflationniste. Certes, la révision à la hausse de l'inflation et la révision à la baisse de la croissance sont toujours un mauvais signal pour les actions. Toutefois, les indicateurs économiques, qui étaient très solides avant la crise, vont rester malgré tout positifs, y compris en Europe. La situation des entreprises est également saine, avec beaucoup de cash et elles sont globalement moins dépendantes aux matières premières que dans le passé. D'autant que les Etats-Unis ont atteint une certaine forme d'indépendance énergétique. Nous ne sommes donc pas du tout dans une situation comparable aux chocs pétroliers des années 70 et 80.

Ensuite, l'inflation est surtout pénalisante pour les obligations mais elle n'est pas forcément mauvaise pour les actions, sous réserve que la croissance soit toujours au rendez-vous. De nombreuses entreprises sont capables de répercuter une partie de la hausse des matières premières sur leurs prix. Les actions ne sont pas si mal loties compte tenu des prévisions de croissance et des dividendes qui offrent des rendements de 3%. Il y a aura donc toujours un flux vers les actions, et plus généralement les actifs réels, faute de véritable alternative pour les investisseurs.

Enfin, nous pensons que les banques centrales auront soin de normaliser leur politique monétaire sans prendre le risque de casser la croissance ou de remonter trop vite les taux. C'est pourquoi, après une phase plus prudente face à une situation de crise sans précédent, nous comptons revenir sur les actions. Les valorisations ont baissé, sans être excessivement bon marché, et les actions conservent leur potentiel de hausse.

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Commentaire 1
à écrit le 07/04/2022 à 17:34
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Quand va t'on sortir du cercle vicieux de "la politique de l'offre" pour revenir a la réalité des besoins?

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