Réenchanter le travail

Chaque semaine, découvrez les chroniques sur la vie au bureau réalisée par Sophie Peters. Anecdotes, conseils, expériences : pour sourire mais aussi mieux se sentir dans son job.

 

Dimanche, grâce à une bande de clowns, j'ai enfin compris ce que travailler veut dire. Je plaisante à peine. Je suis allée voir une pièce (*) dans laquelle six clowns miment la vie dans l'entreprise. Employés zélés et débordés, stressés par l'urgence des projets, ils naviguent entre humeurs et directives managériales, entre impératifs du marché et projets d'entreprise. Comme nous. On rit de bon c?ur. Devant leur désir de bien faire, leur envie de se réaliser. On rit jaune aussi face aux petites lâchetés, grandes compromissions, persécutions invisibles, man?uvres de déstabilisation. On ne sait enfin plus s'il faut rire ou pleurer quand les mots d'une banderole se dessinent sous nos yeux?: « redynamiser l'entreprise grâce à un plan social ambitieux et humain et généreux et chouette ». Au moment où les sociétés jouent l'effet d'aubaine de la crise pour annoncer des plans sociaux qu'elles gardaient dans leurs cartons, la partition de ces six lurons sonne juste. Surtout, elle a le don de nous montrer les ingrédients fondateurs de notre bien-être au travail. Passant de l'échec de l'entreprise paternaliste d'autrefois à celle plus stakhanoviste des vingt dernières années, elle termine sur une note optimiste avec un troisième modèle où l'épanouissement naît du « faire ensemble ». Peu importe quoi, d'ailleurs. Ni pression de chiffres, ni course à la montre, voici les drilles fabriquant des cartons remplis de vent dont sort un grand bol d'air frais. Alors, voilà. Le travail, ce n'est ni de la performance, ni des résultats. Non, c'est une façon d'être ensemble, de partager un projet.

 

Seule issue

 

Christophe Dejours, psychiatre et psychanalyste, directeur du laboratoire de psychologie du travail et de l'action, étudie depuis trente ans la souffrance au travail. Pour lui, pas de doute?: « plus l'enjeu matériel et économique est fort, plus les rapports entre les gens sont difficiles », a-t-il commenté. Et d'aller un cran plus loin?: « deux éléments clefs ont tué l'épanouissement au travail?: l'évaluation individualisée des performances et la qualité totale ». Plus puissant que le taylorisme aux yeux de ce médecin, ces méthodes n'ont fait que dégrader par leurs effets pervers les relations?: « elles ont détruit les solidarités collectives, la loyauté envers les collègues ». Oui, l'entreprise a mal à son travail. Oui, le sens de ce que nous partageons ensemble est menacé. Seule issue, nous dit Christophe Dejours, « penser le travail pour ne pas le laisser se dégrader. Pour qu'il soit un médiateur de la construction sociale, il faut le vouloir, donc le réfléchir, le raisonner, l'imaginer. Au moment où l'emploi flanche, il est urgent de remettre au c?ur de nos sociétés l'intérêt pour le travail ». Or, paradoxe terrible?: en dehors d'un processus contraint, les individus n'ont pas le sentiment de travailler. Tous, nous ne travaillons pas seulement pour de l'argent, mais pour obtenir des signes de reconnaissance. Mais c'est une autre histoire dont je vous parlerai la semaine prochaine. En attendant, allons contempler nos masques dans ceux de ces clowns, car le travail ne se voit pas facilement. Et pour le penser, il nous faut d'abord le regarder.

 

(*) « Rêve général » de Jean-François Maurier, au théâtre Daniel Sorano à Vincennes, du 11 mars au 19 avril [email protected]

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