
C'est la dernière ligne droite pour la réforme des retraites qui a profondément divisé les Français autour de la question du relèvement de l'âge de départ à 64 ans. Quel bilan tirez-vous de la méthode Macron-Borne à l'heure du vote final du Parlement ce jeudi ?
Cette réforme est inopportune parce qu'injuste. Elle est vécue par les Français comme une régression. Le pays sort à peine de la crise sanitaire. Nul ne saurait nier que ce sont les efforts des salariés des première et deuxième lignes, qui ont permis à la France de tenir pendant l'épreuve. Ce sont précisément ces travailleurs, qui ont commencé à travailler tôt, dans les métiers les plus pénibles, qui subiront les effets du recul de l'âge de départ à la retraite, en même temps que l'accélération de l'allongement de la durée de cotisation jusqu'à 43 ans, dès 2027 et non 2035, comme cela était prévu dans la réforme Touraine de 2014. Quant à la méthode, elle a fait l'impasse sur la concertation et le dialogue social. La fascination pour la verticalité, qui contribue à produire de la radicalité, a abimé la démocratie sociale, qui avait pourtant été la grande ambition du Conseil National de la Résistance et qui se trouve désormais en panne. Enfin sur le plan politique, on a préféré un accord avec la droite conservatrice à un bon compromis avec les syndicats réformistes. Si cette réforme devait être adoptée, par le biais de l'article 49.3, le mépris des syndicats et des Français, qui se sont mobilisés dans l'unité et la dignité, serait alors consacré .
La réforme est contestée par une intersyndicale qui n'a pas varié dans son unité. Même Laurent Berger parle de déni de démocratie et en appelle à donner la parole au peuple. Qu'en pensez-vous ?
Il y a mise en échec de la démocratie sociale, de la démocratie parlementaire et le pays est désormais dans une impasse politique, dont le seul bénéficiaire est le Rassemblement National. L'absence de débouché politique à la crise sociale résulte de l'effondrement du système des partis, entretenu par l'actuel pouvoir, et de l'impasse dans laquelle la gauche s'est enfermée, en construisant une alliance à ses marges. Dans un tel contexte, si la loi devait être adoptée à grand renfort de 49,3, en revenir au peuple serait la seule voie possible d'apaisement.
Marine le Pen a dit qu'elle reviendra sur les 64 ans si elle est élue en 2027. La gauche et notamment le PS peinent à rebondir dans ce mouvement social. Pourquoi ?
Moi je me préoccupe de la gauche de gouvernement, parce que je pense que si elle ne se reconstitue pas rapidement, le risque de victoire du Rassemblement national sera réel. Or les positions prises par LFI, au sein de la Nupes, ses injures et son comportement irresponsable et violent, suscitent le silence gêné des autres composantes de la gauche et les placent dans une impasse. Les Français les plus modestes aspirent à la justice, mais ils n'aiment pas le désordre. Si une partie de la gauche donne le sentiment de vouloir l'entretenir par la violence des positions prises et les excès en tout genre, la gauche dans son ensemble s'en trouvera disqualifiée. Il serait souhaitable qu'émergent à gauche des formations politiques inspirées par l'esprit de responsabilité, le souci de la crédibilité et le sens de l'intérêt du pays pour construire un débouché politique à cette crise sociale qui ne soit pas le pire, c'est à dire le vote pour le Rassemblement National. Pour ceux qui considèrent que la loi est injuste, et que si elle passait en force, un problème démocratique se poserait, il n'est pas besoin d'attendre 2027 pour la remettre en cause. Il suffit pour cela de mettre en œuvre le référendum d'initiative partagé, le RIP, prévu à l'article 11 de la Constitution, et qui peut permettre, si les conditions sont réunies, de mettre à l'arrêt le processus engagé de réforme. Il faudra pour cela poursuivre la mobilisation des Français, en réunissant 1/5ème du Parlement, soit 185 parlementaires, députés et sénateurs, et en obtenant la signature de 10% des électeurs, ce qui représente 4,87 millions de citoyens.
Cela a été tenté pour empêcher la privatisation d'Aéroports de Paris, mais le RIP n'avait pas recueilli assez de signatures...
Oui, mais la privatisation d'ADP a été arrêtée, donc l'objectif politique a été atteint. J'ai fait la proposition du recours au RIP samedi, lors du Congrès du PRG, et je crois vraiment possible de faire barrage à la réforme par ce moyen, à condition que nous ayons le temps d'en convaincre ses opposants: 70% des Français se disent opposés au relèvement de l'âge de départ à la retraite et des millions ont manifesté dans la rue pour le dire. C'est donc à la gauche de proposer ce chemin.
D'autres en parlent dans votre camp, comme Valérie Rabault. Mais qu'est ce que la gauche a alors à proposer comme alternative pour sauver le régime des retraites par répartition menacé par les déséquilibres démographiques ?
C'est un mix de trois mesures, qu'il faudrait négocier avec les partenaires sociaux à la faveur d'une grande conférence sociale. La première, c'est le retour aux 62 ans, et donc le refus très clair de la mesure d'âge qui est une fois encore injuste. Ensuite, il faudrait agir sur les carrières les plus longues, accomplies dans les métiers les plus pénibles, par des mesures de prise en compte de la pénibilité. Ces dispositions prises par les gouvernements de François Hollande ont été inutilement supprimées, lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron. Or elles sont seules en mesure de rendre soutenable l'allongement de la durée de cotisation prévu par la réforme Touraine. Enfin, il faudrait donner plus de souplesse pour permettre à ceux qui sont dans des métiers non pénibles de prendre leur retraite plus tard s'ils le souhaitent.
La réforme de 2017 affichait cette ambition. Emmanuel Macron a eu tort d'y renoncer ?
Cette réforme, plus systémique, a elle aussi butté sur l'âge pivot. Il faut donc sortir des approches brutales, comptables et conservatrices, sauf à vouloir confondre réforme et régression. C'est cher payer, par les Français le ralliement de quelques députés LR à la majorité et la droitisation continue de sa politique. L'idée que l'on puisse recomposer le paysage politique sur la décomposition du corps social est dangereuse et funeste, car le pays a besoin de réformes sans lesquelles son déclassement deviendra inéluctable. On ne parviendra pas à les construire sans la justice et le progrès.
Pourquoi est-on si éloigné de ce que semblait vouloir incarner le Macron de 2017 ?
Parce que le calcul politique est trop présent dans la stratégie du pouvoir et la passion de la justice trop absente. Les Français dans leur immense majorité, le ressentent.
Les jeunes ont été très présents dans l'opposition à la réforme. Pourtant, la retraite c'est loin pour eux ?
Oui mais c'est assez compréhensible . Les jeunes ont subi durement la crise sanitaire. Ils subissent aussi l'affaissement du système éducatif et la perte de chance d'accéder rapidement à l'emploi. Ils aspirent à rentrer mieux formés et donc plus tard sur le marché du travail. Le report de l'âge légal leur apparaît donc comme la manifestation du déni de la situation souvent difficile à laquelle ils doivent faire face. Ils entendent souvent dire que 64 ans n'est peut-être qu'une étape et que viendra le temps d'autres sacrifices. Ma génération s'était battue pour que la vie soit meilleure ; nos enfants se battent pour que la vie soit possible. On ne peut pas les condamner à des sacrifices à perpétuité, sans tracer la moindre perspective. La radicalité prend aussi sa source dans cette impasse politique où on les a placés et qui laisse peu de chance à l'espérance et trop d'espace à la colère.
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