« Cela n’a pas de sens de vouloir réguler l’accès aux urgences » (Gérald Kierzek)

Urgentiste, anesthésiste-réanimateur, chroniqueur dans les médias (Télématin) et directeur médical de Doctissimo, Gérald Kierzek revient sur les causes de l’engorgement des urgences et les moyens d’y remédier. ( Cet article est issu de T La revue n°14 - Santé : un équilibre en jeu, actuellement en kiosque).
(Crédits : Denis Allard/Leextra pour La Tribune)

À quoi est dû l'engorgement actuel des urgences en France ?

Gérald Kierzek- Au-delà d'éléments conjoncturels, Covid-19 ou bronchiolite, l'engorgement actuel est avant tout dû à des éléments structurels. La crise, avec plus de 20 millions de passages par an ces dernières années et plusieurs dizaines de services d'urgence contraints de limiter leur activité, est multifactorielle et trouve ses sources en amont comme en aval. En amont des urgences : la question de l'accès aux soins et de l'orientation des patients, et en aval : le manque de lits d'hospitalisation. Autrement dit, si les urgences débordent, c'est aussi bien parce qu'en amont, les médecins généralistes ne sont pas assez nombreux et eux-mêmes débordés, et en aval, du fait des restructurations et des fermetures d'hôpitaux et d'un management humain inadéquat. Associée à cela, la transition démographique pèse également. La population vieillit avec des pathologies cardiovasculaires et des maladies chroniques nécessitant une prise en charge hospitalière. Les personnes âgées ont, logiquement, de plus en plus de problèmes de santé qu'il faut gérer, et de poly-pathologies qui ne rentrent pas dans une case quelconque de spécialité, par définition. Je veux donc tordre le cou à l'idée que si les urgences sont encombrées, c'est parce que des patients n'ont rien à y faire et y ont abusivement recours. Ce phénomène, que certains qualifient de bobologie - on va aux urgences pour un petit bobo - ne concerne qu'un faible nombre de cas, à peine 20 %, selon les estimations de la Cour des comptes dans son rapport annuel de 2019. Il ne faut pas culpabiliser les citoyens avec cela ! Un service d'urgence se doit d'accueillir toute détresse - réelle ou ressentie - et offrir une réponse professionnelle. Le vrai problème vient des patients couchés sur des brancards, parfois pendant des heures ou des jours, en attente d'un lit d'hospitalisation.

Certains parlent de la nécessité de « réguler » l'accès aux urgences, qu'en pensez-vous ?

G. K. Cela n'a pas de sens de vouloir réguler l'accès aux urgences ! Encore une fois, il faut évacuer cette idée que les gens y viennent de façon abusive. S'ils viennent, c'est qu'ils ont un problème, et restreindre leur accès aux urgences revient à leur demander de faire un autodiagnostic dangereux ! Les moyens mis en place, notamment dans le cadre des propositions pour un pacte de refondation des urgences, présentées par le gouvernement en décembre 2019, avec 754 millions d'euros sur la période 2019-2022, parmi lesquelles un service d'accès aux soins, pour mieux orienter les patients, que ce soit via une plateforme téléphonique comme le 15 pour le Samu ou SOS Médecins, se heurtent de toute façon à ce que je décrivais auparavant, c'est-à-dire le manque de professionnels et de services d'urgence. Les délais de réponse du 15 s'allongent, les régulateurs n'ont pas d'effecteurs disponibles et, in fine, il faut orienter les patients vers l'hôpital et les urgences !

Dans ce cas, quelles sont vos préconisations pour les services d'urgence ?

G. K. Les gouvernements successifs ont voulu réformer les petits services d'urgence, qui leur semblaient peu « rentables », et peut-être porteurs de risques pour la sécurité des patients. Ont donc été fermées un peu partout sur le territoire, à juste titre, des structures à trop faible activité d'urgences ou d'obstétrique. Mais, problème : les autres services d'urgence se retrouvent aujourd'hui avec 200 à 250 personnes à gérer par jour, de véritables usines à malades où le patient doit même prendre un ticket de passage à l'entrée, comme chez les commerçants ou certaines administrations ! Le malade est devenu un simple numéro ! La notion de plafond de saturation n'a jamais été posée et, selon mon expérience, la taille critique d'un service d'urgences est de 120 à 150 malades par 24 heures. Pas plus, car au-delà, c'est non seulement épuisant pour les personnels de soin, mais aussi dangereux. Bref, en médecine, les économies d'échelle ne sont pas pertinentes et sont même contre-productives en termes de qualité, de sécurité des soins et de ressources humaines. Il faut des services à taille humaine, pas des usines !

Que pensez-vous des dernières mesures qui ont été prises pour les urgences ?

G. K. La « mission flash », pilotée par François Braun, alors président de SAMU-Urgences de France et aujourd'hui ministre de la Santé, qui a rendu son rapport en juin 2022, a fait des recommandations pour l'été 2022 et au-delà, qui vont de l'information de la population sur le bon usage des services d'urgence à l'accompagnement du déploiement de la plateforme numérique du service d'accès aux soins sur tout le territoire en passant par le redéploiement des véhicules légers infirmiers de sapeurs-pompiers vers les zones non couvertes par un réseau mobile et le renforcement des effectifs de soignants... Ce sont des mesures court-termistes, cautères sur une jambe de bois. Quid de mesures structurelles et pérennes ? Quid du remaillage du territoire avec des hôpitaux de proximité ? Et quelles mesures d'attractivité, financières et managériales, pour toutes les professions du soin ? Cela me fait penser au Ségur de la santé, en juillet 2020. Annoncés en mars 2021, les investissements sur dix ans sont de 19 milliards d'euros, en partie pour la revalorisation des salaires des professionnels des établissements de santé et des Ehpad. À l'aune de ce qui a été dépensé pendant la crise sanitaire pour venir en aide aux entreprises, c'est bien peu. En outre, les mesures préconisées ne se concentrent que sur les symptômes, pas sur les causes profondes du malaise.

En effet, il semble qu'au-delà des urgences, c'est le fonctionnement de l'hôpital dans son ensemble qu'il faut revoir...

G. K. Absolument ! Et même, au-delà de l'hôpital, du système de santé dans son ensemble, depuis la formation et les carrières dans la médecine jusqu'aux parcours de soins en arrêtant ce sacro-saint « virage ambulatoire » qui nous a conduits à la sortie de route, en passant par l'aménagement du territoire en matière de structures de santé. Si l'on prend ce dernier point, il faut développer les structures de proximité avec un niveau 1 : médecins traitants, centres de santé ou maisons de santé, et un niveau 2 : hôpitaux et maternités de proximité, dont certains à rouvrir. D'autant que l'on peut, désormais, avec la technologie, faire des diagnostics de radiologie ou de scanner à distance. Le patient est pris en charge à côté de chez lui et le professionnel très spécialisé interprète les résultats à distance. Ensuite, si la chirurgie ambulatoire est un progrès, elle a été considérée avant tout comme une simple gestion des flux et l'opportunité de réduire les lits. En parlant de gestion des flux, l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris a même organisé des séminaires animés par des professionnels des remonte-pentes dans les stations de ski, l'idée étant qu'il faut que les entrées et les sorties se fassent le plus vite possible ! Or cette philosophie - je dirais même ce dogme - ne peut pas être appliquée de façon uniforme : tout dépend du profil du patient et de son environnement social. Si une personne âgée est seule, si un patient habite à 150 kilomètres de l'hôpital, faut-il les renvoyer chez eux directement après une intervention ? Non ! Le confort et la sécurité du malade doivent primer avant tout. L'ambulatoire a été appliqué en mettant la charrue avant les bœufs : on a d'abord fermé des lits sans tenir compte des besoins, dans une logique purement budgétaire, tout cela pour « faire du chiffre ». D'ailleurs, on se retrouve souvent avec un résultat catastrophique. On parle de « patients boomerang ». Libérés trop tôt, ils connaissent des complications et se retrouvent de nouveau à l'hôpital, aux urgences, en l'occurrence. Quel est l'intérêt ?

Y a-t-il aussi des mesures à prendre pour les études et les carrières des médecins, qu'ils soient urgentistes ou autres ?

G. K. Les études de médecine sont en effet à réformer pour sélectionner et former en fonction des besoins du pays. Il est aberrant de recaler en première année de médecine tant de jeunes pour ensuite faire appel à des médecins de l'étranger... Je pense aussi à l'attractivité des carrières. Il faut, en particulier, une plus grande flexibilité dans la pratique, qui permettrait d'offrir la possibilité à certains de faire des mi-temps : mi-temps d'organisation et mi-temps de soins, mi-temps médecine du travail et mi-temps généraliste, par exemple, et cela devrait pouvoir évoluer dans la carrière. Les étudiants choisissent leur spécialité définitivement à l'âge de 25 ans. Mais pourquoi devraient-ils s'y tenir jusqu'à la fin de leur vie professionnelle ? Pourquoi ne pas pouvoir changer de cap à mi-parcours ? En outre, la question des spécialités est cruciale. Nous voyons bien que les spécialités qui sont le plus choisies aujourd'hui sont celles qui sont les plus rémunératrices et les moins pénibles et qui n'ont rien à voir avec des choix de santé publique, en fonction des besoins identifiés. Il faut donc que, dans ce domaine, les modes de rémunération changent, de même qu'il faut, de manière plus générale, rapprocher les rémunérations entre le privé et le public. Nous assistons à l'heure actuelle à la disparition de certaines spécialités. Il n'est pas normal qu'en chirurgie viscérale, une appendicectomie, intervention qui présente des risques, soit, en matière de remboursement, cotée une misère dans la nomenclature. Et il est donc normal que le praticien prenne un dépassement d'honoraires. Même chose pour la gynécologie-obstétrique. Plus personne ne veut choisir cette spécialité, du fait du poids des assurances, des responsabilités et de la pénibilité à pratiquer des accouchements jour et nuit. Enfin, ceux qui veulent faire de la recherche devraient pouvoir le faire quand ils le souhaitent pendant leur carrière, alors que c'est, à l'heure actuelle, un système très figé et très pyramidal. En somme, vous avez pris la bonne voie d'aiguillage ou non... Cela n'est plus possible et en plus, cela ne correspond pas à ce que veulent les jeunes aujourd'hui. Il faut donc tout remettre à plat. Le système de soin français a connu des avancées en 1958 avec la réforme portée par Robert Debré, dont la création des centres hospitaliers universitaires (CHU) pour ramener les médecins à l'hôpital, et qui repensait également le maillage territorial. Mais aujourd'hui, nous avons les mêmes problèmes qu'avant cette époque. Il faut donc, entre autres, revoir de nouveau le maillage territorial et en finir avec le fait que les CHU doivent drainer toutes les carrières.

Cette mise à plat dont vous parlez requiert une co-construction, et mieux, une vision... Les décideurs, en particulier au gouvernement, vous semblent-ils aller dans ce sens ?

G. K. Après le choc pétrolier des années 1970, nous avons eu en effet d'abord des « gestionnaires », car il fallait faire des économies, voire, ensuite, des idéologues, qui voulaient en quelque sorte « marchandiser » la santé. Pour changer de cap, il faut aujourd'hui non seulement une vision englobante et transformatrice du système de santé - de la prévention au curatif, de la médecine générale à l'hospitalisation - mais aussi, et surtout, un poids politique, au sens où c'est le politique qui doit reprendre la main sur le système de santé. Or pour l'heure, c'est l'administration qui a la main... De fait, la loi Bachelot de 2009 a donné tout pouvoir à l'administration, sur la base d'une véritable autocratie des managers. Ce n'est guère mieux que le système des mandarins. Il est urgent aujourd'hui de rééquilibrer cette situation et que le financier se combine avec le médical. Ceux qui décident doivent être ceux qui font !

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T14

Commentaires 7
à écrit le 01/05/2023 à 20:34
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L'adhésion à l'UE, son uniformisation par le biais de directives Bruxelloises et l'adoption de l'euro sont les vecteurs de destruction de ce qu'était la France !

le 02/05/2023 à 10:08
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La France vient du mot "affranchie" c'est à dire libre ! On ne l'est plus depuis que l'on c'est ligoté avec nos voisins ! ;-)

à écrit le 30/04/2023 à 17:50
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Discours hors sol socialiste contre la régulation de tout flux migratoire malgré les atteintes ostensibles à la souveraineté de la France de la territorialité à l'accès aux soins...

le 01/05/2023 à 8:29
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mais bien sules idiots de technocrate qui dirige la sante eux savent quand il vas y avoir des accidents des perturbation sociologique et autre trouble naturelle. puisque la sante ne se mesure a partir du fric et de la parano des technocrate qui no...

à écrit le 30/04/2023 à 12:47
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Il est aberrant de recaler en première année de médecine tant de jeunes pour ensuite faire appel à des médecins de l'étranger. Les services hospitaliers sont remplis de médecins étrangers, venant du magreb, de l’Europe de l’est, etc... Quid des mesu...

à écrit le 30/04/2023 à 10:09
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Ou l'on constate que l'action politique des 30 à 40 dernières années a consisté à déconstruire un système qui fonctionnait bien, au prétexte de réaliser des économies qui ne se sont jamais concrétisées.

à écrit le 30/04/2023 à 10:04
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Cela n'a pas de sens d'avoir des urgences gratuites

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