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Partout dans le monde a débuté une nouvelle course contre la montre, cette fois pour traquer les variants. Tout juste identifiés, le variant britannique ainsi que ses cousins sud-africain et brésilien soulèvent de nombreuses inquiétudes : sont-ils plus dangereux ? Plus transmissibles ? Plus difficiles à détecter ? Plus résistants aux actuels vaccins ? Plus mortels comme l'a indiqué Boris Johnson, le Premier ministre britannique ?
Après avoir infecté les cellules humaines, les virus à ARN (comme le coronavirus) se reproduisent en se dupliquant comme des clones. Mais les nouvelles copies contiennent parfois des erreurs, appelées mutations. Dans une pure logique darwinienne, elles perdurent en cas de bonne adaptation du virus à son environnement. Plus un virus circule et plus il mute. Le variant britannique a été repéré dans 60 pays, dans 23 pour le sud-africain. D'autres ont été détectés notamment aux Etats-Unis. Ils ne représentent que la partie émergée de l'iceberg, leur multiplication étant favorisée par une circulation active du virus.
Première à avoir été repérée, la souche anglaise deviendrait majoritaire en France fin février-début mars, selon l'Inserm. Observée pour la première fois dans des échantillons prélevés mi-septembre dans le Kent, elle pourrait provenir d'un patient immunodéprimé. Infecté pendant une longue période sans parvenir à détruire le virus, ce patient aurait contaminé un nombre élevé de personnes. La capacité de transmission de ce variant apparaît en effet supérieure de 50 à 70% à celle du SARS-CoV-2 originel. Christian Rabaud, infectiologue et président de la commission médicale d'établissements du CHRU de Nancy, explique : « La mutation "501" conduit au remplacement d'un acide aminé par un autre au niveau de la protéine Spike, ce qui confère une plus grande capacité au variant britannique à s'attacher aux cellules humaines du système respiratoire. Plus transmissible à l'homme, il a un avantage sélectif par rapport au virus originel et il deviendra donc progressivement dominant ».
Contrairement aux premières craintes, les infections de ce variant ne semblent pas plus graves. Le profil des patients hospitalisés reste le même, excluant a priori les personnes sans facteur de risques et les enfants. Le vrai danger concerne l'échelle collective, la faute à un taux de reproduction du virus (le fameux R0) plus important. Le sud-africain serait également 50% plus contagieux.
Incertitudes sur les vaccins
Autre inquiétude majeure, la résistance aux anticorps neutralisants (capables de bloquer l'entrée du virus dans la cellule), sur lesquels s'appuient les vaccins. Jean-Daniel Lelièvre est chef du département d'immunologie clinique et de maladies infectieuses à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil : « Sur le variant anglais, aucun argument ne permet d'établir une perte d'efficacité vaccinale. Il n'en va pas de même pour les variants brésilien et sud-africain. Pour vérifier que les anticorps neutralisants ne fonctionnent pas sur eux, ils doivent être dépistés le plus possible chez les personnes en échec de vaccin. Mais pour l'instant nous n'avons pas ces données ». Concrètement, pour un million de vaccinés et une efficacité de 90 à 95%, une éventuelle surreprésentation de ces variants - indiquant que le vaccin ne fonctionne pas sur eux - devrait être recherchée chez 50 à 100.000 patients avant de tirer toute conclusion.
Dans chaque variant, le virus présente plusieurs types de mutations. L'efficacité du vaccin de BioNTech/Pfizer semble avérée contre la mutation N501Y, commune aux trois variants identifiés. En revanche, elle serait moins évidente sur la mutation E484K (également sur la protéine Spike), partagée par le sud-africain et le brésilien. Cette dernière permettrait au virus d'être moins bien reconnu par les anticorps issus de la vaccination et d'être moins souvent neutralisés par ces derniers. De récentes études préliminaires confirment cette piste et remettent même en question l'immunité des patients déjà infectés. Les chercheurs préconisent de développer un vaccin basé sur une autre caractéristique du virus que la seule protéine Spike, protéine qui le recouvre et qui est très sujette aux mutations. Les laboratoires pharmaceutiques restent confiants. Et pour cause, les vaccins à ARN messager peuvent être rapidement adaptés après un remplacement de séquence ARN en fonction des protéines ciblées. BioNtech a même promis un nouveau vaccin en six semaines. Resteront à régler les problématiques de production et de logistique...
Moderna confirme l'efficacité avec un "mais"
De son côté, la société de biotechnologie américaine Moderna a annoncé lundi 25 janvier que son vaccin était efficace contre les variants britannique et sud-africain. Les experts s'attendent à ce que le vaccin "protège contre les variants détectés à cette date", a-t-elle affirmé au terme d'essais. Moderna a toutefois précisé qu'elle allait travailler à développer une dose additionnelle pour accroître encore la protection contre ces variants.
"L'étude n'a pas montré d'impact significatif sur les titres (niveaux, ndlr) d'anticorps contre le variant B.1.1.7 par rapport à de précédents variants", a expliqué Moderna à propos du variant britannique.
En revanche, "une réduction par six" des niveaux d'anticorps contre le variant sud-africain (B.1.351) a été observée. Mais "malgré cette réduction", les niveaux d'anticorps "restent au-dessus de ce qui est attendu comme nécessaire pour procurer une protection", écrit Moderna cité par l'AFP.
Par ailleurs, les anticorps ne font pas tout. D'autres voies pourraient être explorées, comme la mémoire immunitaire, l'immunité innée ou cellulaire. « Un anticorps neutralisant fonctionnant moins bien est un signal d'alerte, mais cela ne permet pas d'affirmer que le vaccin ne marche plus. Il existe possiblement d'autres anticorps à étudier, ou encore la réponse lymphocytaire T, qui détruit la cellule infectée par le virus », précise Jean-Daniel Lelièvre.
Les chiffres de Santé Publique France ne reflètent pas la réalité... Pour faire barrage à l'épidémie, le comité scientifique de l'OMS appelle à multiplier le séquençage des coronavirus, c'est-à-dire leur analyse génétique. Dans ce domaine la France est à la traîne, devancée de loin par les champions anglais ou danois, en grande partie faute de moyens. Résultat, les chiffres de Santé Publique France (131 cas de variant anglais, et 10 de sud-africain) ne reflètent pas la situation réelle. D'après une première « opération flash » conduite les 7 et 8 janvier sur un quart des tests PCR positifs, 1,4% des infections résulterait d'un variant, soit 200 à 300 cas par jour ! Une deuxième opération de ce type devrait être lancée cette semaine. Une analyse plus fine nécessite ensuite un couplage des résultats avec des données épidémiologies (comptage, observation de la population).
La stratégie de lutte contre le coronavirus va devoir être ajustée, sans pour autant tout remettre en cause. « Même si le vaccin était moins efficace, voire inefficace, vis-à-vis de certains nouveaux variants, il confère une immunité efficace sur la souche originelle ainsi que sur son variant anglais. Il empêche ainsi les cas graves dus à ces souches et favorise le ralentissement de la circulation du virus, rappelle Christian Rabaud. Le port du masque, l'aération des espaces clos, les gestes barrières font également partie des mesures permettant de réduire sa propagation. Plus le virus va circuler, plus la possibilité de mutation est importante, la vaccination garde donc tout son sens ». Le gouvernement, quant à lui, pourrait opter très prochainement pour une mesure plus radicale pour protéger la santé des Français : un nouveau confinement.
Car, la circulation des variants « change complètement la donne », a indiqué ce dimanche le président du Conseil scientifique Jean-François Delfraissy. Atteignant déjà des niveaux de 7% à 9% des cas dans certaines régions, ils entraînent « l'équivalent d'une deuxième pandémie », selon lui. Auquel cas on seraient ramenés au point de départ, à la situation de février-mars 2020...