Dans les entrailles de Bercy : comment l'Etat lève des milliards de dettes « quoi qu'il en coûte »

REPORTAGE. Face à l'ampleur de la crise, l'Agence France Trésor peut lever plusieurs dizaines de milliards d'euros chaque mois. La Tribune a eu accès aux coulisses de cette salle des marchés au coeur de l'appareil d'Etat qui souffle cette année ses 20 bougies.
Grégoire Normand
Dans la salle des marchés à Bercy à quelques minutes de la fin de la séance d'adjudication.
Dans la salle des marchés à Bercy à quelques minutes de la fin de la séance d'adjudication. (Crédits : Grégoire Normand)

"Plus que trois minutes avant la fin de la (*) séance"... derrière les murs d'écrans multicolores remplis de chiffres, la pression monte sur les opérateurs les yeux rivés sur le compte à rebours. Au neuvième étage du bâtiment Colbert dans l'enceinte du paquebot Bercy, la tension est palpable au sein de la petite équipe de l'Agence France Trésor (AFT) réunie dans l'immense open-space à moitié vide pour cause de Covid. En ce lundi de mai pluvieux, une grande partie du personnel est en télétravail. Les "traders" de Bercy tentent de garder leur sang-froid à quelques secondes de la fin du décompte. Le directeur général Anthony Requin et son adjoint Cyril Rousseau supervisent l'opération d'un regard concentré.

En seulement quelques minutes, près de 6,5 milliards d'euros ont été empruntés sur les marchés. A l'intérieur, la température redescend d'un coup après cette séance de vente aux enchères un peu particulière. Dehors, les nuages se dissipent au-dessus de la Seine près du ministère des Finances. Depuis plus d'un an, les services de l'Agence France Trésor sont submergés par les différentes vagues épidémiques. Les besoins de financement de l'Etat français ont explosé. La mise sous cloche de l'économie en 2020 a entraîné un effondrement brutal et violent de l'activité. En réponse, le gouvernement a déployé un arsenal d'aides en dépensant des sommes astronomiques pour tenter de limiter la casse.

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 > Lire aussi : Un an de crise : la dette publique s'envole, les entreprises sous oxygène

Une agence au coeur de la tempête

Les effectifs composés d'une cinquantaine d'agents sont au cœur de la crise depuis plus d'un an. Les sommes manipulées par ces opérateurs ont gonflé avec les crises successives survenues depuis une quinzaine d'années. "Avant la grande crise financière de 2008, les programmes de financement de l'État étaient autour de mais légèrement inférieurs à 100 milliards d'euros par an. Il y a eu un changement de palier par la suite, avec une fourchette d'émission de titres à moyen long terme comprise entre 170 et 190 milliards d'euros au cours de la période 2009-2017. En 2019, on atteignait les 200 milliards d'euros et avec la crise Covid, on a atteint les 260 milliards d'euros" déclare Anthony Requin, directeur de l'agence.

Cette agence en charge de la gestion de la dette et de la trésorerie de l'Etat née en 2001 est secouée par les plongeons toujours plus spectaculaires de l'économie mondiale. Pourtant, le personnel aux manettes ce jour-là semble avoir traversé le pire. Après une chute inédite de la croissance en 2020 et quatre projets de loi de finances rectificative (PLFR), les moteurs de l'économie française redémarrent depuis quelques jours. La levée progressive des mesures de restriction jusqu'à la fin du mois de juin et l'accélération de la vaccination ces dernières semaines ont insufflé un vent d'optimisme dans cette salle des marchés au cœur de l'appareil d'Etat. Il faut dire que le printemps 2020 a été particulièrement tumultueux pour ces opérateurs de marché.

Bercy ministère de l'Economie

Le ministère des Finances. Crédits : Reuters.

La dette française, une valeur très convoitée malgré la crise

En dépit d'une dégradation spectaculaire de la conjoncture, la dette française demeure une valeur très convoitée pour les spécialistes en valeur du trésor (SVT). Ces 15 grandes banques se réunissent chaque semaine avec des représentants de l'AFT pour déterminer une fourchette de leurs besoins en financement. Dans ce groupe figurent quelques poids lourds comme BNP Paribas, la Société générale, Deutsche Bank ou Goldman Sachs. "Les spécialistes en valeur du Trésor ont la responsabilité de participer aux adjudications, de placer les valeurs du Trésor et d'assurer la liquidité du marché secondaire" rappelle le ministère des Finances.

Malgré la pandémie, la dette française suscite toujours l'appétit des investisseurs et la "signature française" conserve une certaine confiance. "La France reste bien notée par les agences de notation. Le choc causé par la Covid-19 a touché l'ensemble des pays et pas seulement la France. Donc du point de vue des agences de notation, la France ne subit pas un choc spécifique, même si c'est un choc qui a affecté particulièrement le modèle productif français, au vu de sa spécialisation sectorielle (aéronautique, automobile, tourisme)" explique Anthony Requin. Comment expliquer cette convoitise ?

"Du point de vue des agences de notation, la France est entrée dans la crise avec des finances publiques pas encore complètement rétablies mais elle bénéficie d'une flexibilité financière importante en témoigne sa capacité d'accès aux marchés de capitaux, à des taux d'intérêt très faibles et elle bénéficie d'une maturité moyenne de sa dette plutôt élevée. Lors de cette crise, la France a pu bénéficier de taux beaucoup plus attractifs que lors du choc de 2008-2009 où les taux étaient entre 3% et 4%. La France traverse cette crise avec des conditions d'emprunt bien plus faibles et une maturité d'émissions pour les opérations de l'année bien plus élevée. Tous ces éléments constituent des coussins de protection pour l'avenir" ajoute-t-il.

Sur le futur justement, beaucoup d'incertitudes et d'aléas demeurent sur le plan sanitaire. L'explosion du variant indien au Royaume-Uni et la capacité du virus à muter continuent de susciter des doutes. En outre, il est encore difficile à ce stade de mesurer l'ensemble des conséquences macroéconomiques sur le système productif français. "Il  faudra attendre un peu que la poussière retombe pour voir si la France est plus touchée que d'autres pays. Tout va dépendre de la capacité du modèle productif français à se relever rapidement et à pouvoir fonctionner à nouveau à plein régimeLe gouvernement s'y emploie avec le plan de relance français et le plan de relance européen" ajoute le haut-fonctionnaire.

Il veut cependant rester optimiste sur les capacités de rebond de l'économie tricolore. "ll y a des motifs d'espérance. Ainsi les données économiques du troisième trimestre 2020 ont montré une forte capacité de rebond de l'économie française. Les agences de notation et les investisseurs, au-delà de l'impact de la crise sur les ratios de dette, tiennent aussi compte de ses conditions de financement. De ce point de vue, la Banque centrale européenne (BCE) a joué un rôle important en abaissant le coût de la dette. La dette est certes beaucoup plus élevée mais elle coûte beaucoup moins cher qu'au début des années 2000" complète-t-il. Si les débats sur l'annulation ou le rééchelonnement de la dette française sont retombés, la réouverture de l'économie et la sortie de crise de crise qui se profile pourraient bien remettre ces questions brûlantes au centre des débats.

À retenir


  • Du BTF et des OAT, késako ? Pour couvrir ses importants programmes de financement, la puissance publique a recours à plusieurs instruments. Elle doit rembourser la dette émise précédemment qui arrive à échéance et le déficit budgétaire voté chaque année par le Parlement. Le plafond d'émission de l'AFT est déterminé par la représentation nationale chaque année au moment du vote de la loi de finances. Ensuite, le composition des émissions est entre les mains de l'Agence France Trésor qui doit fixer au mieux la meilleure stratégie possible. L'administration propose ainsi plusieurs types de titres aux investisseurs. Ces produits correspondent aux BTF (bons du trésor à taux fixe) et des titres d'une maturité supérieure à deux ans. Il s'agit des OAT d'une durée de deux ans à cinquante ans au maximum. Ce sont des obligations assimilables du trésor. Sur les OAT, il existe différents types de produits comme des OAT fixées sur l'inflation française et d'autres sur l'inflation européenne. "Les poussées inflationnistes peuvent aussi pour nous en tant qu'agence d'émission être une opportunité. Ces poussées relancent ainsi l'intérêt pour les émissions de titres indexés sur l'inflation. Pendant les phases de récession, ces titres suscitent plutôt un moindre intérêt des investisseurs. C'est un marché assez procyclique dans son fonctionnement. Quand les tensions inflationnistes surgissent, davantage d'investisseurs souhaitent se protéger contre le risque inflationniste et cela suscite un regain d'intérêt et d'appétit pour des titres indexés sur l'inflation, qui sont dès lors mieux valorisés" explique Anthony Requin.

(*)"La séance d'adjudication met en face à face l'Etat en tant qu'émetteur et les quinze spécialistes en valeurs du trésor qui sont des intermédiaires. Ce sont en général des banques. Ils vont venir acheter les titres émis par l'Etat lors d'un processus d'enchères. A charge aux intermédiaires de revendre ces titres sur le marché secondaire aux banques centrales, aux banques commerciales ou aux assurances" rappelle un podcast de l'AFT.

Grégoire Normand
Commentaires 7
à écrit le 26/05/2021 à 9:01
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Quand une dette arrive à échéance, on la rembourse en faisant un emprunt qui sera remboursé par un nouvel emprunt à échéance, une sorte de fond de roulement. Il reste les intérêts à régler, et là ça dépend du taux, qui peut devenir très(trop) positif...

à écrit le 26/05/2021 à 8:17
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Travailler à L’agence FRANCE Trésor doit être très déprimant de voir son pays qui emprunte massivement sans solution

à écrit le 26/05/2021 à 5:23
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350 Milliards d'eur empruntés et en 2019 et en 2020 et en 2021 ? pour rembourser le capital !! échu chaque année. 2600 Milliards d'eur de DETTE : 120% du P.I.B Ann et 69% en Allemagne, qui la baisse, et vite. TOUS LES RAPPORTS DE LA COUR DES COM...

à écrit le 25/05/2021 à 12:29
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pour réaliser les transferts économiques pour ses amis milliardaires, macron a besoin de dette, qui celle ci par la com par la suite ouvre des marchés et ainsi permet la privatisation des bénéfices en renflouant l'entreprise par les fonds de l'état ....

à écrit le 25/05/2021 à 11:49
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Si nos députés faisaient leur boulot, on devrait en trouver au moins un en permanence pour veiller aux intérêts (à taux négatif) de la France, mais ils trop heureux de bénéficier de l'argent, "gratuit" ou presque, que leur procure leur fonction au ...

à écrit le 25/05/2021 à 8:30
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Ca va mal se terminer, tout ça. S'il n'y a pas un crack d'ici le mois de Septembre, je serais très étonné

à écrit le 25/05/2021 à 8:29
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Bah quand on sait que Sarkozy a pu vendre en douce le quart du stock d'or français qui plus est au moment où son cours était le plus bas on se doute que tant que les politiciens sont soumis aux marchés financiers et obéissent à leurs ordres il n'y a ...

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