Hôpital essoré, soignants épuisés, inégalités renforcées, accès aux soins parfois compliqué, les deux ans de crise sanitaire ont donné un coup de projecteur sur les failles de notre système de soins. La plupart des candidats s'accordent sur un point : il est à bout de souffle. Les années 2000, où l'Hexagone caracolait en tête du classement de l'OMS pour les « meilleurs soins de santé généraux », semblent bien loin. L'hôpital et les déserts médicaux sont au cœur des préoccupations des aspirants à l'Élysée et des électeurs, comme le montrent différentes enquêtes d'opinion.
Ces sujets ne sont pas nouveaux, les difficultés d'accès à un médecin figuraient déjà dans certains programmes en 2017 et la communauté hospitalière avait alerté sur les tensions bien avant la pandémie. Zaynab Riet, déléguée générale de la Fédération Hospitalière de France (FHF), avance deux grandes priorités pour l'hôpital public lors du prochain quinquennat :
« En matière de financement, il ne faut pas retomber dans la politique d'économie comptable que nous avons connue ces dernières décennies. Et concernant les RH, le recrutement a minima de 25.000 infirmiers et aides-soignants est indispensable pour combler les seuls postes vacants. Les contraintes liées à la continuité du service public doivent également être reconnues ».
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La porte-voix des établissements publics réclame notamment un financement appuyé sur une logique pluriannuelle (5 ans) et une hausse minimale de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) de 2,4 % par an.
Revoir la tarification à l'hôpital
Dans les programmes, l'urgence est de limiter, voire supprimer, la tarification à l'activité (T2A). Introduite en 2004 pour remplacer la dotation globale de financement. Son principal défaut est d'entraîner une course à la rentabilité, au détriment de la qualité. « La T2A n'incite pas les établissements à réguler leur activité de soins puisque leur niveau de ressources en dépend directement. Elle pousse plutôt à agir sur la productivité », constatait déjà la Cour des comptes en 2017. Mais faut-il complètement la supprimer ?
En 2018, l'actuel président de la République, Emmanuel Macron, avait opté pour un plafonnement. « MaSanté2022 avait pour objectif de ramener la T2A à 50% du financement total des établissements, explique Zaynab Riet. A l'hôpital public, nous en sommes très proches, (de l'ordre de 57%) et cette perspective est la bonne. L'enjeu, aujourd'hui, est de réduire sa part pour les cliniques et les libéraux. Pourquoi ? Parce qu'il faut financer les parcours, la prévention pour tous les acteurs, ce qui suppose de limiter le financement à l'acte. Par ailleurs, avec une population vieillissante et des maladies chroniques qui continuent de se développer, il faut en effet mieux financer les consultations dédiées à la prévention ou à l'éducation thérapeutique.
L'autre priorité est de réviser les tarifs et de revoir toute la nomenclature des actes, car pour beaucoup la rémunération n'est plus adaptée aujourd'hui. Fabien Roussel (PCF) et Nathalie Arthaud (LO) supprimeront ce mode de tarification et Marine Le Pen (RN) reviendra au système de dotation globale.
« Nous ferons évoluer la T2A en prenant mieux en compte la qualité des soins, y compris celle perçue par les patients. Elle devra mieux rémunérer certaines missions essentielles, comme la prévention ou l'accueil des personnes en situation de handicap », indique l'équipe de campagne de Valérie Pécresse (LR). Yannick Jadot (EELV) appuiera le financement de l'hôpital « sur les besoins réels de la population en réservant la tarification à l'activité aux seuls actes techniques et programmables », et Anne Hidalgo (PS) mettra en place une dotation en fonction des « besoins locaux de santé publique ».
Emmanuel Macron (LREM) poursuivra le chantier en cours à l'image de la réforme conduite pour les urgences avec « un financement populationnel, un financement à l'activité, ciblé sur des parcours de soins spécifiques, et un financement à la qualité », précise son équipe.
Surenchère dans les recrutements
A l'automne dernier, une enquête du Conseil scientifique mettait le feu aux poudres : 20% de lits auraient fermé à l'hôpital en pleine pandémie. Après enquêtes, 2% seraient finalement concernés, selon le ministère de la Santé, et 6% selon la FHF. Mais les difficultés de recrutement et l'absentéisme sont bien réels et mettent l'hôpital et les soignants sous pression.
Résultat, les promesses de recrutement (et d'augmentation des salaires), pleuvent : 40.000 pour Eric Zemmour (R), 25.000 pour Valérie Pécresse, 100.000 infirmiers pour Yannick Jadot. Jean-Luc Mélenchon (LFI) va « rouvrir progressivement des lits en fonction des capacités », Jean Lassalle (Ré) en créera 20.000. Marine Le Pen instaurera un « moratoire sur les fermetures ».
Parmi les autres dénominateurs communs : l'allègement administratif. Valérie Pécresse, défend une « débureaucratisation » de l'hôpital et plus de numérique. Emmanuel Macron poursuivra « la simplification de l'hôpital et de la gouvernance » amorcée avec le Ségur de la santé. En ligne de mire : les formalités chronophages qui seront passées au crible par une « task-force ».
La santé a beau être omniprésente dans les campagnes, certains thèmes importants sont restés sur le banc de touche. Laure Millet est responsable du programme santé de l'Institut Montaigne :
« Le virage ambulatoire et la prise en charge à domicile sont peu traités dans les programmes, alors que ces sujets sont essentiels. La population vieillit et une majeure partie souhaite être prise en charge chez elle. Consolider cette offre à domicile est donc un vrai défi, et cela permettrait de décharger l'hôpital. Certains candidats abordent ce sujet de façon transversale à travers leurs propositions sur l'autonomie, mais sans le mettre suffisamment en avant. De même pour le numérique, qui est mentionné dans certains programmes, en particulier la télémédecine, mais sans mesure très claire en faveur de l'investissement dans les systèmes d'information et le recueil de données en ville et à l'hôpital ».
Stop aux déserts médicaux
A l'inverse, les déserts médicaux sont au cœur du débat présidentiel. En quelques années, ils se sont étendus et gagnent désormais certains centres-villes. En toile de fond le nombre insuffisant de praticiens formés (10.000 par an) et une mauvaise répartition sur le territoire, avec un grand écart entre le Centre-Val-de-Loire et la région PACA.
Le « numerus clausus » a certes été supprimé lors de la dernière rentrée universitaire, mais il faudra attendre une dizaine d'années pour en mesurer les effets. De plus, les incitations financières pour exercer dans les territoires sous-dotés fonctionnent mal.
Faut-il toucher à la liberté d'installation, totem de la médecine libérale ? Yannick Jadot (EELV) et Fabien Roussel (PCF) conditionneront les installations dans les zones déjà bien pourvues au départ d'un autre médecin et le candidat écologiste mettra en place une obligation « temporaire et transitoire » d'exercice en territoire sous-dense à la fin de l'internat et pour les premières années d'exercice.
Marine Le Pen (RN) modulera le tarif selon les lieux d'exercice. Anne Hidalgo (PS) formera 15.000 nouveaux médecins par an avec une année comme assistant à la fin de l'internat de médecine générale dans les zones sous-dotées.
Valérie Pécresse créera un statut de « docteur junior » incluant un an de stage dans ces dernières (moyennant une hausse des tarifs) et portera à 20.000 par an les admissions en deuxième année de médecine. Nicolas Dupont-Aignan (DLF) proposera une bourse aux étudiants contre une installation dans un désert médical pendant leurs cinq premières années d'exercice. Eric Zemmour (R) embauchera 1.000 médecins salariés dans des centres communaux et départementaux.
Démocratie sanitaire
Certains candidats proposent de s'appuyer sur d'autres professionnels de santé. Jean-Luc Mélenchon (LFI) mise sur des infirmiers de pratique avancée salariés et les sages-femmes. Il veut également « mailler le territoire de centres de santé pluri-professionnels », une piste partagée avec Philippe Poutou (NPA). Emmanuel Macron (LREM) développera le recours aux assistants médicaux, et installera des pharmaciens et infirmiers « référents » compétents pour les actes simples. Il évoque également une « régulation de l'installation », tandis que les jeunes originaires des régions sous-dotées seront accompagnés pendant leurs études de médecine pour les inciter à revenir y exercer.
Et si la solution pour un meilleur accès aux soins passait aussi par plus d'implication de la population ?
« Le mot-clé patient est évoqué dans un grand nombre de programmes mais sans outil concret d'implication dans le système de santé, observe Laure Millet. Près de 40 % des Français ont l'impression de vivre dans un désert médical, mais selon une étude de la Mutualité Française, seuls 10 à 12% vivent effectivement dans des zones qualifiées comme telles, ce qui montre bien l'écart important entre la perception et la réalité.
L'expert de l'institut Montaigne poursuit :
Il peut s'expliquer en partie par un manque d'information important sur la qualité et la pertinence des soins. Depuis plusieurs années, nous plaidons pour la création d'indicateurs de qualité co-construits par les patients et les professionnels de santé. Ces indicateurs sont un levier pour réformer le financement des soins, en pilotant le système de santé par la qualité, mais aussi pour renforcer la démocratie sanitaire ».