France : 1.990 enfants à la rue, l'hébergement d'urgence saturé

Alors que le nombre d’enfants à la rue n’a jamais été si élevé en France, nous sommes allés à la rencontre de familles sans abri qui tentent avec difficulté d’échapper au froid.
Pauline Delassus
La directrice de l’école Saint-Exupéry de Villeurbanne a ouvert une salle de classe pour héberger Beverly, Jessie et leur mère.
La directrice de l’école Saint-Exupéry de Villeurbanne a ouvert une salle de classe pour héberger Beverly, Jessie et leur mère. (Crédits : © Laurence Geai/MYOP pour la Tribune Dimanche)

Que va-t-elle faire de sa vie ? Regard dans le vague, la petite fille tient dans ses bras un ours en peluche. Dans l'immédiat, se protéger du froid, trouver de quoi se nourrir, tenter de dormir. L'avenir attendra. Assise sur une couverture posée sur le sol gelé, Erisa regarde passer les voitures qui frôlent la tente où elle s'abrite avec ses parents. Il neige à Lyon.

Leur voyage ressemble à une fuite

Les passants du quartier Jean-Macé marchent d'un pas pressé, lui jetant parfois un regard surpris. Neuf ans et sans logement. Le bitume pour seul horizon, l'ennui comme seule occupation. Arrivée d'Albanie il y a trois mois, elle s'est installée avec ses parents sous un pont où campent d'autres SDF. Les raisons de leur départ d'Albanie sont floues. Denisa, la mère, évoque des maltraitances, les yeux embués de larmes. Quand sa fille s'inquiète, elle lui promet : « Plus tard tu auras une belle vie. »

Leur voyage ressemble à une fuite, en bus, via la Serbie, la Hongrie, puis l'Allemagne. L'installation sur ce bout de trottoir où nous les rencontrons s'est faite dans la violence. Une agression au couteau a marqué la petite. Au commissariat le plus proche, où ses parents ont porté plainte, les policiers ont indiqué une école élémentaire où l'enfant pourrait être scolarisée. Erisa est depuis peu inscrite en classe de CM2 et suit des cours de violoncelle le mercredi après-midi avec d'autres élèves. Les enseignants se sont mobilisés pour lui permettre de passer les nuits avec ses parents dans l'enceinte de l'école, sur des lits de camp, au chaud.

Un réconfort précaire. La journée, la famille retrouve la rue. Denisa a adressé une demande d'asile aux services de l'État et, dans l'attente d'une réponse, perçoit une allocation de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, en moyenne 400 euros par mois et par ménage. Pour nourrir Erisa, elle sollicite les Restos du cœur ou le Secours catholique. Plusieurs fois, elle a appelé le Samu social, au 115, sans que lui soit proposée de solution d'hébergement, faute de disponibilité dans les hôtels sociaux et foyers de la région.

1990 enfants à la rue, l'hébergement d'urgence saturé

Cette famille hongroise fait la manche depuis des mois dans le centre de Lyon.

Il y a quinze ans, il n'y avait pas de femmes et d'enfants dehors

Christophe Robert, de la Fondation Abbé-Pierre

Nombre record de sans domicile fixe

La préfecture du Rhône compte 24.000 places, toutes occupées. Cette saturation, que l'on retrouve sur l'ensemble du territoire français, est notamment provoquée par le manque de logements sociaux.

« De nombreuses personnes éligibles à un logement social n'en trouvent pas et restent en hébergement d'urgence, ce qui empêche les nouveaux arrivants d'être mis à l'abri », explique- t-on au cabinet du préfet.

Les crises économiques et migratoires sont aussi en cause dans le nombre record de sans domicile fixe en France, 330.000 selon le récent rapport de la Fondation Abbé-Pierre, avec une recrudescence de femmes, d'enfants et d'étrangers. L'Unicef a dénombré près de 2.000 mineurs non hébergés en France en 2023, dont 483 de moins de 3 ans, pourtant prioritaires, un chiffre non exhaustif car beaucoup de familles, découragées, ne composent pas le 115 et ne sont donc pas comptabilisées.

Pour ceux qui n'accèdent pas à l'hébergement d'urgence, restent la rue, un hall d'immeuble, un parc ou un parking, la main tendue d'un riverain qui ouvre sa porte, parfois la cabane d'un bidonville ou une tente dans un campement sauvage. De la survie dans le froid et l'insécurité.

1990 enfants à la rue, l'hébergement d'urgence saturé

Erisa, 9 ans, et ses parents sous un pont de la gare Jean-Macé, à Lyon. À l'école elle apprend le violoncelle.

A Lyon, l'action des bénévoles

À Lyon, l'association Jamais sans toit, fondée en 2014, vient en aide aux élèves scolarisés sans domicile. En collaboration avec la FCPE, l'Unicef et la Fédération des acteurs de la solidarité, ces bénévoles ont permis de mettre à l'abri plus de 700 enfants dans l'agglomération à l'issue d'occupations illégales de lieux et de négociations avec les municipalités et l'État. À Villeurbanne, le centre culturel est occupé depuis le 8 novembre par 90 femmes et enfants. Il y fait chaud mais le vacarme est constant. Les gamins jouent, crient, pleurent, rient aussi. Une cuisine rudimentaire permet de préparer les repas et de laver les plus jeunes. Matelas et couvertures sont posés sur le sol, chacun a tenté de s'aménager un coin à soi. Quelques affaires personnelles, photos, jouets, vêtements, font croire à un semblant d'intimité. Des femmes enceintes tentent de trouver une position confortable sur des chaises en plastique, des vieilles dames discutent, visages creusés, mots anxieux. Ce soir, une réunion se tient avec des membres du Droit au logement (DAL) et le collectif Solidarité entre femmes à la rue, qui œuvre à améliorer leurs conditions de vie.

Les nouvelles sont graves. Le matin, le tribunal a ordonné l'évacuation du centre culturel sous huit jours. Mais, après deux mois d'occupation, une solution aurait été trouvée par la mairie de Villeurbanne, une maison inoccupée vendue à l'État par une congrégation religieuse permettrait d'accueillir prochainement une cinquantaine de femmes et d'enfants. Les autres pourraient être logés dans des hôtels. Il est temps, des tensions apparaissent, des épidémies de grippe et de varicelle ont émoussé les dernières forces.

1990 enfants à la rue, l'hébergement d'urgence saturé

Sarah et son fils de 9 mois campent depuis le 8 novembre dans le centre culturel de Villeurbanne.

Marie, Guinéenne de 39 ans, attend avec impatience de savoir si, avec ses fils de 11 et 9 ans, elle va pouvoir retrouver un vrai lit, une douche, échapper enfin à l'insupportable promiscuité. Des sœurs jumelles de 15 ans venues d'Angola, elles, n'espèrent plus. Au collège où Allegria et Bianca sont inscrites, leurs camarades ne savent rien de leur situation. Le soir, elles tentent de réviser leurs leçons malgré le bruit. Leurs yeux ne disent qu'une tristesse infinie. Seule évasion, les réseaux sociaux et la musique qu'elles écoutent sur leur téléphone. L'une rêve de devenir chirurgienne, l'autre experte-comptable, sans plus y croire. Leur père assure que c'est pour fuir des menaces de mort qu'il les a entraînées dans l'exil. Non loin, Sarah, Marocaine de 20 ans, berce son petit garçon. Le bébé de 9 mois aux grands yeux noirs n'a jamais eu de toit.

Ailleurs dans Lyon, Lawari, Algérien de 40 ans, s'est vu attribuer une chambre d'hôtel après sept mois passés dans une cage d'escalier avec sa femme et leurs enfants de 5 et 4 ans. Juste à temps pour accueillir leur dernier-né, une petite fille, âgée de 1 mois aujourd'hui. « Cette chambre est petite pour nous cinq mais on n'y a pas froid, confie ce cariste de profession. La vie en Algérie était tellement difficile que nous préférons cette situation en France plutôt que de repartir. » Ils doivent libérer l'hôtel à la fin du mois de janvier sans savoir si et où ils seront relogés.

1990 enfants à la rue, l'hébergement d'urgence saturé

Les enfants occupant le centre culturel de Villeurbanne devraient être relogés dans les jours qui viennent.

À Lyon comme à Paris ou à Marseille, les récits d'errance se ressemblent, la misère est la même, et l'on retrouve souvent ce choix, qui semble parfois inconscient, de quitter sa patrie dans l'espoir d'une vie meilleure ailleurs. Christophe Robert, de la Fondation Abbé-Pierre, dénombre, sur une seule journée en janvier, 5 200 personnes sollicitant le 115 et ne trouvant pas d'hébergement, dont 1 600 mineurs, une augmentation de 30 % par rapport à l'année passée.

« Et deux tiers des personnes à la rue n'appellent pas le Samu social, précise-t-il. Il y a quinze ans, il n'y avait pas de femmes et d'enfants dehors. »

Il confirme qu'une grande partie des sans-abri sont étrangers, indiquant que seuls 58 % des demandeurs d'asile trouvent une place en centre d'accueil (Cada). « Mais il y a d'autres profils, ceux qui n'ont plus ni boulot ni revenu, des personnes sortant de prison, des malades psychiatriques, des femmes victimes de violences, de jeunes adultes isolés... »

Liste éplorée de la

Circulaire Valls

pauvreté en 2024. Depuis la circulaire Valls, prise par le ministre de l'Intérieur en 2012 pour éviter l'arbitraire des décisions en préfecture, cinq années de présence en France et un enfant scolarisé depuis au moins trois ans permettent aux sans-papiers de déposer une demande de titre de séjour. Parmi ceux que nous rencontrons, plusieurs évoquent cette disposition qui aurait permis en dix ans plus de 300 000 régularisations. Pour certaines familles c'est l'objectif, endurer des années de galère sans domicile fixe dans l'espoir d'obtenir des papiers. Un père l'affirme : « Ça vaut le coup d'attendre, là d'où on vient il n'y avait pas d'avenir. »

Ortavie, mère congolaise de Beverly, 5 ans, et de Jessie, 6 ans, tous deux français, possède une carte de séjour. À la recherche d'un emploi, elle ne peut pour l'instant se loger. Pendant des mois elle a habité avec ses petits un local au sein d'un parking de Villeurbanne, jusqu'à une rencontre providentielle. Christelle de Saint Jean, directrice au grand cœur de l'école des enfants, lui a proposé de passer leurs nuits dans une salle de classe. Des lits d'appoint ont été installés et 20 enseignants s'organisent pour dormir à tour de rôle dans une salle adjacente et veiller à leur sécurité.

1990 enfants à la rue, l'hébergement d'urgence saturé

Une fratrie venue d'Albanie y a également trouvé refuge après des mois d'errance.

Mon fils s'en sort, ma fille a plus de mal, elle parle peu et grince des dents pendant son sommeil

Ortavie, mère sans abri

Grâce à ces hommes et ces femmes de bonne volonté, fonctionnaires si fréquemment en première ligne face à la détresse sociale, jouets et livres ont remplacé les pots d'échappement de leur précédent logis.

« Mon fils s'en sort, ma fille a plus de mal, elle parle peu et grince des dents pendant son sommeil », souffle Ortavie, 34 ans, éprouvée et pourtant si digne.

Son mari est parti se former en mécanique au Québec grâce à un visa étudiant. Elle attend d'en obtenir un également pour pouvoir le rejoindre. La neige tombe toujours sur Lyon quand, dans une rue commerçante, les pleurs d'un garçonnet font se retourner les promeneurs. Assise par terre sous une couverture, sa mère essaie de le calmer et le met au sein. Deux ans, le visage couvert de larmes et de crasse, l'enfant vit avec ses parents et sa sœur de 4 ans dans une cabane, cours d'Herbouville, au bord du Rhône. Ils viennent de Budapest, en Hongrie, et disent appartenir à la communauté rom. Une assistante sociale suit cette famille qui fait la manche pour subvenir à ses maigres besoins. Leur aînée va à l'école, seule chance dans cette misérable existence.

Brigitte Macron : « Ça, c'est pas possible ! »

Ce même jour, la première dame, Brigitte Macron, était de passage à Lyon pour lancer la campagne des pièces jaunes. « Ça, c'est pas possible ! » a-t-elle lancé quand le maire Grégory Doucet a évoqué devant elle le sort des enfants à la rue. Le 8 janvier, le gouvernement a annoncé le déblocage de 120 millions d'euros supplémentaires alloués à des logements d'urgence, qui permettraient 10 000 nouvelles places. En attendant, l'hiver avance et les associations doivent au plus vite trouver des solutions. À Lyon, ce vendredi, une nouvelle occupation illégale a été menée par Jamais sans toit. Dans les locaux d'une école du 9e arrondissement, 54 enfants et leurs parents ont été mis à l'abri. Jusqu'à quand ?

Cette année en France

330 000 personnes sont sans domicile selon la Fondation Abbé-Pierre
203 000 places d'hébergements d'urgence sont financées par l'État
1 990 mineurs restent sans solution d'hébergement malgré l'appel au 11
483 enfants de moins de 3 ans sont SDF

Pauline Delassus
Commentaires 4
à écrit le 15/01/2024 à 9:19
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qui se souvient de la promesse de Macron de supprimer les SDF...

à écrit le 15/01/2024 à 3:27
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C'est honteux personne au 21 siècle devrait dormir dehors et surtout pas les enfants dans un pays des droits de l'homme et qui balance allègrement des milliards dans le tonneau des danaides. Si c'est cela la grande Europe que l'on nous a vendu...

à écrit le 14/01/2024 à 18:19
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Oui, vous les faites juste venir pour les faire travailler à bas prix, et vous oubliez de les loger. Où vous les envoyer se loger dans des endroits que vous ne voyez pas. Mais vous avez raison, seule une minorité de français s'amuse à cela. Mais j'a...

à écrit le 14/01/2024 à 11:07
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Qu on arrête de nous culpabiliser .. ce ne sont pas les français qui ont mis ces gosses a la rue …De quels enfants parle t on ? Ce sont Ceux venus avec leurs parents illégalement … que leurs parents assument leur choix de l’être en danger leur enfant...

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