Et si l'Algérie sauvait Emmanuel Macron  ?

POLITISCOPE. Publiée le 30 décembre dans Le Figaro, la grande interview du président Abdelmadjid Tebboune a promis « une nouvelle ère des relations franco-algériennes ». Visas contre gaz, tel est le deal qui se profile, qui donne à l'Algérie un poids géopolitique nouveau dans le monde et dans les relations avec l'ancien colonisateur. Une visite d'Etat du président algérien à Paris en 2023 pourrait sceller cette grande réconciliation avec Emmanuel Macron.
(Crédits : RAMZI BOUDINA)

Pour Emmanuel Macron, ce fut un peu un cadeau de Noël inespéré ! Il s'agit de la grande interview publiée le 30 décembre dans Le Figaro que le président algérien Abdelmadjid Tebboune a accordée au journaliste Yves Thréard, habitué des terrains africains et par ailleurs directeur adjoint du quotidien de droite. Car dans cet échange où tous les sujets furent mis sur la table, l'homologue algérien du président français multiplia les déclarations d'amitié et d'apaisement envers la France et l'Elysée. Le titre choisi par Le Figaro est sans équivoque : « Il est urgent d'ouvrir une nouvelle ère des relations franco-algériennes ». En préambule, Tebboune se félicite ainsi de la décision française de rétablir la délivrance des visas aux ressortissants algériens au niveau de 2019 (depuis l'automne 2021 en effet, la France avait décidé unilatéralement de réduire de moitié la délivrance de ces visas, provoquant alors une crise diplomatique d'ampleur avec les autorités algériennes).

Premier quinquennat chaotique entre les deux pays

Cette interview n'aurait pas été tout à fait une surprise pour Emmanuel Macron. Dans les semaines qui ont précédé, diplomates et chefs des renseignements des deux pays ont longuement échangé, comme les deux pays s'y étaient engagés suite au voyage d'Emmanuel Macron à Alger et à Oran en août dernier. À l'époque, le président français avait été accompagné de nombreux ministres, de grands patrons (notamment Rodolphe Saadé et Xavier Niel), mais aussi de Bernard Émié, le patron de la DGSE, qui avait été ambassadeur de France à Alger entre 2014 et 2017. C'est notamment à lui qu'on doit le rapprochement de la France et l'Algérie depuis la réélection d'Emmanuel Macron au printemps 2022. En effet, depuis lors, le président français a tenté par tous les moyens de retisser les liens avec l'Algérie après un premier quinquennat pour le moins chaotique entre les deux pays.

C'est ainsi qu'en coulisses, certains réseaux français, jusqu'alors délaissés par l'Elysée, se sont engagés discrètement aux côtés d'Emmanuel Macron après sa réélection dans cette tentative de réconciliation avec l'Algérie. Résultat, lors du voyage du président français en août dernier, Arnaud Montebourg, devenu en 2018 président de l'association France Algérie, figurait en bonne place dans la délégation officielle. Manifestement, l'ancien ministre socialiste, un temps candidat à la présidentielle, qui n'a pas manqué une occasion de jouer les snipers contre le président Macron durant tout le précédent quinquennat, a semble-t-il, décidé de jouer « l'union nationale » sur le dossier algérien.

Rapprochement

Une autre personnalité a joué un rôle dans ce rapprochement : l'ancienne ministre et productrice française Yamina Benguigui, elle aussi présente lors du voyage d'août. Très proche du couple Macron depuis 2016, cette dernière a ainsi mobilisé tous ses réseaux en Algérie pour aider l'Elysée à se rabibocher avec le pouvoir algérien. Et Benguigui, malgré les préjugés du petit Paris, dispose de contacts hauts placés en Algérie. À commencer par le président Tebboune lui-même. C'est ainsi qu'on a pu apercevoir Yamina Benguigui en bonne place à la tribune présidentielle lors du défilé militaire du 5 juillet en Algérie à l'occasion des célébrations de l'anniversaire des soixante ans de l'indépendance du pays.

En pleine guerre en Ukraine, on pourrait penser que les dossiers énergétiques sont sur le haut de la pile pour l'Elysée dans ses échanges avec Alger. Et pourtant, quand Thréard demande au président Tebboune où en sont ces sujets avec la France, ce dernier tient à dire : « Nous ne sommes pas dans ces comptes d'apothicaires. (...) Si la France nous demandait d'augmenter nos exportations de gaz, nous le ferions. Elle ne l'a pas encore fait. L'Italie, elle, l'a demandé ». Le gaz algérien ne serait-il pas une priorité pour la France ? En attendant, l'Italie est en train de construire un second gazoduc via la Sicile, lui permettant d'augmenter ses livraisons de gaz venant d'Algérie de 25 à 35 milliards de m3 par an. Un projet qui, selon les propres mots du président algérien, permettra de « faire de l'Italie un hub vers le reste de l'Europe, notamment centrale ».

Se libérer des complexes

Mais au-delà de l'économie, alors que le débat français ne cesse de se tendre avec l'extrême droite, le président Tebboune a tenu à faire des déclarations fortes dans un domaine proprement politique entre les deux pays. « La France doit se libérer de son complexe de colonisateur et l'Algérie de son complexe de colonisé », a-t-il d'abord affirmé. Avant d'ajouter : « Plus de soixante ans après la guerre, il faut passer à autre chose. Si la mémoire fait partie de nos gènes communs, nous partageons aussi bon nombre d'intérêts fondamentaux, même si nos points de vue peuvent diverger ». Une déclaration que ne renierait pas le président français.

Justement, c'est peut-être la plus grande nouveauté de cette interview : les mots extrêmement chaleureux (et nombreux) du président algérien pour son homologue français : « Oui, nous avons une certaine complicité. Je vois en lui l'incarnation qui peut sauver les relations entre nos deux pays. Son atout est qu'il n'a rien à voir avec la colonisation. Ni lui, ni son parcours, ni sa famille. Nous avons une amitié réciproque. Certes, nous avons eu, lui comme moi, des formules malheureuses, mais c'est la première fois, me semble-t-il, qu'il y a une telle relation de confiance entre nos deux pays ».

Ces déclarations tranchent en effet avec les mots particulièrement durs que les deux présidents s'étaient échangés à l'automne 2021. Car au-delà de la question des visas, l'Algérie peut se satisfaire de la nouvelle stratégie française au Sahel qui laisse notamment à ses partenaires africains davantage de marges de manœuvre. Rappelant au passage qu'« il est regrettable que la France, à un certain moment, n'ait pas voulu que l'Algérie exerce son ascendant », le président Tebboune est convaincu que « là-bas, la solution est à 80 % économique, 20 % sécuritaire ». Autre surprise : le chef d'État n'hésite pas à prendre ses distances avec la société russe paramilitaire Wagner, très présente en Afrique : « l'argent que coûte cette présence serait mieux placé et plus utile s'il allait dans le développement du Sahel ». Des paroles loin d'être anodines quand on connaît les liens entre l'armée algérienne avec la Russie. Mais l'Algérie a plus d'une carte dans son jeu : et il ne faut jamais oublier qu'elle a toujours su monnayer ses intérêts pétroliers et gaziers avec les grandes sociétés américaines dans le secteur. Comme Tebboune le rappelle lui-même : l'Algérie est un État non aligné. Et il prévoit d'ailleurs de venir à Paris dans les prochains mois dans le cadre d'une visite d'État. Une première éclaircie depuis bien longtemps pour l'Elysée sur le terrain international.

Marc Endeweld

Commentaires 7
à écrit le 08/01/2023 à 12:35
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Juste sauver Macron donc !! Toutes les atteintes aux libertés en Algérie, les emprisonnements d'opposants, la fermeture des médias, la chape de plomb sur les partis politiques pourtant légaux, on ferme les yeux du moment qu'on a du gaz pour nous chau...

à écrit le 08/01/2023 à 0:58
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Ils peuvent prétendre comme les africains que l'on a déporté à habiter en France. Cela devrait être un devoir de faciliter leur venue sur les terres des droits de l'homme, de plus déjà 40 % des enfants de 0 à 4 ans sont immigrés ou d’origine immigrée...

à écrit le 07/01/2023 à 18:03
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Sauver Emmanuel Macron ? Mais de quoi ? Les journalistes qui sont censés nous informer devraient peut-être réaliser enfin qu'E. Macron est président de la République, plutôt bien réélu (n'en déplaise à tous les grincheux) et qu'il a l'air de s'en so...

à écrit le 07/01/2023 à 16:03
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Bonjour, Avant toute chose , rien ne sauvera Mr Macron de la trace qu'ils laisse dans l'histoire.. Un président magouilleurs (réélue sans campagne politique). Réformateur sans résultats, et surtout totalement inefficace. Maintenant pour l'Algérie,...

à écrit le 07/01/2023 à 10:26
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"Et si l'Algérie sauvait Emmanuel Macron  ?" le peuple Algérien ou le gouvernement algérien..

à écrit le 07/01/2023 à 9:22
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Tient combien de fois on lu cela, sous Mitterrand, Chirac et Hollande. Le problème c'est que l'on veut avoir des relations privilégiés alors que cela doit être une relation avec des intérêts de chaque coté, le poids historique n'ayant au contraire qu...

à écrit le 07/01/2023 à 9:22
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La grande réconciliation ne comprendra-t-elle pas la "remise en état" des sites des essais nucléaires ?. Tous les matériaux et matériels contaminés on été enfoui par l'armée française, mais il ne devrait pas manquer de représentants de ces régions po...

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