Automatisation, désindustrialisation, qualification, mondialisation...depuis maintenant plusieurs décennies, le phénomène de polarisation du marché du travail est régulièrement pointé du doigt par les économistes et les institutions internationales. Dans une étude rendue publique ce lundi 14 décembre, France Stratégie explique que cette polarisation est moins liée à une hausse des emplois non qualifiés qu'à une montée en puissance de l'emploi des cadres. Ce diagnostic tranche avec d'autres études et articles académiques qui peuvent alerter régulièrement sur la baisse des emplois de qualité sur le territoire. Avec la récession historique, beaucoup d'emplois intermédiaires pourraient cependant disparaître. En effet, si la crise a d'abord frappé les emplois les moins qualifiés (intérimaires, saisonniers,) beaucoup d'emplois des classes moyennes risquent également de disparaître.
Une polarisation par le haut accrue depuis 2008
La polarisation du marché du travail se caractérise par un transfert de l'emploi vers les qualifications les plus élevées. Ainsi, la part des professions très qualifiées augmentait de 4% entre 1996 et 2017, quand celle des professions très peu qualifiées a stagné. Cette évolution s'est accompagnée d'une dégradation accélérée depuis la crise de 2008 des métiers situés au milieu de l'échelle des qualifications, rappellent les deux auteurs de l'étude. "La crise de 2008, qui a beaucoup affecté les ouvriers de l'industrie et de la construction, a donc accentué l'érosion des qualifications médianes, que la désindustrialisation avait déjà affaibli".
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Jusqu'à récemment, cette polarisation s'est donc plutôt concentrée sur le haut de l'échelle. "La polarisation ou la concentration de l'emploi n'est pas avérée sur le bas de la distribution des qualifications, contrairement à ce qu'on observe aux États-Unis. Les métiers les moins rémunérés dans les services aux personnes (assistantes maternelles, aides à domicile) ou aux particuliers (coiffeurs, employés de l'hôtellerie-restauration, caissiers) n'ont progressé sensiblement que dans les années 1990" indique France Stratégie. Pour établir ce diagnostic, le centre de recherches a fouillé les données plus précises des instituts de statistiques (Insee, Dares). Les études académiques internationales s'appuient plus souvent sur des données agrégées qui sont souvent moins exhaustives et ne donnent qu'une photographie limitée de ce phénomène. Ainsi, la part des employés peu qualifiés dans l'emploi total reste stable depuis les années 90 (environ 13%). Enfin, si les indépendants sont pris en compte dans l'étude, les deux auteurs apportent peu de précisions sur le statut d'auto-entrepreneur en vigueur depuis une dizaine d'années. Or ce régime très répandu chez les travailleurs de plateforme occupe une place grandissante dans l'emploi en France et peut exercer une influence sur la polarisation du marché du travail.
Montée en puissance des cadres
L'autre phénomène mis en lumière dans ces travaux est la montée en puissance des cadres dans l'économie française. Ainsi, "les métiers qui progressent très sensiblement sont les cadres salariés du privé, qui comprennent les ingénieurs et cadres d'entreprises, les cadres administratifs et commerciaux d'entreprises. La part des métiers les mieux rémunérés, soit les 9e et 10e déciles, a progressé de près de 4 points de pourcentage en vingt ans, ce qui atteste une montée en qualification des emplois" précise l'étude.
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Chute des ouvriers qualifiés et des employés administratifs
La note d'analyse met également l'accent sur le déclin spectaculaire de certains métiers intermédiaires comme les ouvriers qualifiés et les employés administratifs. La part des ouvriers qualifiés de type industriel dans l'emploi a ainsi reculé de deux points en 20 ans passant de 6% à 4% sur la période 1997-2017. La forte désindustrialisation de l'économie française depuis les années 70, la fermeture des usines et la transformation du tissu productif peuvent en grande partie expliquer ce déclin. A cela s'ajoutent, l'automatisation et la montée du progrès technique qui ont d'abord frappé les ouvriers non qualifiés. Pour les employés administratifs qualifiés, les deux chercheuses évoquent également l'automatisation et la réorganisation des administrations publiques. Beaucoup de postes peu qualifiés dans le secteur public ont ainsi disparu dans la fonction publique territoriale à l'échelle des départements ou des communes par exemple comme le rappellent de récents chiffres de l'Insee.