"L'urgence et la relance doivent fonctionner de pair" Laurent Saint-Martin

ENTRETIEN. Plan de relance, mesures d'urgence, crise économique... le rapporteur du budget 2021 et pilote de la relance à l'Assemblée nationale Laurent Saint-Martin navigue en pleine tempête en cette fin d'année. Sur fond de reconfinement et de vertigineuses incertitudes économiques, l'Assemblée nationale a adopté mardi en première lecture le projet de budget pour 2021, dont le plan de relance de 100 milliards d'euros, avant de transmettre le texte au Sénat. Le député du Val-de-Marne revient pour La Tribune sur les enjeux cruciaux à venir dans les prochaines semaines.
Grégoire Normand
Laurent Saint-Martin.
Laurent Saint-Martin. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Avec le budget 2021, le PFLR 4 pour 2020 et le nouveau confinement, comment concilier mesures d'urgence et plan de relance à long terme ?

LAURENT SAINT-MARTIN - La spécificité de la crise que nous vivons crée ce besoin de disposer de mesures d'urgence et de mesures de relance en parallèle. Cela risque encore d'être le cas pour encore plusieurs mois. Nous allons avoir besoin d'aider des secteurs d'activité qui sont en difficulté par rapport aux décisions administratives qui sont prises comme les confinements à répétition. Dans le même temps, l'économie française a besoin d'investissements pour relancer des secteurs qui le peuvent. C'est une forme "d'en même temps" très atypique. La crise n'a pas de comparaison historique sur laquelle on peut se baser.

L'urgence et la relance doivent fonctionner de pair. C'est néanmoins important de les distinguer. Ce ne sont pas les mêmes outils. Pour les outils d'urgence, nous avons mis en place le fonds de solidarité, l'activité partielle, les prêts garantis par l'Etat, les annulations de charges. Pour la relance, il faut plutôt anticiper des investissements pour demain afin de permettre aux entreprises de se moderniser, verdir leur processus industriel, améliorer leur compétitivité et mieux former leurs salariés. Le projet de loi de finances rectificatif 4 (PLFR 4) est dédié à l'urgence, et le projet de loi de finances 2021 est tourné sur l'avenir et la relance.

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Les économistes de l'Institut des politiques publiques (IPP) et du Cepremap ont montré que certaines mesures du plan de relance, comme la baisse des impôts de production, n'allaient pas cibler les entreprises les plus pénalisées par le confinement. Que leur répondez-vous ?

La baisse des impôts de production, qui est une mesure de relance, vise à rendre nos entreprises plus compétitives, et notamment nos industries. L'un des objectifs, très clair, est de relocaliser l'emploi industriel. Le ciblage de la baisse des impôts de production n'est pas une réponse à la crise en tant que telle. C'est un ciblage pour nos emplois industriels. La France sera plus forte dans une Europe plus forte si nous redevenons souverains à l'échelle industrielle.

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Pour les entreprises qui ont le plus souffert, les mesures qui sont prévues dans le PLFR4 - comme le fonds de solidarité augmenté à 10.000 euros pour les entreprises les plus en difficulté, les exonérations de charges sociales - sont bien ciblées sur les entreprises les plus fragilisées. La majorité se soucie bien des entreprises qui sont le plus en difficulté dans l'urgence, mais la relance, c'est bien de créer la France de 2030 et de relocaliser l'emploi industriel en France.

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L'État va-t-il compenser le manque à gagner de cette baisse de la fiscalité locale pour les collectivités ?

Cette baisse des impôts de production est compensée à l'euro près pour les collectivités territoriales. Les régions seront même gagnantes. La suppression de la part régionale de la CVAE [cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, Ndlr] est compensée par une fraction de TVA plus dynamique. Les régions seront gagnantes avec cette transformation de la fiscalité locale.

Bruno Le Maire a assuré que "toutes les décisions économiques seront désormais prises à l'aune de la transition écologique" lors de la présentation du PLF 2021 fin septembre. Comment le gouvernement et le parlement peuvent-ils contrôler au mieux ces prises de décision ?

Tout simplement en fléchant les investissements. Un tiers du plan de relance est consacré à la transition écologique. Cela peut passer directement par des dépenses publiques comme les investissements dans le plan hydrogène. Des dépenses sont prévues pour la recherche et développement de cette filière d'avenir plus respectueuse de l'environnement si on fait de l'hydrogène décarboné.

Il existe des subventions publiques octroyées aux entreprises si elles verdissent leur process industriel. Ce sont des aides ciblées au verdissement de nos productions pour que la France puisse enfin être exemplaire et respectueuse de son engagement dans l'accord de Paris. Le plan de relance doit permettre à la France d'être en tête des pays qui respectent leurs engagements environnementaux.

Par ailleurs, il existe déjà un comité de pilotage et un comité de suivi du plan de relance qui va permettre de suivre chaque euro dépensé pour bien s'assurer que les subventions accordées créent bien des investissements dans les entreprises souhaitées. Il est prévu un contrôle de l'efficacité de la dépense. L'indicateur devra montrer le gain énergétique et environnemental dans les entreprises par rapport à la dépense engagée.

Comment le gouvernement et la majorité vont-ils faire face aux moindres recettes fiscales et sociales ?

C'est l'endettement aujourd'hui qui comble les manques à gagner fiscaux et sociaux. La dette d'État et la dette sociale se sont aggravées. La France emprunte sur les marchés pour pouvoir faire face à cette situation. L'endettement public va passer de 100% du PIB à 120%. C'est important que tout le monde prenne bien conscience de cette situation. Il n'y a pas "d'argent magique".

Des nouveaux prélèvements ou nouvelles taxes sont-ils prévus pour financer cette dette ?

Non, la majorité actuelle n'augmentera pas les prélèvements obligatoires au cours de ce quinquennat. La France a déjà un fort taux d'imposition et nous avons baissé les prélèvements obligatoires. Je pense que nous répondons mieux à la crise en étant compétitif et en ayant les moyens de consommer. J'estime qu'il est contreproductif de répondre à la crise par une hausse de la fiscalité.

Quelles sont les dépenses nouvelles prévues dans le quatrième PLFR en 2020 pour répondre à la crise sur le plan économique ?

20 milliards d'euros supplémentaires sont mis sur la table. Le gouvernement a rechargé et amplifié les mesures d'aides exceptionnelles qui sont prévues pour les entreprises fermées pendant le confinement. Le fonds de solidarité passe de 1.500 euros à 10.000 euros de plafond pour les secteurs les plus fragilisés. L'activité partielle est prolongée et les annulations de charges pour les secteurs les plus en difficulté sont poursuivies.

Le fonds de solidarité est doté d'une enveloppe de 6 milliards d'euros dans ce quatrième PLFR, c'est à peu près l'équivalent ce que l'on a fait depuis le début de la crise. Le gouvernement a changé de braquet pour ce mois de confinement. La première vague a fragilisé le tissu productif. La deuxième vague risque de mettre à terre un certain nombre d'entreprises. Il est nécessaire de mettre en place un filet de sécurité plus important.

Avez-vous des chiffres sur le taux de recours des aides pour les entreprises ?

Non, pour l'instant nous n'avons pas ce chiffre. Le comité de suivi des mesures d'urgence piloté par Benoît Coeuré a été missionné en début de semaine pour faire ce travail du taux de recours. Nous n'avons pas encore assez de recul pour le faire. Actuellement, le meilleur thermomètre est le retour dans nos circonscriptions. Les trois grandes mesures (PGE, fonds de solidarité, et activité partielle) sont plutôt bien comprises par les entreprises.

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Du côté des ménages, les associations d'aides aux plus précaires tirent la sonnette d'alarme. Y a-t-il des dispositifs spécifiques pour les plus pauvres ?

Nous n'avons pas attendu le PLFR 4 pour mettre en place de tels dispositifs. Dès le second projet de loi de finances rectificatif, des mesures d'aides exceptionnelles pour les familles ont été mises en œuvre à hauteur de 890 millions d'euros. Elles consistaient en une aide de 150 euros par foyer au RSA et 100 euros par enfant. Le gouvernement a recrée ces dispositifs dans le PLFR 4 pour continuer à aider les personnes les plus précaires. Ces aides sont adaptées aux plus jeunes, notamment les étudiants allocataires d'aides au logement qui peuvent bénéficier de cette aide exceptionnelle de 150 euros.

Au total, deux milliards d'euros sont destinés à ces familles précaires. Nous avons calqué ces aides à la réalité sociale de la crise. La crise n'a pas appauvri la majorité de la population. La plupart des gens, grâce à l'activité partielle, ont accumulé de l'épargne. Ils n'ont pas perdu en pouvoir d'achat. En revanche, il y a une catégorie de la population qui était déjà fragile avant la crise et qui s'est retrouvée en forte précarité. Il faut aider ces catégories.

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Grégoire Normand
Commentaires 5
à écrit le 19/11/2020 à 11:19
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L'accélération du changement climatique (corrélé à la croissance du PIB qui dépend de notre consommation d'énergies fossiles) est en effet une priorité.

à écrit le 19/11/2020 à 9:04
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Et que voilà un "en même temps" qui va se prendre le boomerang dans les dents !

à écrit le 18/11/2020 à 8:35
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La relance ? Mais c'est trop tard ! Le port du masque à l'extérieur a signé le retour du repli et nous a menés droit au couvre-feu et au reconfinement... Quant à la sortie du déconfinement, on annonce désormais qu'elle sera "progressive" et on compre...

à écrit le 18/11/2020 à 8:28
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"dans les prochaines semaines" nous n'y croyons plus hein, un peu de réalisme svp, merci.

à écrit le 18/11/2020 à 7:57
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Cet argent servira aux plus gros, les autres devront traverser la rue.

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