Après deux longues années de pandémie, l'intensification de la guerre en Ukraine a une nouvelle fois assombri l'horizon économique. L'escalade des batailles sur le front Est de l'Europe a provoqué un électrochoc dans de nombreux secteurs. Dans son allocution mercredi 2 mars, le chef de l'Etat Emmanuel Macron a averti les Français :
"Notre croissance, aujourd'hui au plus haut, sera immanquablement affectée par le renchérissement du prix du pétrole, du gaz, des matières premières et cela aura des conséquences sur notre pouvoir d'achat demain. Le prix du plein d'essence, le montant de la facture de chauffage, le coût de certains produits, risquent de s'alourdir encore", a-t-il avancé.
Le président a cité deux secteurs économiques qui "souffrent" et "vont souffrir" particulièrement, l'agriculture et l'industrie. "Soit parce qu'ils dépendent des importations de matières premières venues de Russie ou d'Ukraine, soit parce qu'ils exportent vers ces pays", a-t-il expliqué.
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Certains instituts de prévision qui avaient révisé à la hausse leurs chiffres de croissance du produit intérieur brut ces derniers mois ont déjà commencé à noircir leurs projections. La flambée des prix de l'énergie, la désorganisation des chaînes logistiques et la baisse du moral des entreprises et des ménages pourraient bien plomber l'activité tricolore.
"Un tel choc peut avoir un effet négatif sur les marges des entreprises, sur leur épargne et leurs investissements. Ce qui va caractériser ce choc est sa durée" a souligné l'économiste et directeur des études à la Banque de France, Olivier Garnier, lors d'un récent point presse jeudi 3 mars.
Du côté des ménages, le prix de l'énergie devrait considérablement grimper. "Une hausse de +30% de la facture énergétique est à prévoir en 2022 en Europe", indiquent les économistes d'Euler Hermes. Ainsi, "la facture énergétique annuelle des ménages atteindra 3.400 euros en Allemagne (+500 euros par rapport aux estimations d'avant-crise), 3.000 euros au Royaume-Uni (+400 euros), 2.800 euros en France (+400 euros) et 2.000 euros en Italie (+300 euros) et en Espagne (+400 euros), ajoutent-ils. Même s'il est encore difficile à ce stade d'évaluer les dégâts de la guerre sur l'économie française, les économistes interrogés ces derniers jours par La Tribune semblent bien pessimistes.
Les économistes tablent déjà sur une moindre croissance
Une semaine seulement après le début du conflit, l'économie française est de nouveau plongée dans un épais brouillard. Après une chute historique du PIB en 2020 à -8% et un rebond en grande partie mécanique à 7% en 2021, la croissance française s'apprête à marquer le pas. "La guerre va coûter au moins 0,5 point de croissance à la France", a annoncé l'économiste d'ING Charlotte de Montpellier dans une note dévoilée ce vendredi.
"Le choc sur les prix de l'énergie a un impact direct sur la croissance. Lorsque les entreprises et les familles dépensent plus pour l'énergie, elles dépensent moins pour le reste. C'est l'élément le plus important", ajoute la spécialiste interrogée par La Tribune.
La banque a ainsi révisé à la baisse ses prévisions de 3,7% à 3,2% pour la croissance hexagonale en 2021 et n'exclut pas d'autres révisions défavorables dans les semaines à venir "si le conflit perdure ou s'aggrave".
De son côté, l'institut de COE Rexecode a également revu défavorablement ses projections. "En prolongeant les sanctions actuelles, notre estimation préliminaire est un impact sur l'activité de 0,7 à 1 point de PIB", a déclaré l'économiste et directeur de la conjoncture Charles Henri Colombier sur Twitter. La guerre en Ukraine affectera le PIB français par 3 canaux principaux : énergie et matières premières, liens financiers et d'investissement, exportations" avance-t-il. Dans une semaine, la Banque de France qui doit mettre à jour des prévisions macroéconomiques, pourrait assombrir son scénario de croissance.
Les chaînes d'approvisionnement encore chamboulées
Parmi les autres facteurs cités figurent la désorganisation des chaînes d'approvisionnement qui "risquent de durer plus longtemps que prévu", le choc de confiance sur les entreprises et les ménages. "Cela va avoir des répercussions sur la consommation et les investissements. Ce conflit peut avoir des conséquences assez longues sur la confiance en Europe car l'Ukraine est plus proche que bien d'autres conflits comme l'Irak" souligne-t-elle.
Enfin, le canal de transmission "le plus difficile à évaluer", selon l'économiste Charlotte de Montpellier, concerne le comportement des entreprises ayant des liens plus ou moins proches avec la Russie. "Beaucoup d'entreprises françaises sont impliquées en Russie. Les sanctions font craindre un effet assez important encore difficilement quantifiable sur les projets d'investissement. Les plans d'investissement des entreprises vont être remis en question. Tout cela va dépendre des sanctions et de l'évolution des commandes", ajoute-elle. L'économiste évoque même un "risque de 'stagflation' (stagnation de la croissance et hausse de l'inflation) qui "augmente" même si ce phénomène "doit durer assez longtemps" pour être caractérisé ainsi.
"Un plan de résilience" en préparation
Face à ce nouveau choc, le gouvernement travaille déjà depuis plusieurs jours sur un "plan de résilience économique et social" à la demande du chef de l'Etat. "Le ministère de l'Economie et des finances s'est remis en mode crise pour appliquer ces sanctions et mettre en oeuvre des mesures de protection. Il suppose une mobilisation de tous les instants pour faire face aux conséquences immédiates et à long terme de cette crise", a martelé le ministre de l'Economie Bruno Le Maire lors d'une réunion avec des journalistes jeudi 3 mars en fin de journée. Il prévoit notamment de rencontrer plusieurs économistes pour évaluer l'impact de cette guerre sur l'économie tricolore.
En début de semaine prochaine, le Premier ministre Jean Castex doit recevoir les filières économiques les plus touchées par les conséquences de l'offensive russe en Ukraine. "Le mandat que m'a confié le président de la République, c'est de protéger nos concitoyens et l'économie française", a-t-il expliqué lors d'un entretien à TF1.
A quarante jours du premier tour du scrutin présidentiel, l'intensification du conflit risque de chambouler profondément la fin de la campagne alors qu'Emmanuel Macron a officialisé sa candidature ce vendredi dans une lettre aux Français diffusée par la presse quotidienne régionale.