C'est une course contre la montre qu'a engagée le gouvernement. En publiant son décret le 30 septembre pour une mise en application de la réforme de l'assurance chômage dès le lendemain, 1er octobre, il sait qu'il met en difficulté la haute juridiction. Car, en général, il faut compter plusieurs mois après une saisine pour qu'elle se prononce.
« Là, le temps est court, et le Conseil d'Etat est mis sous pression, commente un conseiller ministériel. On sait qu'il déteste se prononcer sur une réforme déjà mise en œuvre », explique une source ministérielle.
Et pour cause, les nouvelles règles d'indemnisation vont être durcies dès ce 1er octobre pour les demandeurs d'emploi. Si le Conseil d'Etat décidait dans quelques semaines de s'opposer à la réforme du gouvernement, cela signifierait, en principe, qu'il faudrait indemniser rétroactivement les demandeurs d'emploi lésés. En premier lieu, ceux qui se sont inscrits à Pôle emploi le 1er octobre. Autrement dit, un casse tête administratif en perspective dont la responsabilité peut être lourde à porter. C'est en tout cas le pari du gouvernement.
« L'opinion ne comprendrait pas, ce serait difficile à expliquer, et en pleine campagne présidentielle, faire marche arrière reviendrait à créer de la confusion. Le conseil d'Etat en a conscience », ajoute la même source ministérielle.
Le mauvais souvenir de 2004
Par ailleurs, les spécialistes de l'emploi se souviennent de l'arrêt de 2004, dit arrêt AC ! du nom de l'association de l'association Agir contre le chômage. Cette dernière - qui défend les demandeurs d'emploi - avait contesté devant le Conseil d'Etat la légalité de plusieurs arrêtés pris en 2003 par le ministre du travail qui aménageait des avenants à la convention d'assurance chômage de 2001 relative à l'aide au retour à l'emploi et à l'indemnisation du chômage et, d'autre part, à la convention du 1er janvier 2004.
Le conseil d'Etat avait donné raison à ces associations, mais il avait admis que l'on puisse moduler les décisions dans le temps estimant que la rétroactivité emporterait des conséquences préjudiciables, notamment à l'intérêt général.
« Célèbre, cette affaire est restée comme un traumatisme que personne n'a envie de revivre dans l'institution. Elle va peser dans le choix du Conseil », confie un membre de la juridiction.
Des indicateurs économiques favorables
Par ailleurs, si le Conseil ne s'est pas encore exprimé sur le fond du dossier, il a, en juillet, demandé la suspension de la réforme de l'assurance chômage, au motif que la situation économique était trop fragile et trop incertaine, la crise sanitaire n'étant pas terminée. Un argument que conteste le gouvernement : les bons résultats en matière de chômage justifient l'entrée en vigueur des nouvelles règles, assure Elisabeth Borne la ministre du Travail. Et de répéter : « le taux chômage est revenu à 8 %, soit au niveau de 2019, il y a de nombreuses offres emplois disponibles ». Ces indicateurs économiques, l'institution devrait avoir plus de mal à les remettre en cause qu'au début de l'été.
Même si certains tempèrent : « Attention toutefois, nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle vague épidémique, plaide François Hommeril, le numéro un de la CFE-CGC , opposé à la réforme. Et puis, la flambée des tarifs de l'énergie, les difficultés d'approvisionnement que les entreprises connaissent, le ralentissement en Chine... tout ça peut freiner la relance ».
Recours en vue
En attendant, les syndicats, qui contestent tous la réforme, ne désarment pas. Ils ont prévu de contre-attaquer, et de déposer au plus vite, un nouveau recours, comme ils l'ont fait au printemps. Mais, cette fois, l'état d'esprit est différent. Peu y croient encore.
« On sait que c'est peine perdue, mais symboliquement, on va jusqu'au bout », regrette un membre de la CFDT, proche du dossier.
Faut-il voir dans cette bataille autour de la réforme de l'assurance chômage, un bras de fer politique entre le gouvernement et la haute juridiction administrative, notamment après la réforme de l'ENA menée par l'exécutif que les juges ont si peu appréciée ?
« Non, répond un membre de l'institution. Nous avons de nombreux motifs de divergences avec le gouvernement, mais c'est mal connaître notre juridiction. Ce genre de sentiment - ou de ressentiment - ne peut pas s'exprimer ainsi ».
De quoi conforter encore le gouvernement, persuadé que sa réforme sera validée, sans difficulté par la haute juridiction.