Les syndicats préparent d'ores et déjà leur riposte. Aussi, ont-ils déjà prévu de déposer des recours. La CGT et FO ont fait savoir qu'ils étaient prêts à attaquer le nouveau texte, comme ce fut le cas en juillet dernier, quand ils avaient saisi en référé le conseil d'Etat. « Nous n'allons rien lâcher », promet Michel Beaugas, secrétaire confédéral chargé de l'emploi chez FO. « Nous irons contre ce passage en force », confirme de son côté la CGT, quant la CFDT n'exclut pas, elle aussi, de redéposer un recours.
S'ils sont déterminés, les syndicats sont aussi encouragés par leurs précédentes victoires : le Conseil d'Etat leur a déjà donné raison à plusieurs reprises. En 2020, mais aussi en juillet dernier, lorsqu'il a suspendu l'entrée en vigueur des nouvelles règles de calcul de l'allocation chômage, normalement prévues pour le 1erjuillet. Au motif que le contexte économique était encore trop fragile eu égard la situation sanitaire.
Face aux syndicats, le gouvernement veut reprendre la main
Ce revers, le gouvernement l'a vécu comme un camouflet. Il entend bien l'effacer. Et tant pis, si le Conseil d'Etat doit encore se prononcer sur le fond du dossier, c'est-à-dire, sur le fondement même de la réforme. Aussi, pour lui, pas question d'attendre. Surtout qu'en quelques mois, les indicateurs sont repassés au vert, - croissance attendue à 6 % cette année, taux de chômage qui retrouve des niveaux d'avant crise etc -. Il n'y a pas lieu d'attendre.
« Fin juin l'emploi salarié privé a dépassé son niveau d'avant-crise. Il n'y a aucune raison pour que cette fois le Conseil d'Etat retoque notre réforme, s'agace un conseiller ministériel proche du dossier. Il y va aussi de notre crédibilité ! » Et d'ajouter, « ce ne sont pas les syndicats qui font la loi ! »
Sûr de son fait, le ministère du Travail prévoit donc de publier un nouveau texte identique avant le 30 septembre. Une version non définitive a d'ailleurs été envoyée jeudi dernier aux partenaires sociaux.
Des délais très courts visant, au passage, à mettre la pression sur le Conseil d'Etat qui doit se prononcer sur le fond. « Pour lui, ce sera plus dur de se déjuger si le texte est déjà en application », reconnaît encore ce conseiller. Chez FO, Michel Beaugas confirme : « Le Conseil d'Etat déteste les recalculés ... et chez Pôle emploi, tout le monde est prêt ... si les nouvelles règles s'appliquent le 1eroctobre, la juridiction aura dû mal à faire marche arrière ».
Des indicateurs économiques favorables à la réforme ?
Pour l'exécutif, cette réforme - conçue avant la crise -, se justifie d'autant plus qu'avec la reprise, les employeurs se plaignent de ne pas trouver de main-d'oeuvre. Le site de Pôle emploi affiche, selon les jours, jusqu'à 1 million d'offres d'emplois non pourvues. « Les Français ne comprendraient pas alors qu'il y a du travail, que nous maintenions des gens au chômage », plaide le ministère du Travail.
Pour les syndicats, il convient toutefois d'être prudent. D'une part, parce que la reprise est loin d'être aussi assurée - quid, par exemple des pénuries de matériaux, par exemple qui ralentissent les chaînes de production, et renvoient des salariés en chômage partiel - mais aussi parce que derrière ces bons chiffres globaux, se cachent des situations d'appauvrissement individuelles. « La reprise n'est pas la même pour tout le monde », plaide la CFDT. Et Laurent Berger, son chef de file, de dénoncer « une réforme injuste à un moment où le coût de la vie progresse, notamment pour les ménages les plus modestes. »
En modifiant le calcul du salaire journalier de référence ( SJR), qui sert à établir le montant de l'allocation chômage, le gouvernement espère surtout limiter les aller-retour entre périodes de travail et de chômage.
Avec un système d'indemnisation moins favorable, les demandeurs d'emplois seront, selon lui, contraints de prendre un emploi plus durable.
Reste que la corrélation n'est pas aussi automatique, rétorquent les syndicats : les emplois vacants le sont souvent à cause d'un manque de compétences et de qualifications, ou encore de conditions de travail peu attractives. Preuve en est la restauration qui aujourd'hui manque de bras, y compris pour des postes peu qualifiés.
D'ailleurs, rappellent les centrales, comment expliquer qu'un inscrit à Pôle emploi sur deux n'est pas indemnisé ? Signe que baisser ou supprimer les droits des chômeurs ne conduit pas mécaniquement à un emploi.
Enfin, toutes les centrales font valoir que les chômeurs n'ont pas la main pour choisir le type d'emplois que les employeurs leur proposent.
Et le gouvernement de répondre que sa réforme, justement, comporte l'application d'un bonus-malus pour les entreprises, soit une modulation des cotisations employeurs en fonction du taux de recours aux contrats courts; l'objectif étant d'inciter les patrons à signer des CDI plus que des CDD.
Seul hic, du point de vue des centrales de défense des salariés : ce bonus-malus entrera en vigueur seulement en septembre 2022 - même si la période de référence a déjà débutée- alors que le durcissement des règles pour les demandeurs d'emploi, elle, va commencer dès le 1eroctobre.
Faire des économies
Même s'il insiste moins sur ce point, l'enjeu financier est également très présent pour l'exécutif. Selon une évaluation réalisée au printemps par l'Unédic - organisme paritaire qui gère le système d'assurance chômage- , jusqu'à 1,15 million de personnes ouvrant des droits dans l'année suivant l'entrée en vigueur de ces nouvelles règles seraient pénalisées.
Elles toucheraient alors une allocation mensuelle plus faible de 17 % en moyenne, avec une durée théorique d'indemnisation allongée - 14 mois en moyenne contre 11 avant la réforme-.
Un argument sur lequel insiste d'ailleurs souvent Elisabeth Borne, la ministre du Travail : « les demandeurs d'emploi seront indemnisés plus longtemps ». Pour cette seule mesure du SJR, le gain pour le régime s'élèverait à 1 milliard d'euros, selon l'Unedic.
« Nous ne sommes pas dupes, assène Michel Beaugas, de FO, le gouvernement veut faire des économies sur le dos des chômeurs. Et pas qu'un peu ! ». Ainsi, le durcissement des conditions d'affiliation pour être indemnisés - elles doivent passer de 4 à 6 mois travaillés - fera économiser 800 millions d'euros par an, quand la dégressivité des allocations chômage pour les plus hauts revenus , elles, rapporteront 460 millions d'euros.
Au total, le gain de l'ensemble de la réforme devrait atteindre 2,3 milliards d'euros par an en rythme de croisière.
Un argument de campagne
Enfin, à quelques mois de l'élection présidentielle, où il ne fait aucun doute qu'Emmanuel Macron sera candidat, le Président de la République travaille son image de réformateur. Et il a besoin de présenter un bilan.
Contraint d'abandonner son grand régime universel de retraites, il est donc important pour lui de mettre en place cette réforme de l'assurance chômage, maintes fois repoussée à cause du Covid. « Nous n'avons pas changé notre crédo : le travail reste au cœur de nos priorités, et il doit payer plus que l'assistanat », répète l'entourage présidentiel. Un argument auquel l'électorat de droite est traditionnellement attaché.
Il sait aussi que le risque social est moindre. Les demandeurs d'emplois se mobilisent peu. C'est, par nature, une population hétérogène et éparpillée qui ne fait pas bloc.
Enfin, à quelques mois de la présidence de l'Union européenne par la France, la mise en place de la réforme est aussi un gage envoyé à nos alliés européens, qui estiment que la France doit travailler plus. Emmanuel Macron ne saurait s'en priver.