Les chiffres de la crise donnent le tournis. Après une discussion en conseil des ministres, Bruno Le Maire et Olivier Dussopt ont présenté ce mercredi après-midi en commission des finances de l'Assemblée nationale l'exécution du budget de l'Etat pour 2020. « L'année 2020 a été particulièrement chahutée par rapport aux lois de finances initiales. Le contexte sanitaire et économique a mis à bas l'édifice de nos prévisions. Tout est chamboulé du côté des recettes et des dépenses. C'est une année extrêmement atypique » explique l'entourage des deux ministres. Dans les couloirs de Bercy, les modèles de prévision ont été complètement bouleversés par la nature, l'ampleur et la durée de cette crise.
Solde budgétaire inédit depuis la Seconde guerre mondiale
Le solde budgétaire de l'Etat, qui exclut les comptes des administrations de sécurité sociale et ceux des collectivités locales, s'est creusé d'environ 85 milliards d'euros en 2020 par rapport au déficit anticipé. « Le solde initialement prévu était de -93 milliards d'euros à la fin de l'année 2019. Il est finalement de -178 milliards à fin 2020, c'est un solde inédit depuis la Seconde guerre mondiale » ajoute Bercy. Face à la montée de la maladie au printemps, le gouvernement avait décidé de mettre en place des mesures drastiques de confinement pour tenter de juguler la propagation du virus.
Une grande majorité des pertes économiques a été assumée par l'ensemble des administrations. « La sphère publique a joué le rôle d'amortisseur de la crise. Si rien n'avait été fait, les revenus des ménages et des entreprises auraient dû subir un impact substantiel » complète le ministère des Finances. Les besoins de financement de l'Etat ont atteint 360 milliards d'euros l'année dernière. « La qualité de la signature française et les mesures de la Banque centrale européenne pour soutenir les économies de la zone euro permettent d'assurer ces besoins » ajoute-t-on. Les programmes de rachats d'actifs (Quantitative easing) mis en oeuvre par l'institut de Francfort et les perspectives d'inflation faible à long terme favorisent les capacités d'emprunt pour l'Etat français. « La détention de dette publique française par l'Eurosystème peut être estimée à 612 milliards d'euros au 31 décembre 2020. C'est 23,4% de la dette publique de la France au sens de Maastricht, estimée à 2.616 milliards d'euros. Et cette part va encore augmenter » expliquait l'économiste de l'IESEG School of Management Eric Dor dans une récente note.
Des dépenses en forte hausse
Activité partielle, fonds de solidarité, reports ou annulations de cotisations, prêts participatifs...depuis le début de la crise, l'exécutif a mis en oeuvre tout un arsenal de mesures visant à limiter la casse économique et social dans un pays secoué par la propagation du virus sur l'ensemble de son territoire. L'ensemble de ces dispositifs d'urgence a entraîné une hausse spectaculaire de la dépense publique. « Le total des dépenses supplémentaires pour l'Etat est de 44,1 milliards d'euros. 41,8 milliards d'euros concernent les mesures d'urgence et les autres sont comptées comme des dépenses ordinaires », signale le ministère des Comptes publics.
Dans le détail, le fonds de solidarité a entraîné une hausse des dépenses d'environ 11 milliards d'euros. Le montant moyen déployé pour chaque demande est passé de 1.319 euros en avril à 4.344 euros en novembre selon Bercy. D'abord plafonné à 1.500 euros, ce dispositif n'a cessé de prendre de l'ampleur avec le prolongement de la crise. « Les sommes versées ont ciblé en grande majorité les petites entreprises. 98% des bénéficiaires sont des PME et TPE » assure le cabinet de Bruno Le Maire. Les prêts participatifs ont également engendré des dépenses très importantes de l'ordre de 8,3 milliards d'euros « en majorité pour la SNCF, Air France et des souscriptions vertes chez EDF ».
Des recettes en berne
En parallèle, le creusement inédit du déficit de l'Etat peut s'expliquer par une diminution colossale des recettes fiscales. Ces baisses sont évaluées à environ 37 milliards d'euros pour l'année 2020. Sur ce total, les pertes sur la TVA (-12,2 milliards), l'impôt sur les sociétés (11,9 milliards) et la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques / 5,7 milliards) représentent la grande majorité de recettes perdues. Du côté de l'impôt sur le revenu, 1,5 milliard d'euros en moins ont été enregistrés par les services du fisc, « sur un impôt qui représente d'habitude environ 75 milliards d'euros.[...] Le pouvoir d'achat des Français est relativement épargné par le chômage partiel et le fonds de solidarité ». Malgré ce manque à gagner pour les finances publiques, les proches du ministre du Budget Olivier Dussopt assurent que « les recettes sont plus favorables que celles prévues dans les différentes lois rectificatives de 2020 ». L'année dernière, le gouvernement avait adopté quatre budgets rectificatifs pour faire face à l'ampleur de la crise sanitaire et économique.
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Des perspectives économiques assombries
Si Bruno Le Maire a déclaré lors de ses voeux à la presse la semaine dernière que le gouvernement maintenait sa prévision de croissance du PIB à 6% pour 2020, de plus en plus d'économistes révisent leurs prévisions macroéconomiques à la baisse. Mardi 19 janvier, les experts du Fonds monétaire international ont dégradé leurs projections de 0,5 point par rapport à celles de l'automne (5,5% contre 6%). La multiplication des nouveaux variants, le retard dans la campagne de vaccination, les problèmes de logistique, le durcissement des mesures d'endiguement en France et chez nos voisins laissent entrevoir une crise à rallonge au cours des mois à venir. Bien que le gouvernement table sur un plan de relance à 100 milliards d'euros pour redémarrer la machine économique, les difficultés repoussent sans cesse les espoirs d'une reprise au cours du premier semestre 2021. Lors d'une réunion avec des journalistes, le directeur général des entreprises à Bercy Thomas Courbe n'a pas caché ses craintes face à la flambée des faillites dans les mois à venir.
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