Le confinement a accentué les fractures sociales

Surmortalité chez les plus âgés et les pauvres, pertes d'emplois chez les plus jeunes, aggravation des disparités hommes-femmes, tensions familiales, logements surpeuplés... dans leur dernier portrait social, les chercheurs de l'Insee passent au crible les effets dévastateurs du confinement et de la pandémie sur les fractures sociales.
Grégoire Normand
Photo d'illustration. Le porte-monnaie des Français a subi de plein fouet les effets délétères de la pandémie.
Photo d'illustration. Le porte-monnaie des Français a subi de plein fouet les effets délétères de la pandémie. (Crédits : Reuters)

La pandémie accélère grandement les inégalités. Depuis le printemps, la propagation du virus sur l'ensemble du territoire a jeté une lumière crue sur les populations les plus vulnérables. Dans leur dernier portrait social rendu public ce jeudi 3 décembre, les chercheurs de l'Insee dressent un panorama alarmant de la situation préoccupante traversée par des millions de familles, jeunes et travailleurs précaires. "Au cours de cette période, la crise sanitaire a mis en lumière, voire renforcé les inégalités sociales", a rappelé Sylvie Minez, directrice des études démographiques et sociales à l'institut lors d'un point presse. Alors que les annonces relatives au vaccin ont suscité des lueurs d'espoir dans les milieux économiques et financiers, beaucoup de personnes en situation de grande précarité risquent de subir pendant encore longtemps les répercussions terribles de cette récession historique.

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Une surmortalité dans certains territoires qui frappent les plus pauvres et les plus âgés

La pandémie a particulièrement affecté certains territoires. Le surcroît de mortalité concerne par exemple l'Île-de-France, région la plus densément peuplée où le risque de contact est particulièrement accru. Les statisticiens ont ainsi enregistré une hausse de 91% des décès en mars et avril par rapport à la même période en 2019. Le département de la Seine-Saint-Denis a été particulièrement frappé par cette vague de mortalité, alors qu'il affiche l'un des taux de pauvreté les plus élevés. Il enregistre le plus fort excédent de mortalité sur la période mars-avril (+123%). Vient ensuite la région du Grand-Est (+55%) avec le département du Haut-Rhin qui a connu un pic juste avant le confinement. À l'opposé, d'autres régions comme la Nouvelle Aquitaine, la Bretagne ou l'Occitanie sont relativement épargnées.

Sans surprise, les personnes vivant dans des communes plus pauvres sont bien plus exposées que les autres catégories de la population. Les démographes ont également souligné que les personnes nées à l'étranger avaient connu des pics de surmortalité pendant cette période troublée. C'est particulièrement le cas pour les individus nés au Maghreb (+54%), en Afrique subsaharienne (+114%) ou en Asie (+91%). La probabilité de développer une forme aigüe de la maladie est également plus élevée pour les plus modestes. Enfin, il y a de fortes disparités selon l'âge. Les plus de 85 ans ont connu une hausse spectaculaire de la mortalité entre le 1er mars et le 30 avril par rapport à la même période l'année précédente (+31%). Ce taux descend à 13% pour les personnes âgées entre 50 et 65 ans.

Les ouvriers et les employés bien plus exposés que les cadres

La mise sous cloche de l'économie française a obligé des secteurs entiers à fermer leurs rideaux pour plusieurs semaines. Si certaines professions dans les services marchands et non marchands ont pu rapidement se mettre en télétravail, d'autres ont dû continuer à se rendre sur leur lieu de travail sans vraiment avoir le choix. Outre le risque renforcé de contamination, beaucoup d'employés (36%) et d'ouvriers (54%) ont plus souvent subi l'activité partielle que les cadres. Ce qui a pu entraîner une perte de revenus plus marquée pour ces professions en première ligne, parfois surnommées "les premiers de corvée".

"Parmi ceux qui étaient en activité partielle, les cadres ont été nettement moins concernés que les ouvriers ou les employés. Les cadres sont 80% à avoir déclaré avoir fait du travail à domicile, les ouvriers n'ont quasiment pas déclarer de travail à domicile. En revanche, les professions intermédiaires ont connu une forte hausse", a expliqué Sylvie Minez.

Des fortes destructions d'emplois dans l'intérim et les CDD

Au cours du premier semestre, plus de 715.000 emplois ont été détruits dans le secteur privé. "Avec les suppressions d'emplois dans l'intérim, ce sont les plus précaires et les jeunes qui ont été les plus touchés", ajoute la statisticienne. Avec la fermeture de tous les secteurs à forte interaction sociale comme les restaurants, les bars, les spectacles ou l'événementiel, beaucoup de saisonniers, de CDD ou d'intérimaires et intermittents se sont retrouvés sans travail en seulement quelques jours. Avec l'arrivée de la seconde vague et du confinement de l'automne, l'horizon reste bouché pour ces travailleurs même si les annonces relatives au vaccin laissent entrevoir le bout du tunnel.

"Après avoir été particulièrement touché fin mars, l'emploi intérimaire a rebondi au deuxième trimestre, mais un quart des emplois intérimaires d'avant la crise sanitaire restent manquants en fin de semestre. Les emplois hors intérim poursuivent quant à eux leur baisse au deuxième trimestre. Le secteur privé supporte l'essentiel de la chute (- 650.000 emplois), mais la crise sanitaire a aussi limité le renouvellement de contrats à durée limitée (contractuels, vacataires, etc.) dans la fonction publique (- 65.000)", indiquent les auteurs de l'ouvrage. Sur ces destructions de postes, les jeunes ont payé un lourd tribut. Ainsi, 9% des 15-24 ans qui avaient un boulot avant le confinement ont perdu leur emploi contre 2% des 40-65 ans.

Une dégradation de la situation financière inquiétante chez les plus modestes

Le porte-monnaie des Français a subi de plein fouet les effets délétères de la pandémie. Ainsi, un quart des ménages interrogés ont déclaré qu'ils avaient connu une détérioration de leur situation financière au cours du second trimestre. Derrière cette moyenne, il existe un fossé impressionnant selon les catégories de revenus. "Parmi les 10 % de ménages les plus pauvres, 35 % perçoivent une dégradation de leur situation financière. Cette proportion est deux fois plus faible pour les 10 % de ménages les plus aisés", indique l'étude.

Cette opinion d'une dégradation du pouvoir d'achat est très présente chez ceux qui ont connu une perte d'activité comme "les artisans et commerçants et chez les ouvriers. Ce sentiment est très prononcé chez les ménages qui avaient déjà un revenu modeste. Les retraités sont relativement plus épargnés. Les inquiétudes sont particulièrement fortes pour l'avenir, notamment pour les loyers et les factures. Les dépenses pré-engagées liées au logement pèsent davantage sur les ménages les plus modestes", rappelle Sylvie Minez.

Des disparités homme-femmes exacerbées

Le confinement est loin d'avoir effacé les inégalités entre les hommes et les femmes. Au contraire, "s'agissant des tâches domestiques, les femmes ont été en première ligne lors de la période de confinement. Les différences sont importantes également sur le temps parental. Les mères ont été deux fois plus concernées par un arrêt de travail ou une autorisation d'absence pour garder leurs enfants pendant le confinement", précise Sylvie Minez. "19 % des femmes et 9 % des hommes âgés de 20 à 60 ans ont consacré au moins quatre heures par jour en moyenne aux tâches domestiques courantes. En mai 2020, 43 % des mères d'un enfant mineur ont passé plus de six heures quotidiennes à s'occuper des enfants, contre 30 % des pères", souligne le document.

Le confinement exacerbe les tensions familiales

Ce confinement, avec la hausse des tâches domestiques, a également eu des répercussions néfastes sur les relations à l'intérieur des familles. Ainsi, 13% des personnes ont signalé une hausse des disputes au sujet des enfants, de la vie quotidienne ou de la vie professionnelle. Il y a eu une hausse des tensions familiales pendant le confinement, notamment plus fréquentes dans les logements surpeuplés, ou avec la présence d'enfants ou dans des ménages où les tâches sont inégalement partagées, déclare la démographe. Encore plus grave, le nombre de personnes ayant porté plainte pour des coups et blessures dans le contexte familiale a augmenté de 4% selon des faits enregistrés par les services de police et de gendarmerie.

En parallèle, le confinement a mis en lumière les situations délicates des personnes isolées ou vivant seules. Selon des chiffres issus du recensement, 10,5 millions de personnes vivraient seules dans leur logement. Les personnes seules ont moins bien vécu le confinement, de même que les familles monoparentales et les ménages complexes.

Grégoire Normand
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