Les mesures drastiques de confinement décidées au printemps ont mis un coup de projecteur sur les inégalités françaises. En seulement quelques jours, des millions de familles ont dû se confiner dans des logements parfois étroits ou insalubres tout en respectant une zone délimitée de 1 kilomètre autour de leur domicile. Dans deux études éclairantes rendues publiques ce mercredi 14 octobre, les économistes de l'Insee brossent un portrait saisissant de ces disparités sociales lors de cette mise sous cloche inédite de l'économie française.
Avec la terrible récession en cours, le risque d'une montée de la pauvreté est particulièrement accru. De nombreuses associations et organisations ont récemment tiré la sonnette d'alarme et le gouvernement devrait annoncer une batterie de mesures le week-end prochain afin de limiter les répercussions néfastes de cette pandémie sur les plus vulnérables. Lors d'un point presse ce lundi 12 octobre avec le conseil d'analyse économique (CAE) rattaché à Matignon, l'économiste et professeur à la London School of economics (LSE), Camille Landais, spécialiste des inégalités, rappelait que "les revenus des ménages les plus modestes ont été les plus affectés par la crise. L'urgence est de renforcer l'arsenal à l'égard des plus modestes. La crise amplifie les inégalités."
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Les plus précaires dans le rouge
Rapidement, le gouvernement a mis en oeuvre des mesures de chômage partiel relativement généreuses pour préserver le revenu des salariés et éviter des licenciements massifs au cours du printemps. Ces dispositifs ont permis d'amortir une partie des effets la crise puisque la diminution du revenu disponible brut des ménages s'est élevée à 2,6% au deuxième trimestre alors l'économie s'est effondrée plus fortement dans le même temps.
Malgré la mise en place de ce filet de sécurité, des disparités apparaissent selon les différentes enquêtes menées par l'organisme de statistiques. Ainsi, 23% des ménages ont déclaré en mai dernier que leur situation financière s'était détériorée pendant le confinement. A l'opposé, 2% des ménages ont vu leur situation s'améliorer. Enfin deux tiers signalent une stabilité. Sans surprise, cette détérioration concerne d'abord les plus pauvres, ceux qui se situent en deça du premier décile de la population.
Un tiers de la population active a connu une baisse de leurs revenus
Le principal facteur qui explique cette chute des revenus chez les plus pauvres est tout simplement la baisse brutale de l'activité économique au printemps. Environ un tiers des actifs déclarent avoir connu une perte de revenus alors que les retraités semblent "préservés de cette situation" avec un système de versement de pension indépendant des effets de la conjoncture. Parmi les catégories socio-professionnelles, les ouvriers et de nombreux indépendants ont connu des pertes sèches au moment du confinement. En particulier, les patrons de restaurants, bars et brasseries et de nombreux commerces non-essentiels contraints de fermer en seulement quelques heures. Selon les résultats des statisticiens, plus de la moitié des indépendants ont enregistré une baisse de leurs revenus. Viennent ensuite les ouvriers (37%). Pour les autres catégories socioprofessionnelles, "ces proportions se situent entre 25 % (pour les cadres et professions intellectuelles supérieures, qui incluent les professions libérales) et 30 % (pour les agriculteurs)" expliquent les auteurs de l'enquête.
Le télétravail limite la perte de revenus
Le confinement a précipité la mise en oeuvre du télétravail pour certaines catégories de la population active. Ainsi, ceux qui ont pu recourir au télétravail ont moins souvent déclaré de pertes financières que d'autres professions. Si le télétravail pouvait concerner principalement les cadres avant le confinement, cette crise a élargi ce mode de travail à distance à d'autres catégories professionnelles. "Parmi les salariés qui ont travaillé au moins une heure la semaine précédant l'enquête en mai, 28% des professions intermédiaires et 21% des employés ont travaillé exclusivement depuis leur domicile. Au total, 28% des personnes en emploi qui ont travaillé la semaine précédant l'enquête l'ont fait exclusivement depuis leur domicile, et 16% partiellement. À l'inverse, 56% ont travaillé uniquement en dehors de leur domicile" indique l'étude. Sans surprise, une minorité d'ouvriers (6%) déclare avoir télétravaillé contre 80% des cadres. Ce qui a évidemment amplifié les risques d'exposition à cette maladie infectieuse à une période où le virus était particulièrement virulent.
Des cadres moins touchés par le chômage partiel que les ouvriers
Résultat, les ouvriers se sont plus souvent retrouvés au chômage technique que les cadres ou professions intermédiaires. Ainsi, 24% des ouvriers déclarent être passées par des périodes de chômage partiel pendant les huit semaines de confinement contre seulement 8% des cadres. Ce qui a évidemment eu des répercussions négatives sur le porte-monnaie des ouvriers. "Si la rémunération en activité partielle ne pouvait être inférieure au Smic, le minimum garanti pendant le confinement correspondait à 84 % du salaire net" rappelle l'étude.
Les familles avec enfants déclarent plus souvent des pertes
La fermeture des établissements scolaires, des crèches et centres d'accueil de la petite enfance ont obligé un grand nombre de parents à réduire leur temps de travail pour garder les enfants. Ainsi, 33% des foyers avec enfants ont déclaré une perte de revenus contre 18% chez les ménages sans enfant. "Les droits aux arrêts de travail pour garde d'enfants ont notamment été généralisés à la suite de la fermeture des établissements scolaires. Ces derniers sont rémunérés par l'assurance maladie, et à partir du 1er mai, selon les modalités de l'activité partielle, ce qui peut se traduire par une perte de revenu" ajoute l'étude. En outre, la fermeture des cantines scolaires a pu augmenter les frais pour les familles qui bénéficient des tarifs sociaux. En revanche, beaucoup de femmes ont déclaré une hausse de leur temps de travail. Cela est lié à la surreprésentation des femmes dans certaines professions très mobilisés pendant le confinement comme les soignants, les caissiers.
Les jeunes en première ligne
La mise à l'arrêt de pans entiers de l'économie française a obligé de nombreux employeurs à se séparer de leurs salariés pendant cette période troublée. Parmi les premières variables d'ajustement, figurent les jeunes qui sont plus souvent employés en contrat à durée limitée ou en saisonnier. "9 % des personnes en emploi avant le confinement âgées de 15 à 24 ans ont perdu leur emploi contre moins de 2 % des actifs de 40 ans à 65 ans. Parmi les jeunes de moins de 25 ans qui étaient en emploi avant le confinement, 37% déclarent ne pas avoir travaillé la semaine précédant l'enquête en mai". Pour les jeunes qui sont entrées sur le marché du travail à la rentrée, l'insertion professionnelle pourrait se transformer en calvaire, surtout pour les non-diplômés et les décrocheurs.
"Étant les plus à risque d'occuper des emplois temporaires, les jeunes récemment entrés sur le marché du travail ont été les premières victimes de la chute brutale de l'activité économique. En effet, face à la baisse de l'activité et à l'incertitude sur leurs débouchés, les entreprises ont pu préférer ne pas pérenniser leur main d'œuvre temporaire (CDD ou intérim) ou réduire leurs embauches" indiquent les statisticiens.
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