LA TRIBUNE DIMANCHE- Après les annonces de Gabriel Attal, vous avez décidé de poursuivre la mobilisation. Les barrages levés provisoirement ce week-end pourraient donc reprendre dès demain. Pourquoi ?
ARNAUD ROUSSEAU- Le Premier ministre n'a pris en compte qu'une partie des 122 revendications que nous lui avons adressées. Ses propositions ne sont pas complètes. Beaucoup de sujets n'ont pas été abordés. C'est pour cela que, jusqu'à présent, il n'a obtenu la levée définitive que d'un seul barrage.
Concrètement, qu'attendez-vous de lui maintenant ?
Il nous a reçus lundi pour poser un diagnostic. Mais depuis mardi, on n'a pas eu de séance de travail à Matignon pour regarder, mesure par mesure, ce qu'on lui a proposé après avoir travaillé avec notre réseau. C'est pour cela que, avec les Jeunes Agriculteurs, nous voulons nous mettre autour de la table et discuter avec lui, revendication par revendication. Certaines ne coûteraient d'ailleurs pas un seul centime d'argent public.
Obtenir un accord sur l'intégralité de vos demandes, est-ce réaliste ? Quel compromis pourrait convaincre les agriculteurs de rentrer chez eux ?
Je voudrais justement qu'on en parle avec le Premier ministre, car nous n'avons pas encore eu cette discussion. Nous avons présenté nos revendications comme un tout, puisque ce sont des remontées du terrain que je ne peux pas trier. Mais si le gouvernement ne peut pas accepter certains points, je voudrais qu'on me dise lesquels et pour quelles raisons. Le Premier ministre a dit qu'il était un homme de dialogue. Nous aussi. Je suis à sa disposition pour mener ce travail.
Qu'attendez-vous notamment de la déclaration de politique générale du Premier ministre, mardi ?
J'espère déjà que d'ici à mardi on aura eu le temps de se parler.
Quelles sont selon vous les principales omissions, jusqu'à présent ?
Sur la retraite des agriculteurs, des décisions très attendues doivent être prises à propos des modalités de mise en œuvre de la réforme adoptée début 2023 [prévoyant qu'à partir de 2026 la pension des agriculteurs soit calculée sur leurs 25 meilleures années de revenus]. Mais un rapport qui devait être publié il y a presque un an n'est pas encore sorti. Nous posons alors au Premier ministre des questions très concrètes : qu'est-ce qui fait qu'on a pris ce retard ? Et qu'est-ce qu'on attend pour avancer ?
À propos des projets de stockage de l'eau, nous sommes très favorables au raccourcissement promis des délais pour obtenir les autorisations. Mais le sujet, c'est surtout comment faire pour que ces autorisations soient octroyées. Le Premier ministre n'a pas parlé de recherche et d'innovation, ou d'installation et transmission.
Sur nos revendications face à l'Union européenne, je l'ai trouvé peu précis. Il n'a pas parlé de l'Ukraine [qui depuis la guerre inonde l'Europe de ses denrées alimentaires, faisant baisser les prix, selon les agriculteurs]. Il a promis que la France essaierait de modifier la directive sur les émissions industrielles [qui s'applique à une partie de l'élevage] mais, concrètement, nous voulons savoir si Paris peut trouver une majorité pour faire évoluer ce texte et comment on compte s'y prendre. Nous pourrions d'ailleurs aider à une action concertée pour convaincre la Commission, puisque nous avons des contacts avec nos homologues des autres États membres.
Sur la surtransposition environnementale, on ne l'a pas entendu. On l'a d'ailleurs assez peu entendu sur les sujets environnementaux. On sent bien qu'à ce propos il n'est pas très à l'aise sur les arbitrages.
Concernant les produits phytosanitaires justement, maintenez-vous votre demande d'un abandon du plan Écophyto ?
Nous demandons déjà qu'on puisse discuter de l'indicateur utilisé en France, différent de l'européen. Mais sur ce sujet, pas un mot vendredi ! Pas un mot non plus sur les zones de non-traitement [des distances de sécurité vis-à-vis notamment des habitations].
Le dérèglement climatique le montre toutefois, et Gabriel Attal l'a souligné : la transition écologique est nécessaire aussi pour la survie de l'agriculture.
Oui, et il a raison. La transition environnementale et la décarbonation sont des sujets qui vont dans tous les cas continuer de concerner nos exploitations. Encore faut-il pour cela avoir des agriculteurs qui gagnent leur vie ! Ces transitions ne se feront qu'à cette condition. On n'y arrivera pas par la contrainte.
Nous ne voulons pas opposer agriculture et environnement ; environnement et production. Au contraire, nous pensons qu'il faut allier les deux. Mais dans le contexte mondial actuel, où il y a une forte tension sur la compétitivité de nos produits, accrue par les importations d'Ukraine et les accords de libre-échange, pour prendre le virage de l'agroécologie et de la décarbonation, un agriculteur a besoin d'avoir d'abord un résultat économique. Or sur les marchés européen et international, il se retrouve exposé à des distorsions importantes de la concurrence dues à la surtransposition par la France de normes environnementales européennes.
Ce que nous demandons, c'est de coller au cadre européen, qui prévoit quand même des évolutions environnementales. Ce que nous ne voulons pas, c'est la surtransposition, c'est-à-dire prévoir encore plus de contraintes en France. Le Premier ministre a promis de veiller à ce qu'il n'y en ait plus. C'est une décision qui va dans le bon sens. Mais qu'est-ce qu'on fait de toutes celles qui sont déjà là ?
Nous voulons aussi que la souveraineté soit prévue comme un complément du droit de l'environnement sur le plan juridique. Le but est que toute mesure environnementale engendrant une réduction de la production soit neutralisée tant qu'on ne trouve pas de solution.
À propos des revenus des agriculteurs, mercredi soir vont se clôturer les négociations commerciales annuelles entre les distributeurs et les agro-industriels. Le gouvernement a promis de maintenir la pression pour que les coûts de revient des agriculteurs soient respectés, et de prononcer des sanctions. Est-ce suffisant ?
Nous voudrions que soit créé un organe auquel les agriculteurs ou leurs organisations puissent demander d'intervenir quand ils soupçonnent que les prix de la matière première agricole, sanctuarisés pourtant par les lois Egalim [de 2018 et 2021], ne sont pas respectés. Il n'en existe pas aujourd'hui.
Et nous remarquons quand même que les « lourdes sanctions » contre trois grosses entreprises évoquées par le Premier ministre ont été annoncées seulement après nos manifestations. Les agriculteurs sont donc convaincus que, sans leur mobilisation, rien n'aurait bougé.
Jusqu'à présent, vous ne vous êtes donc pas sentis « écoutés et compris » ?
Nous nous sommes quand même sentis écoutés, puisque le Premier ministre nous a reçus et a partagé le diagnostic qu'on lui a présenté. Les mesures de simplification et de réduction des délais proposées, en plus, sont de très bon augure. La volonté affichée d'offrir des solutions sur le gazole non routier [GNR] aussi. Nous apprécions les mesures d'aide aux secteurs ou aux Régions en difficulté : l'agriculture biologique, la Bretagne, la viticulture. Mais ce qu'on nous a annoncé vendredi, c'est une réponse classique à une situation d'urgence. On n'a pas senti de véritable changement de logiciel. Or, si on dit que l'agriculture est au-dessus de tout, il faut se donner les moyens de changer les choses. Et nous ne voulons pas de promesses, mais des actes concrets.
Quelles nouvelles actions prévoyez-vous les prochains jours ?
Comme toujours à la FNSEA et chez les Jeunes Agriculteurs, c'est le terrain qui décide.
Ne craignez-vous pas d'être dépassés par votre base et qu'il y ait une déstructuration du mouvement ?
Nous parlons à nos adhérents, qui sont des gens structurés et auxquels on donne des consignes claires, notamment sur la non-violence. Nous les remercions de s'être mobilisés en les respectant jusqu'à présent. Mais ce n'est pas pareil dans tous les autres syndicats. Et il y a beaucoup de gens qui manifestent avec nous parce qu'ils sont concernés par l'avenir de l'agriculture, mais sans être syndiqués. S'ils font autre chose que ce qu'on préconise, ils prendront leurs responsabilités.
Que pensez-vous de la possibilité d'être rejoints par d'autres mouvements ?
Nous ne souhaitons être récupérés ni sur le plan politique ni sur le plan professionnel, même si nous comprenons que d'autres aussi aient leurs combats.