"Le président Macron peut donner l'impression d'être coupé du pays"

Par Grégoire Normand  |   |  1607  mots
Adélaïde Zulfikarpasic, directrice du département opinion de BVA. (Crédits : Gilles Cohen)
[Un an de présidence Macron] Pour Adélaïde Zulfikarpasic, directrice du département opinion de BVA, la politique fiscale et la hausse de la CSG ont sérieusement érodé la popularité du chef de l'État.

LA TRIBUNE - Comment la cote de popularité d'Emmanuel Macron a-t-elle évolué depuis le début de son mandat ?

ADELAÏDE ZULFIKARPASIC - Elle n'a pas du tout évolué de façon linéaire contrairement à certains présidents qui ont connu un état de grâce en début de mandat et une popularité qui s'effrite progressivement par la suite. Là, on a eu une succession de séquences différentes avec un très bref état de grâce, une chute à la fin de l'été, un rebond à l'automne, une nouvelle chute pendant l'hiver et de nouveau un rebond au printemps. Cette volatilité est assez inédite et elle retranscrit un attentisme très fort chez les Français, qui réagissent fortement en fonction de l'actualité gouvernementale.

Les Français ont l'air mécontents de la première année du mandat d'Emmanuel Macron alors que la situation économique est favorable. Comment expliquez-vous ce mécontentement ?

Sur le bilan global, les Français sont critiques et relativement sévères. Mais en même temps, quand on observe le détail des résultats sur l'ensemble des mesures testées, la plupart d'entre elles sont approuvées. Au final, le bilan n'est pas si mauvais que ça même s'il y a un ressenti global qui est plus négatif que positif.

Ce paradoxe s'explique par le fait que sur l'ensemble des mesures prises, toutes n'ont pas eu la même portée et le même impact. Et il y a quelques mesures emblématiques qui cristallisent les mécontentements. La hausse de la CSG constitue la mesure qui a le plus marqué l'esprit des Français et en même temps la plus impopulaire. Plus récemment, la question de la limitation de vitesse à 80 km/h sur certaines routes ou encore, au début du quinquennat, la transformation de l'ISF en IFI ont contribué à écorner la popularité du président lui collant une étiquette d'un dirigeant qui n'agit pas pour l'ensemble des Français.

Pourquoi suscite-t-il autant de clivages ?

Il y a une partie des Français qui sont clairement opposés à sa politique, mais Nicolas Sarkozy suscitait beaucoup plus de divisions. Par ailleurs, les résultats indiquent que les clivages ne sont pas forcément aussi tranchés. Plus de la moitié des Français sont encore dans le soutien ou l'attente. Au début de son mandat, les Français n'avaient pas une idée claire de ce qu'il allait faire, mais très vite, il s'est retrouvé avec l'étiquette de "président des riches" qui lui colle à la peau depuis la fin de l'été 2017.

Les premières mesures impopulaires telles que la suppression des emplois aidés ou la réduction des APL, la suppression de l'ISF ont pu donner le sentiment qu'il pouvait avoir une politique de droite et qu'il s'adressait aux catégories les plus aisées même s'il avait été ministre sous un gouvernement de gauche. Certaines mesures peuvent être qualifiées de gauche comme le dédoublement des classes de CP. Toutes ces mesures-là sont moins nombreuses dans la balance, mais il y a une fixation sur des mesures dans les domaines économique et fiscal qui donnent le sentiment d'un président qui s'adresse aux catégories aisées. C'est sur ces actions qu'il paraît clivant plus que sur sa personnalité.

Les Français semblent très sévères sur ses actions relatives à l'immigration et au pouvoir d'achat. Pensez-vous que ces deux thèmes pourraient encore avoir un impact négatif à plus long terme sur la popularité du chef de l'Etat ?

La question des priorités pour l'avenir montre que ces deux thèmes restent très importants chez les Français. Sur l'immigration, il ne donne pas satisfaction pour une certaine partie de la gauche. Beaucoup pensent que c'est une politique trop dure. Pour les tenants de la droite, la politique migratoire n'est pas assez dure sachant que l'immigration est surtout une question idéologique. Pour le pouvoir d'achat, la mesure la plus importante est la suppression de la taxe d'habitation. Comme cette mesure n'a pas encore été mise en place, les Français n'en perçoivent pas encore les bénéfices.

Son action à l'étranger semble plébiscitée par les Français. Y a-t-il vraiment une rupture avec ses prédécesseurs ?

Il y a une rupture de style par rapport à ses prédécesseurs les plus récents. Emmanuel Macron peut incarner une rupture en termes de jeunesse, il est plus proche de la culture des Anglo-saxons. D'après les enquêtes que nous menons depuis un an, le redressement de l'image de la France à l'étranger correspond à une forte attente des Français. Plusieurs classements internationaux comme celui du Pisa réalisé par l'OCDE indiquent parfois que la France est en déclin et cela pouvait donner le sentiment d'un déclassement plus général du pays. Par effet d'image, Emmanuel Macron peut donner le sentiment d'une fierté retrouvée.

Comment son socle de soutiens a-t-il évolué depuis l'élection présidentielle ?

Son socle de soutiens en termes de caractéristiques socio-démographiques n'a pas beaucoup changé. Il reste principalement le représentant des "plus riches", des "plus diplômés" et des "plus vieux". Contrairement à ce qu'on a pu entendre pendant la campagne, Emmanuel Macron n'a pas été élu par des jeunes. Les 18-25 ans ont d'abord voté pour Jean-Luc Mélenchon ou pour Marine Le Pen. Aujourd'hui, on retrouve dans son socle les catégories aisées, les hauts revenus, les cadres. En revanche, il y a un réel décrochage chez les retraités qui étaient au départ de fervents supporters. Aujourd'hui, il a perdu du crédit au sein de cette population, mais le niveau de soutien reste supérieur chez eux à celui de la moyenne nationale. La prochaine réforme des retraites pourrait être déterminante.

 A-t-il encore assez de soutiens pour mener à bien ses réformes ?

Son socle de soutiens est relativement étroit. Il représente environ 20% des Français. Et cette base ne s'est pas érodée pendant un an. Au contraire, elle s'est plutôt renforcée ces dernières semaines. Ce groupe représente "un terreau" assez fertile pour faire des réformes. Par ailleurs, 4 Français sur 10 déclarent qu'ils sont prêts à attendre avant de juger pour mieux appréhender les résultats. Ce groupe représente "un terreau" assez fertile pour faire des réformes. Chez ceux qui estiment ne pas bénéficier de la politique gouvernementale, 43% déclarent être prêts à attendre avant de se prononcer. On n'a pas du tout basculé dans une opposition claire et nette.

Comment l'opposition se situe-t-elle ?

L'opposition est toujours en difficulté. Traditionnellement, le parti qui est au gouvernement a tendance à prendre les coups et à voir sa popularité s'effriter. La popularité de La République en marche (LREM) fluctue au gré de la popularité d'Emmanuel Macron, mais on n'observe pas une progression des partis d'opposition. Ils restent à des niveaux de popularité relativement faibles. Le Parti socialiste est en grande difficulté tandis que la France insoumise, le Front national et Les Républicains n'arrivent pas à susciter chez les Français le sentiment qu'il existe un projet alternatif pour la France pour plusieurs raisons.

Pour LR et le PS, il n'y a pas de ligne de différenciation claire par rapport au gouvernement. Chez LR, la politique économique est assez proche. Pour le PS, il y a également des proximités. Les Français ne voient pas en quoi Benoît Hamon, Olivier Faure ou Laurent Wauquiez vont amener quelque chose de différent. Pour la France Insoumise et le FN, il y a une ligne de différenciation claire, mais ils représentent une partie seulement des Français avec un socle insuffisant pour prendre de l'ampleur. La voie est assez libre pour l'exécutif.

Pour les Français les plus modestes, le président est perçu comme déconnecté de certaines catégories. N'y a-t-il pas un risque d'accroître la polarisation de certaines catégories avec les réformes ?

Depuis plusieurs mois, on parle beaucoup de deux France bien distinctes avec une véritable ligne de fracture. Mais ce n'est pas si simple. En fait, il y a un petit périmètre de la France qui se sent concerné par les réformes (moins de 20%) et il y a tout le reste qui se sent laissé pour compte. Les plus modestes vont avoir ce sentiment d'être laissés-pour-compte, mais ils ne sont pas seuls à être dans ce cas. Les classes moyennes, les retraités peuvent également avoir le sentiment d'être peu considérés. Le président peut donner l'impression d'être coupé du pays. Les lignes de fracture risquent de s'accentuer si les réformes relatives à la justice sociale tardent à venir.

Quels sont les autres risques qui pourraient apparaître dans les mois à venir ?

La question du sens collectif, du récit national, du vivre-ensemble sont des sujets essentiels qui doivent être demain au cœur du projet pour parler aux Français. L'impatience des Français peut s'accentuer si ce sentiment d'injustice se renforce dans les prochains mois. Il ne pourra pas continuer à réformer pour réformer sans redonner du sens à ce mouvement et donner à chaque Français le sentiment qu'il en bénéficie.

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Propos recueillis par Grégoire Normand

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