Le revenu de base (3/3) : une utopie réaliste ?

Par Mégane Chiecchi  |   |  870  mots
"Il n'y aura pas de consentement des travailleurs à payer pour des surfeurs qui passent leur journée sur la plage."
Le revenu de base a des limites, des barrières qui l'empêchent d'être mis en place effectivement, alors même que le concept existe depuis plusieurs siècles. Si l'idée est révolutionnaire, elle doit d'abord convaincre les foules pour exister. Un défi qui ne parvient pas à être relevé, notamment parce qu'il porte en lui de nombreuses incertitudes.

Le modèle du revenu de base est souvent moqué par ses détracteurs pour son manque de réalisme. Comment justifier, par exemple, que certains profitent du revenu de base pendant que d'autres travaillent pour le financer ? La métaphore du surfeur de Malibu, inventée par le philosophe John Rawls n'est jamais très loin pour créer le débat. Pour Guillaume Allègre, économiste à l'OFCE (l'Observatoire français des conjonctures économiques), le blocage est évident :

"Il n'y aura pas de consentement des travailleurs à payer pour des surfeurs qui passent leur journée sur la plage."

Un argument qui sonne juste, et qui est régulièrement soulevé par l'ensemble des opposants au revenu de base. Ainsi, Jean-Marie Harribey, un économiste marxiste, doute tout simplement de la légitimité philosophique d'un tel concept, dans la mesure où il révolutionne la place du travail dans nos sociétés. En dissociant les notions de travail, activité et revenus, il est donc question d'accepter de rémunérer des activités auparavant jugées gratuites, telles que les tâches effectuées par les femmes au foyer. Vecteur d'émancipation pour l'économiste Philippe Van Parijs, le concept est très critiqué par Harribey qui y voit une dérive philosophique :

"Toute peine mérite salaire et tout salaire mérite peine", résume Jean-Marie Harribey.

Une projection avant-gardiste

Défenseur du revenu de base, Jean-Eric Hyafil l'admet, ce mouvement est largement irrigué par l'idéologie décroissante. Selon lui, le concept suggère une nouvelle société, éloignée de la consommation :

"Il est question de changer de paradigme, l'idée c'est de diminuer le poids de la sphère marchande, au profit de la sphère autonome, c'est à dire celle où le travail est libre, bénévole ou gratuit. La sphère étatique, de son côté, conserve son rôle de régulateur et gère les impôts" explique l'économiste.

Efficace en théorie, le concept est loin de convaincre tous les économistes. Pour Guillaume Allègre, cette vision est prématurée. Selon l'économiste, l'automatisation de certaines tâches et le remplacement du capital humain par les robots n'est pas encore assez avancé pour que les individus puissent se libérer totalement de l'obligation de travail. Qui remplacera les femmes de ménage ? Les restaurateurs ? Trop de professions restent encore dépendantes du capital humain pour fonctionner.

"Ce sera pour le 22ème siècle", espère Guillaume Allègre.

Par ailleurs, la réaction ou le comportement des individus face au revenu de base reste difficilement prévisible. Difficile d'imaginer une telle révolution sociétale sans certitude. L'économiste Marc de Basquiat le confirme  :

"En réalité on n'en sait rien. L'hypothèse que le revenu de base va fonctionner est un peu dans le vide. Mais dans tous les tests menés, aucune expérience ne prouve pas que les gens s'arrêtent de travailler."

Des expérimentations biaisées

Pourtant, le revenu de base a bien été mis en place dans certaines régions du monde, mais avec des spécificités qui portent à croire que le concept n'est pas universellement viable. En Namibie par exemple, une allocation universelle de 100 dollars namibiens (10 euros) a été versée à l'ensemble du village d'Otjivero pendant deux ans.

Souvent donné en exemple par les partisans du revenu de base, cet essai a permis aux villageois de sortir en partie de la pauvreté, mais il est loin de correspondre aux problèmes rencontrés par les pays développés.

D'autant que la mise en place du revenu de base s'accompagne rarement d'une révolution fiscale digne de garantir sa faisabilité à une échelle mondiale. Jean-Eric Hyafil le rappelle, ce concept provoque par exemple automatiquement des risques d'inflation. A l'heure actuelle, aucune expérience n'est jamais allée assez loin pour étudier cette possibilité.

La rhétorique des défenseurs du revenu de base s'appuie aussi sur l'Alaska et l'Iran pour convaincre les réticents. Mais bien souvent, c'est la dotation en ressources naturelles de ces pays qui leur permet de faire une distribution novatrice des richesses, et non pas un projet politique révolutionnaire. En Alaska par exemple, chaque année depuis 1983, les habitants touchent une allocation, indexée directement sur les revenus issus de la rente pétrolière. En 2014, il s'élevait à 1.884 dollars (1.733 euros), contre 878 dollars (678 euros) en 2012. De son côté, l'Iran, lorsqu'il a arrêté de subventionner le pétrole en 2008, a cherché à compenser la perte occasionnée chez les ménages par une nouvelle allocation, similaire au revenu de base.

Similaire, mais pas équivalent. Le mouvement pour le revenu de base souffre décidément d'un manque de crédibilité, à défaut d'avoir de nombreux partisans. Si l'idée est séduisante sur le papier, à l'heure actuelle aucun exemple ne peut réellement appuyer la viabilité du concept. Les tests à venir dans l'Union Européenne apporteront sûrement leur lot de réflexions sur l'idée, qui ne pourrait que se perfectionner dans les années à venir.

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SOMMAIRE

Le revenu de base (1/3) : les fondements
Le revenu de base (2/3) : comment l'appliquer ?
Le revenu de base (3/3) : une utopie réaliste ?