La pandémie fait des ravages sur les populations les plus fragiles. Selon la dernière note de la caisse d'allocations familiale (CAF) passée en dehors des radars, le nombre d'allocataires du revenu de solidarité active est estimé à 1,99 million à la fin du mois de juin dernier contre 1,87 million un an plus tôt, soit environ 120.000 bénéficiaires en plus (+ 6,2%).
Pour la période suivante, les statisticiens ont rendu publiques des données provisoires qui montrent un impact majeur de la crise sur le nombre d'allocataires. En août et septembre dernier, l'écart par rapport à une situation normale est d'environ + 8,5%.
"Les revenus les plus faibles ont été dévastés par la crise. Près de 50% des adultes dont les revenus sont les plus faibles ont du mal à payer leurs factures et 30% d'entre eux sont obligés d'aller à la banque alimentaire. Pour l'instant, les pouvoirs publics n'ont pas réussi à vraiment soutenir ces catégories", a alerté la cheffe économiste de l'OCDE, Laurence Boone, lors d'un point presse ce mardi 1er décembre sur les perspectives macroéconomiques.
S'il est encore difficile à ce stade de mesurer l'impact de la pandémie sur la pauvreté, l'allongement des files d'attente pour la distribution des repas et les cris d'alarme des associations en charge de la solidarité sont les premiers signes d'une paupérisation d'une partie de la population. Beaucoup de travailleurs, qui occupaient des postes saisonniers, des contrats à durée déterminée (CDD), des indépendants, des chômeurs en fin de droits pourraient avoir recours à ce type de ressources. "Les chiffres de l'augmentation du RSA sont très inquiétants pour les mois de septembre et octobre. Un nombre important de personnes ne sortent plus du chômage à cause de la récession. Avant, beaucoup de personnes sortaient du chômage et trouvaient un emploi", expliquait récemment le cabinet du ministre de la Santé Olivier Véran lors d'une réunion avec des journalistes.
+ 40.000 familles bénéficiaires au second trimestre sur fond de crise
La mise sous cloche de l'économie au printemps a mis un coup d'arrêt aux opportunités d'emplois pour de nombreux actifs. Des pans entiers de l'économie tricolore ont été contraints de fermer pendant huit semaines, plongeant des millions de travailleurs dans un épais brouillard. Interrogé il y a quelques jours par La Tribune, le directeur général adjoint de Pôle emploi, Michaël Ohier, expliquait que le nombre d'offres avait considérablement chuté lors de cette période troublée. Résultat, cette absence de perspectives sur le marché du travail a limité les possibilités de sorties des allocataires du RSA.
"Ces évolutions sont à relier à la crise économique, dont les premiers signes sont apparus en mai et se sont accentués en juin, se traduisant simultanément par une croissance du nombre d'allocataires (liée à de moindres sorties du RSA, plus qu'à de nouvelles entrées) et par le versement d'un montant moyen de RSA plus élevé (les ressources des allocataires étant plus faibles)", indique la CAF.
En outre, dans le cadre de l'urgence sanitaire et social, le gouvernement a annoncé au printemps un prolongement des droits pour ceux qui arrivaient à échéance. Ce qui peut expliquer une partie de cette hausse.
Avec la fermeture d'un grand nombre d'administrations, les contrôles ont également été suspendus. "Ainsi, les allocataires n'ayant pas fourni leur déclaration trimestrielle de ressources (DTR) à temps ont vu leurs droits prolongés, les allocataires suspendus de leurs droits suite à un contrôle ont été rétablis dans leurs droits, et enfin, les contrôles n'ont pu se dérouler. Ces mesures ont un impact faible in fine car, pour une part majoritaire, elles ont anticipé le paiement de droit qui auraient été dus", ajoute l'organisme.
Une hausse préoccupante en Île-de-France, dans le grand Ouest et aux frontières
Les demandes de revenu de solidarité active n'ont pas augmenté de façon homogène sur tout le territoire français. Ainsi, les régions de la Bretagne et des Pays de la Loire, qui avaient une proportion d'allocataires relativement faible avant la crise, ont enregistré une hausse importante (+12,5%) entre le troisième trimestre 2019 et le troisième trimestre 2020. En Île-de-France, la situation est particulièrement critique avec des augmentations du même ordre sur une période comparable.
Enfin, les zones frontalières depuis l'Allemagne jusqu'à l'Italie ont également connu une hausse des familles allocataires. "Les plus fortes augmentations semblent concerner globalement les départements avec une activité économique soutenue et donc un taux de foyers allocataires au RSA en janvier 2020 plutôt faible. Il semble aussi se dégager [...] que des départements qui, traditionnellement, ont une activité touristique importante lors de la période estivale ont dû probablement, à cause des conditions sanitaires, connaître une réduction de cette activité", précisent les auteurs de la note.
Un non recours très important
Ces chiffres du RSA n'offrent qu'une photographie partielle des foyers qui pourraient potentiellement bénéficier de ce dispositif. Selon une enquête du ministère de la Santé publiée en juin dernier, le taux de recours au RSA était d'environ 50% en France. Ce qui signifie qu'environ 1,7 million de personnes (chiffres de 2011) étaient éligibles et n'en bénéficiaient pas. Au total, près de 432 millions d'euros ne seraient pas alloués. "La méconnaissance du RSA, ou sa mauvaise connaissance, explique pour l'essentiel le non-recours à la prestation", indique la direction statistique du ministère. À cela s'ajoutent tous ceux qui passent en dehors des enquêtes administratives et recensements.