« Rien n'est joué ! » : lors d'un déplacement consacré aux banlieues en Seine-Saint-Denis hier, jeudi 21 avril, Emmanuel Macron a lancé un avertissement à la veille d'un second tour bien plus serré qu'en 2017 pour appeler les électeurs à faire barrage à l'extrême droite. Et en effet, la plupart des instituts de sondage tablent certes désormais sur une victoire du président candidat, mais signalent aussi que l'abstention pourrait s'inviter dans le scrutin de dimanche prochain. En effet, le niveau de participation au premier tour a atteint son niveau le plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale, à l'exception du 21 avril 2002. À l'époque, l'arrivée du candidat du Front national et leader d'extrême droite Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle face au président sortant Jacques Chirac avait provoqué une vague de sidération partout en Europe. Des mobilisations pour faire barrage au candidat frontiste s'étaient multipliées dans toute la France. Vingt ans après, en 2022, les appels à manifester contre l'extrême droite sont loin d'avoir attiré les foules. Pour le candidat Macron, l'abstention et les électeurs indécis pourraient largement rebattre les cartes d'un scrutin sous haute tension.
Vers une abstention record dimanche ?
Les derniers résultats des instituts de sondage tendent à montrer que la participation électorale pourrait s'effriter à nouveau par rapport au premier tour. "L'abstention pourrait atteindre un record pour une présidentielle. Elle pourrait être supérieure à 30%. Ce qui serait inédit depuis 1969 où deux candidats de droite, Georges Pompidou et Alain Poher, s'étaient affrontés", a déclaré le professeur de science politique à l'Université de Montpellier et spécialiste de l'abstention Jean-Yves Dormagen interrogé par La Tribune. "Il faut néanmoins rester prudent car l'abstention reste difficile à mesurer. Les échantillons des sondages ont toujours tendance à être plus votants que l'électorat dans son ensemble," ajoute-t-il. Cependant l'abstention n'est ni un phénomène récent ni réservé à l'élection présidentielle: d'autres scrutins, par exemple les municipales de 2020 ou les régionales de 2021, ont montré une désertion historique des bureaux de vote.
12,8 millions de personnes se sont abstenues au premier tour
Au premier tour de l'élection présidentielle le dimanche 10 avril 2022, 12,8 millions de personnes ont déserté les urnes, soit 26% des inscrits, le plus haut niveau jamais atteint depuis 2002. En ajoutant les votes blancs (543.000) et les votes nuls (247.000), plus de 13,6 millions ont boudé les bureaux de vote au premier tour sur un total de 48 millions d'inscrits.
Pour rappel, à la présidentielle de 2017, le taux d'abstention au premier tour était déjà élevé, à 22%. Et au 2e tour, malgré la présence de Marine Le Pen face à Emmanuel Macron, un quart (25%) des électeurs avaient quand même déserté les urnes, un record depuis 1969.
Selon le tout dernier sondage Odoxa dévoilé ce vendredi 22 avril, à deux jours du scrutin, 13% des Français interrogés ont l'intention de voter blanc ou nul (contre 11,5% en 2017) et 7,5% des répondants sûrs de voter dimanche n'ont pas encore fait leur choix.
40% des jeunes ont boudé les urnes au premier tour
L'un des résultats frappant du premier tour est que les jeunes ont massivement déserté les urnes au premier tour. 40% des personnes âgées entre 18 et 35 ans se sont abstenues, selon Anne Muxel, enseignante à Sciences Po. Comparé à 2017, l'abstention a encore grimpé dans cette tranche d'âge alors que la présidentielle est traditionnellement un scrutin plus mobilisateur que les autres élections (municipales, législatives, européennes).
La crainte du "ni ni"
La crainte du "ni ni" gagne du terrain dans les rangs des macronistes. En effet, les appels à voter "ni Le Pen ni Macron" se sont multipliés durant la période de l'entre-deux tours. En outre, de nombreux électeurs à gauche notamment ont exprimé de la lassitude à faire barrage ces dernières semaines.
Après le choc du 21 avril 2002, la "tradition" s'est établie en France d'un "front républicain" des grands partis de droite et de gauche pour empêcher les nationalistes d'arriver au pouvoir. Mais les choses ont changé. Beaucoup d'électeurs pourraient décider de ne pas faire barrage, contrairement aux élections précédentes.
La progression spectaculaire de l'extrême droite
En quelques années, l'extrême droite a fait une percée spectaculaire dans les scrutins nationaux. Après avoir mené sa troisième campagne présidentielle, la candidate du Rassemblement National (RN) n'a jamais remporté autant de voix au premier tour d'un vote pour l'Elysée (8,1 millions, soit 23,1% des suffrages exprimés contre 7,6 millions en 2017 et 6,4 millions en 2012). Marine Le Pen est incontestablement sortie renforcée du premier tour du scrutin le 10 avril dernier alors qu'Emmanuel Macron s'était engagé "à faire reculer les extrêmes" en 2017.
Force est de constater que la stratégie de "dédiabolisation" entamée en 2011 par Marine Le Pen a permis à la candidate d'affermir sa place sur l'échiquier politique national au détriment des partis traditionnels de droite et de gauche (UMP puis LR et PS) sous la Ve République.
Macron à la chasse aux votes à gauche
Au lendemain du premier tour, le président candidat Macron a multiplié les déplacements dans des zones où Jean-Luc Mélenchon avait obtenu de bons résultats. Les électeurs de l'Avenir en commun représentent quelque 7,7 millions de voix - sans compter les 3,5 millions de voix données aux écologistes, aux socialistes, au communistes et autres petits partis d'extrême gauche.
Même si les sondages donnent une confortable avance à Emmanuel Macron, les voix de gauche, dimanche, seront cruciales. Une enquête réalisée cette semaine par Ipsos-Sopra Steria indique qu'environ un tiers (33%) des électeurs de Jean-Luc Mélenchon voteront pour Emmanuel Macron. Mais qu'environ la moitié ne savent pas encore ce qu'ils feront.
Dans un autre baromètre Odoxa, 43% des électeurs de Mélenchon indiquent qu'ils vont voter pour Macron et 24% pour Marine Le Pen.
Autre indicateur, lors d'une consultation interne réalisée auprès des soutiens de Jean-Luc Mélenchon, le vote blanc ou nul est arrivé en tête, avec 37,65% des 215.292 voix exprimées. Le vote Macron arrive ensuite avec 33,4% des voix, devant l'abstention avec près de 29%. Que ce soit via un vote blanc ou l'abstention, les deux tiers (66%) ont donc opté pour ne pas voter en faveur d'Emmanuel Macron. À quelques heures du vote, l'incertitude demeure.
Par ailleurs, pour les prochaines législatives, le candidat de La France Insoumise arrivé sur la troisième marche du podium avec près de 22% des suffrages a déjà appelé ses électeurs à voter pour les candidats de son parti dans l'espoir de devenir Premier ministre.