Le débat entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron débarque sur Twitch ce mercredi soir. Plusieurs streamers de la plateforme de vidéo en direct d'Amazon ont annoncé lundi qu'ils avaient "acheté les droits" pour retransmettre et réagir au débat organisé conjointement par France TV et TF1. Une première dans l'histoire de la plateforme.
Cette annonce représente un pas intéressant dans la lutte contre le désintérêt des plus jeunes pour l'élection présidentielle. D'après plusieurs sondages, l'abstention chez les 18-34 ans au premier tour a grimpé à plus de 40%, contre 26% sur l'ensemble des catégories d'âge selon les chiffres officiels du ministère de l'Intérieur. Or, c'est justement cette population qui constitue plus des trois quarts des spectateurs de la plateforme, qui s'impose progressivement comme un média de masse.
Si cette exposition médiatique supplémentaire des candidats ne suffira probablement pas à adresser les raisons plus profondes de l'abstention, elle a le mérite de replacer la question politique dans l'environnement culturel d'une partie des 18-34 ans.
Trois commentateurs attendus et un invité surprise
La Tribune a repéré quatre streamers qui commenteront en direct le débat :
- Hugo Travers, sur sa chaîne HugoDécrypte (240.000 "followers")
Âge de 25 ans, Hugo Travers se positionne comme le présentateur de sa génération. Sa chaîne YouTube de vulgarisation de l'actualité HugoDécrypte s'est progressivement étendue aux autres réseaux sociaux, et notamment sur Instagram où il réunit près de 2 millions d'abonnés (non-payants). Aujourd'hui, HugoDécrypte est devenu un média à part entière, qui emploie une dizaine d'employés. A l'occasion de l'élection présidentielle, ce dernier a multiplié les formats, et notamment de longues interviews quasiment tous les candidats. Chacune a attiré entre 500.000 et 2 millions de visionnages.
- Samuel Etienne (496.000 followers)
Présentateur et journaliste de FranceTV, où il anime la matinale de franceinfo et le jeu Questions pour un Champion, Samuel Etienne s'est installé sur Twitch depuis un an et demi. Il y anime une revue de presse quotidienne "La Matinée Est Tienne", suivie par plus de 10.000 spectateurs en simultané en moyenne -une audience relativement élevée pour la plateforme- ainsi qu'un format d'interview longue. Lors de sa soirée organisée à l'occasion du premier tour, le présentateur précise avoir reçu le passage de plus de 300.000 spectateurs uniques.
- Jean Massiet (158.000 followers)
Jean Massiet est le vulgarisateur et commentateur politique le mieux identifié de Twitch, où il s'est notamment fait connaître en commentant les débats de l'Assemblée nationale. Ancien collaborateur de l'ex-ministre Marisol Touraine, il anime désormais un talk-show politique hebdomadaire, "Back Seat", en plus d'événements réguliers. En mars, il avait par exemple organisé avec plusieurs ONG le "débat du siècle", une suite d'interviews de candidats de l'élection présidentielle sur la seule question du climat.
- Sardoche (1,2 millions de followers)
Plus connu pour ses parties sur les jeux vidéos League of Legends, Elden Ring ou Trackmania, Sardoche (Andréas Honnet de son vrai nom) est devenu un invité régulier de "Popcorn", le talk-show le plus suivi du Twitch francophone. Personnalité de loin la plus suivie parmi celles qui retransmettront le débat, c'est aussi la moins consensuelle. Régulièrement confronté pour ses propos sur Twitter, il s'illustre par des prises de position tranchées sur de nombreux sujets.
L'interaction, point fort de Twitch
L'intérêt de Twitch par rapport à la télévision réside dans l'espace de commentaires lié à la chaîne. Il permet au streamer d'interagir avec son audience en direct, mais aussi aux spectateurs de débattre entre eux. Cet aspect communautaire a fait le succès de la plateforme et présente un vrai atout pour un contenu politique. Mais il ne vient pas sans risque puisque la question de la modération sur la plateforme peut rapidement devenir épineuse.
Twitch permet de bannir automatiquement certains mots ou expressions, et les streamers nomment des modérateurs bénévoles qui pourront supprimer des messages ou bannir les utilisateurs de la chaîne. En dernier recours, ils peuvent limiter l'espace commentaire aux seuls abonnés payants de la chaîne. Autant de mécanismes compliqués à gérer en temps normal, mais encore plus lors d'un débat politique.
Un premier rapprochement entre Twitch et la télévision
L'arrivée du débat de l'entre-deux-tours sur Twitch expose a un progrès dans les relations entre le monde de la télévision et celui de Twitch, et un signe de maturité de ce dernier. En septembre 2021, la plateforme avait banni pendant 48 heures les chaînes de Hugo Décrypte et Sardoche suite à une réclamation de BFMTV. Les deux créateurs avaient repris le flux de la chaîne, sans accord préalable, pour commenter le débat entre Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour. Cette fois, les streamers ont chacun payé environ "1.500 euros hors taxe", a précisé Samuel Etienne à l'AFP. Plus que des droits, il s'agit d'une "participation aux frais techniques" des chaînes de télévision.
Le présentateur de Question pour un Champion, présent sur les deux médias, se fait l'avocat de leur complémentarité. "On va mettre des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes devant ce débat", avance-t-il, "des gens dont une grosse partie ne serait pas allée sur les chaînes classiques. On ne pique pas de l'audience, on vient ajouter une audience." Le spectateur moyen de la télévision a plus de 56 ans, une tranche d'âge largement sous-représentée sur Twitch.
Si la plateforme reste encore largement dominée par la retransmission de jeu vidéo (compétitif ou de divertissement), elle accueille de plus en plus de formats différents. C'est le cas des "talk-shows", directement importés de la télévision, qui se multiplient ces dernières années, portés par les streamers les plus populaires. Le succès de ces émissions d'info-divertissement installe progressivement les questions politiques sur la plateforme, qui devrait jouer un rôle croissant dans le débat public dans les années à venir.
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