
Les derniers résultats du commerce extérieur tricolores dévoilés la semaine dernière sont catastrophiques. Avec un déficit de 87 milliards d'euros en 2021, la balance commerciale de l'économie tricolore a enregistré un plongeon abyssal. Même si la facture de l'énergie a contribué fortement à ce déséquilibre, l'ampleur de ce déficit jette une lumière crue sur la désindustrialisation accélérée du modèle économique français. « Il y a un lien entre la perte de compétitivité de la France et la désindustrialisation », a expliqué l'économiste de COE-Rexecode Emmanuel Jessua lors d'un point presse ce mercredi 15 février.
Le ministre en charge du Commerce extérieur, Franck Riester, n'a pas passé beaucoup de temps à commenter les chiffres du déficit lors d'un point presse la semaine dernière et a préféré insister sur le nombre d'exportateurs français atteignant fin septembre 136.000, chiffre le plus élevé en 20 ans, mais loin derrière ceux de l'Allemagne et de l'Italie. En pleine campagne présidentielle, ce déficit commercial inédit assombrit le bilan d'Emmanuel Macron qui a clairement fait de la réindustrialisation un thème de campagne depuis le mois de septembre.
Dans ce contexte, le centre de recherche proche du patronat COE-Rexecode dresse un tableau peu flatteur pour l'exécutif dans son 15e Bilan de la compétitivité française dévoilé ce mardi 15 février. « Le déficit commercial s'est creusé de 27 milliards d'euros par rapport à 2019 [...] La part des exportations françaises dans la part des exportations mondiales a brutalement chuté en 2020. Il y a une rupture nette par rapport à la tendance de stabilisation des parts de marché ces dernières années », a déclaré le principal auteur de l'étude, Emmanuel Jessua, lors d'une présentation aux journalistes. Face à cette débâcle, l'institut a fait quelques propositions explosives aux candidats à la présidentielle.
Accélérer la baisse des impôts de production
Sans surprise, COE-Rexecode appelle le prochain gouvernement à encore poursuivre la politique de l'offre menée maintenant depuis plusieurs années. Cela doit passer par la baisse des impôts de production déjà entamée par l'actuel gouvernement. Cette baisse pérenne de 10 milliards d'euros intégrée au plan de relance de 100 milliards d'euros doit permettre d'améliorer la compétitivité-coût. Cette diminution s'ajoute à la baisse de l'impôt sur les sociétés qui est passée de 33% à 25% sur l'ensemble du quinquennat et la transformation du CICE en baisse pérenne de cotisation.
« À politique inchangée, les marges de manoeuvre budgétaires sont limitées », concède Emmanuel Jessua. Les économistes plaident notamment pour une baisse des dépenses publiques ou la poursuite de réformes comme celle des retraites afin de dégager "des économies". La durée du travail annuelle et celle tout au long de la vie doivent également augmenter.
Ces pistes, politiquement inflammables après deux longues années de pandémie, pourraient raviver les craintes des collectivités territoriales très dépendantes des recettes de ces impôts de production. Du côté des salariés, la perspective d'un allongement du temps de travail pourrait également susciter des réserves après deux années éprouvantes de crise sanitaire.
Améliorer les compétences
Sur le front de la compétitivité hors-prix, COE-Rexecode recommande de mettre l'accent sur les compétences jugées « mauvaises ou médiocres dans les classements internationaux ». La dégradation des résultats dans les disciplines scientifiques pourrait avoir encore des conséquences néfastes sur la désindustrialisation. « Il y a un phénomène d'attrition des entreprises industrielles. La désindustrialisation entraîne des pertes de compétences à moyen terme. C'est ce qu'on appelle des effets d'hystérèse », ajoute Emmanuel Jessua.
Dans certains secteurs, les tensions sur la main-d'oeuvre ont commencé bien avant la crise. Dans l'industrie par exemple, les délocalisations ont entraîné des fermetures de sites de production et des destructions de compétences par centaines de milliers. Face à ce désastre, COE-Rexecode recommande de muscler la formation initiale et continue.
Mobiliser l'épargne pour financer une « vague d'investissements »
Le réchauffement climatique et la transition numérique vont nécessiter "une grande vague d'investissements", a expliqué Michel Didier, président du comité de direction.
« Qui doit assumer ces investissements ? L'État doit réduire son déficit. Le dernier plan d'investissement de 30 milliards d'euros sur 10 ans, ce n'est rien face aux besoins d'investissement », a-t-il poursuivi.
D'après les économistes de Rexecode, il faut orienter l'épargne vers le financement en fonds propres des entreprises innovantes non cotées. Face aux échecs des précédentes mesures visant à réorienter cette épargne vers l'investissement, le centre de recherche propose de créer des fonds d'investissement à capital garanti. "Aujourd'hui, le principal obstacle, c'est le risque" ajoute Michel Didier. "Il faut qu'il y ait une garantie sur le capital" conclut-il.
Des pertes de parts de marché quasi généralisées
Le diagnostic établi par Emmanuel Jessua sur la compétitivité de l'économie tricolore est particulièrement alarmant. Sur une vingtaine de produits exportés, la France perd du terrain sur quasiment toutes les catégories entre 2019 et 2021 au sein de la zone euro. Hormis les boissons (0,6% et les cuirs et peaux (+6,3%), tous les autres secteurs sont en perte de vitesse.
"La chute des parts de marché française à l'étranger est quasi générale. L'argument d'une trop forte spécialisation de la France sur l'aéronautique ne tient pas forcément" a déclaré l'économiste. "Le caractère généralisé des pertes de parts de marché suggère au contraire ce que ce sont les performances à l'exportation de l'ensemble du système productif qui se trouvent fragilisées par rapport à nos voisins européens" ajoute-t-il dans le document. Autant dire que le chemin pour redresser l'industrie tricolore s'annonce périlleux pour le prochain gouvernement.