"Réindustrialisation", le mot est sur toutes les lèvres des politiques en cette rentrée. Entre la "remontada industrielle" d'Arnaud Montebourg chantre du "made in France", le retour de la souveraineté prôné par Yannick Jadot et le grand plan d'investissement d'Emmanuel Macron, la bataille des propositions s'accélère à quelques mois de l'élection présidentielle. De la gauche radicale à l'extrême-droite en passant par le centre, l'ensemble du spectre politique s'est emparé du thème de la souveraineté très à la mode. "Les ambitions annoncées par les différents candidats vont-elles se traduire dans les faits ? Tout le monde se met à parler d'industrie et de réindustrialisation. Avant la crise, nombreux étaient ceux qui pensaient que c'était une idée loufoque, estime Anaïs Voy-Gillis, géographe et co-auteure de l'ouvrage "Vers la renaissance industrielle"
(2020, Edition Marie B).
Face à cette concurrence politique, le chef de l'Etat - qui pilote en direct le programme d'investissement et l'annoncera lui-même - ainsi que plusieurs membres du gouvernement occupent le terrain afin d'assurer "la reconquête industrielle". La semaine dernière, le Premier ministre Jean Castex a fait la promotion de cette reconquête au salon Global Industrie à Lyon en présence notamment de la ministre en charge de l'industrie Agnès-Pannier Runacher qui espère "un choc de réindustrialisation". Lors d'une récente réunion avec des journalistes à Bercy, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a indiqué que "le rétablissement du commerce extérieur devait être une priorité" dans les prochains mois. Derrière ces discours, l'exécutif veut faire de la réindustrialisation un cheval de bataille pour la présidentielle.
Le Premier ministre Jean Castex au salon Global Industrie à Lyon le 6 septembre dernier. Crédits : Reuters
Des discussions mais un plan d'investissement déjà arrêté ?
Malgré ces attitudes volontaristes, les échanges sur le plan d'investissements ont pris du retard. D'abord annoncé à la mi-septembre, sa présentation devrait avoir lieu durant la première quinzaine d'octobre, selon nos informations. Au ministère de l'Économie, Bruno Le Maire multiplie les échanges bilatéraux avec le secrétaire de la CFDT, Laurent Berger, et celui de la CGT, Philippe Martinez. Il s'est également entretenu avec des économistes et le commissaire européen à l'industrie Thierry Breton lundi 13 septembre. D'autres rencontres sont également programmées en fin de semaine avec le PDG de Thalès, Patrice Caine, ou encore avec le patron de STMicroelectronics, Jean-Marc Chéry.
L'entourage du ministre précise toutefois à La Tribune que "le plan d'investissements est fini. On multiplie les consultations auprès des organisations patronales et syndicales, des industriels, des chercheurs. Comme il y a beaucoup d'argent, on veut s'assurer qu'il aille au bon endroit". D'après les premiers chiffres exprimés dans la presse, le montant de l'enveloppe pourrait avoisiner les 30 milliards d'euros.
PIB brun à PIB vert
Lors d'un discours la veille du 14 juillet, Emmanuel Macron avait esquissé les grandes lignes de ce plan d'investissement. Il s'agit "de faire émerger dans notre pays et en Europe les champions de demain qui, dans les domaines du numérique, de l'industrie verte, des biotechnologies, ou encore de l'agriculture, dessineront notre avenir". Contacté à plusieurs reprises, l'Elysée ne souhaite pas à ce stade communiquer sur le sujet précisant "qu'il n'est pas encore opportun de faire une présentation".
Il faut dire que le sujet est hautement politique et symbolique tant la pandémie a jeté une lumière crue sur l'extrême dépendance de la France à l'égard des pays manufacturiers principalement basés en Asie.
Le mouvement des 'gilets jaunes' avait été un premier choc pour le gouvernement qui à la suite de cela a commencé à maturer sur ce sujet avec le pacte productif. La crise sanitaire a accéléré les réflexions", estime Anaïs Voy-Gillis.
Pour l'économiste et directeur principal de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Xavier Timbeau "ce plan d'investissement est essentiel. Il est ambitieux et il est bienvenu. Le chantier à venir est massif. La politique publique a un rôle immense à jouer dans la transition énergétique. Aujourd'hui, 7 points de PIB d'investissements bruns doivent être transformés chaque année vers des investissements verts" a-t-il expliqué lors d'un point presse ce mardi 14 septembre.
Mais pour Anaïs Voy-Gillis gare aux sources de financement réelles et au fléchage. "Il faudra regarder si les annonces sont des recyclages de précédents investissements ou s'il y a vraiment de l'argent frais. S'il y a n'a pas vraiment de pilotage, ce plan d'investissement risque de faire un flop. Il faudra voir si c'est une vraie ambition industrielle ou si ce n'est pas pour ne pas faire des cadeaux dans le contexte de la campagne." A 200 jours du premier scrutin, la tentation pour l'exécutif de distribuer de l'argent est évidemment très grande.
Un plan de relance à 100 milliards d'euros
Car à ce programme d'investissement, s'ajoute le décaissement du plan de relance annoncé en grande pompe en septembre 2021 qui doit se poursuivre en 2022. Là encore, le ministre de l'Économie affirme sans cesse depuis des mois que la distribution de cette enveloppe de 100 milliards d'euros "se passe bien". Dans les coulisses Bercy, les discussions au niveau du comité de pilotage du plan de relance ont montré que le déploiement des sommes était parfois rendu compliqué en raison notamment de relations troublées avec les collectivités. Sur l'enveloppe globale, près de 35 milliards d'euros doivent être consacrés à l'industrie pour relocaliser des activités stratégiques et moderniser l'appareil productif.
"Il est aujourd'hui un peu tôt pour dire si le montant du plan de relance alloué à l'industrie est suffisant. La baisse des impôts de production est un levier pour soutenir l'outil productif existant, mais il s'agit plus d'une mesure structurelle que d'une mesure conjoncturelle.
L'intérêt de ce plan de relance est d'avoir toutefois mis des outils de financement pour moderniser l'appareil productif. Ce qui peut être intéressant pour la compétitivité à l'égard de nos voisins, notamment parce que l'outil productif français est vieillissant et faiblement robotisé", affirme la géographe et consultante chez June Partners.
Réindustrialisation ou relocalisation ?
Car le déclassement industriel français ne date pas d'hier, ni de la mise sous cloche récente de l'économie mondiale. Après les chocs pétroliers des années 70 et 80, des secteurs entiers de l'industrie tricolore ont été frappés de plein fouet. De grandes usines dans le textile ou la sidérurgie ont disparu du territoire emportant avec elles des millions d'emplois. La mondialisation avec la montée en puissance des pays à bas coûts a accéléré ces vagues de délocalisations. Plus récemment, face au révélateur de l'absence de masques et les pénuries de gel, le gouvernement a fait le pari de relocaliser certaines activités stratégiques. Plusieurs secteurs ont été sélectionnés par l'exécutif : la santé, l'agroalimentaire ou encore de l'électronique.
"La pandémie a clairement posé la question de l'autonomie et la résilience de notre pays, a expliqué lors d'un récent point presse Louis Gallois, co-président de la Fabrique de l'industrie, un groupe de réflexion proche du patronat. La réduction de la taille de notre industrie a contribué à la perte d'autonomie de la France. On sait très bien que l'on ne va pas tout produire en France mais il faut reconstituer certains chaînons. Certaines relocalisations sont indispensables. La fabrication de principes actifs pharmaceutiques doit être faite sur le territoire national et en Europe" a-t-il plaidé.
Arnaud Montebourg, candidat à la présidentielle de 2022 lors de l'inauguration de la rue du Made in France à Paris en 2018. Crédits : Reuters.
Politique industrielle : un pilotage bien flou
Mais outre le fléchage et la réalité des subsides, nombres d'économiste s'inquiètent de la capacité de l'exécutif à piloter la politique industrielle et au tissu économique français de créer réellement des emplois. Dans l'ouvrage "À la recherche de la résilience industrielle : les pouvoirs publics face à la crise" (Presse des mines, 2021), l'économiste Sonia Bellit rappelle que le retour d'entreprises ayant autrefois délocalisé des usines génère relativement peu d'emplois sur le territoire. "Le gouvernement a donc tout intérêt à se focaliser sur des politiques industrielles plus horizontales afin de créer un environnement favorable visant au développement ou au maintien de nouvelles activités", explique-t-elle. "Il ne faut pas opposer réindustrialisation et relocalisation, abonde la chercheuse Anaïs Voy Gillis. Il y a un besoin de développer et de renforcer l'outil productif existant. En revanche, la relocalisation à grande échelle d'entreprises qui ont quitté le territoire est un leurre. Personne n'y croit ".
Autre écueil, selon plusieurs experts, celui de la multitude de centres de décision : "en France, il y a des politiques industrielles mais il n'y a pas vraiment de stratégie industrielle. Le pilotage est déficient. Il n'y pas assez d'interconnexions entre les différents acteurs. Entre le conseil national de l'industrie, Bercy et l'Élysée, les annonces viennent de toutes parts.
Une réindustrialisation sous la pression de la transition écologique
L'obsession de la réindustrialisation s'inscrit également dans le contexte et le challenge du changement climatique. La mise en œuvre d'une politique industrielle carbonée ferait en effet passer la France pour une mauvaise élève à quelques semaines de la COP 26. Si l'application d'une taxe carbone aux frontières à l'échelle européenne peut inciter les industriels à rapatrier certaines activités, la plupart des chercheurs estiment que la France et une partie de l'Europe accusent un sérieux retard en matière d'investissement public pour assurer cette transition énergétique.
"Aujourd'hui, l'effort public en matière d'économie bas-carbone s'élève à 15 milliards d'euros chaque année. Il faudrait environ 37 milliards. Concernant l'investissement public et privé, le niveau est d'environ 40 milliards chaque année. Il faudrait environ 100 milliards d'euros en prenant en compte le public et le privé pour atteindre les objectifs de neutralité carbone" a expliqué Benoît Leguet, directeur de I4CE, l'institut de l'économie pour le climat. Les candidats à la présidence de la République - Emmanuel Macron en tête - oseront-ils à s'attaquer au volet vert et hautement sensible de la stratégie de réindustrialisation du pays ?