Retraite : un bras de fer social où le temps joue contre le gouvernement

POLITISCOPE. Face à la mobilisation plus forte qu'il ne le pensait, le gouvernement Borne veut jouer la montre face à la pression de la rue contre sa réforme des retraites. Ce n'est pas encore le blocage total du pays comme à l'hiver 1995. Mais avec la montée de l'impopularité des 64 ans dans l'opinion, il n'est pas sûr que le temps joue en faveur d'Emmanuel Macron.
Marc Endeweld
(Crédits : Reuters)

Les faits sont incontestables : les Français sont descendus massivement dans la rue jeudi. Même le ministère de l'Intérieur a reconnu qu'il y avait eu en régions plus de 1 million de manifestants. Il n'y a qu'à Paris que le chiffre de la préfecture de police (80.000) est apparu finalement bien éloigné du nombre réellement présent de la place de la République à Nation, en passant par Bastille. Devant l'affluence au départ de la manifestation, la préfecture a d'ailleurs dû accepter un itinéraire bis. De son côté, BFM TV a rapidement remplacé ses bandeaux de Breaking news pour mettre : « la place de la République noire de monde ».

Démonstration de force

Alors, forcément, du côté des syndicats, on a gonflé comme d'habitude un peu les chiffres. La CGT a revendiqué 400.000 manifestants à Paris et plus de 2 millions de manifestants dans toute la France. Mais chose suffisamment rare pour être soulignée : les huit autres syndicats, y compris la CGC, étaient d'accord avec ces estimations de la centrale syndicale de Montreuil. Même le chiffre de Laurent Berger, le consensuel patron de la CFDT, n'était pas éloigné : le responsable syndical a estimé qu'il y avait eu 1,8 million de Français dans la rue jeudi. Bref, au soir de cette démonstration de force, le front syndical apparaissait plus uni que jamais. Et comme l'a rappelé sur un plateau télé, Bernard Thibault, l'ancien patron de la CGT, l'un des leaders du mouvement social de 1995, « comme le disait Nicolas Sarkozy, "quand la CGT est d'accord avec la CGC, c'est qu'on a un problème" ».

Et ce n'est pas le seul souci pour le gouvernement. Pour la première fois depuis longtemps, la manifestation parisienne s'est déroulée sans trop de heurts avec les forces de l'ordre, empêchant les députés Renaissance et les ministres, dès le soir même, de dénoncer en mode automatique, les violences. Cette fois-ci, il était impossible pour l'exécutif de jouer d'un tel dérivatif de communication. Face à des Français de plus en plus circonspects, il a dû se résoudre à « faire de la pédagogie » sur son projet sur les retraites. Pas sûr pour autant qu'il lui suffira d'envoyer à la télévision le peu charismatique Olivier Dussopt, ministre du travail, pour combler le manque d'explications.

Or, le temps presse. Car, de jour en jour, les rangs des opposants à ladite « réforme » se renforcent. Les sondages se suivent mais ne se ressemblent pas. Désormais, près de 68 % des Français s'opposent fortement à l'établissement de l'âge de départ à la retraite à 64 ans. En quelques jours, c'est une augmentation fulgurante de près de huit points.

Contexte explosif

Mais la plus grande difficulté pour le gouvernement, c'est de constater que nombre de cortèges dans les petites villes ont fait le plein. Car ce projet sur les retraites tombe dans un contexte explosif : crise de l'énergie et des services publics, inflation, tensions sur les salaires et le marché de l'immobilier, sentiment galopant d'injustice... Entre les annonces records de dividendes pour les actionnaires des grands groupes, les super profits des groupes d'énergie, le souvenir du « quoi qu'il en coûte » du Covid-19, mais aussi les décisions des gouvernements européens d'aider l'Ukraine à coups de milliards, il sera bien difficile de convaincre les Français qu'il n'y a aucune alternative en dehors du recul de l'âge de départ à la retraite, pour trouver les milliards nécessaires afin de sauvegarder le régime par répartition. Dans ce contexte, le scénario de l'horreur pour le gouvernement serait une coalition des colères, une alliance des villes et des campagnes, une renaissance des gilets jaunes dans la foulée de ces manifestations monstres...

Résignation

On n'en est pas là. Mais en 1995, lorsque Jacques Chirac et Alain Juppé avaient préféré reculer sur leur projet sur les retraites, le seuil des 2 millions de manifestants n'avait été atteint qu'après plusieurs jours de mobilisation. Manifestement, les « éléments de langage » du gouvernement pariant sur la « résignation » des Français auront été particulièrement contre-productifs. Ces dernières semaines, l'exécutif s'est finalement enlisé dans le déni. Et ce n'est pas les alertes présidentielles lancées de Barcelone sur les éventuels blocages du pays dans les prochains jours qui vont permettre de débloquer la situation politique, justement. D'autant que la grande faiblesse d'Emmanuel Macron sur ce dossier est le fait d'apparaître aujourd'hui totalement à la renverse au vu de ses prises de position successives. Lors de sa victoire de 2017, il s'était ainsi refusé à tout recul de l'âge de départ à la retraite. Cinq ans plus tard, il changeait d'avis.

Sauf qu'entre-temps, Emmanuel Macron s'est affaibli politiquement. Le président qui a réussi à se faire réélire face à Marine Le Pen (et qui reconnaissait alors que ce n'était pas pour son projet...), mais qui n'a pas réussi à trouver une majorité à l'Assemblée Nationale, en appelle aujourd'hui à la légitimité de son élection en rappelant que le « débat » a déjà été tranché... Une position difficile à tenir sur la longueur.

Autre difficulté pour le gouvernement, et pas des moindres : ses marges de manœuvre de négociation sont en réalité faibles. Face aux huit syndicats qui sont vent debout contre le recul de l'âge du départ à la retraite, l'exécutif serait seulement prêt à reculer sur les 44 ans de cotisation des salariés ayant commencé à travailler entre 18 et 20 ans, ou sur les questions de pénibilités (deux conditions minimum exigées par la CFDT). On se demande d'ailleurs pourquoi ces deux points n'ont pas été discutés auparavant. Mais comme le front syndical demande comme préalable le retrait du report de l'âge de la retraite, les deux camps vont continuer à se faire face durant longtemps.

Et justement sur cette question de l'âge du départ à la retraite, le temps ne joue pas en la faveur du gouvernement. Car elle est en train de devenir un symbole. Déjà, sur les réseaux sociaux, les discours de François Mitterrand sur la retraite à 60 ans refleurissent. Et les comparaisons européennes ne pourront y faire face. Car les Français ont constaté, tant du point de vue énergétique, sanitaire ou militaire, qu'il n'existait pas de modèle allemand ou britannique. Dans tous ces pays, les décisions de ces dernières années dans tous ces domaines ont abouti à de véritables impasses. Et pour Emmanuel Macron, s'obstiner dans cette direction, c'est à coup sûr aboutir à l'explosion de l'Europe par la montée des nationalismes.

Marc Endeweld

Marc Endeweld
Commentaires 15
à écrit le 22/01/2023 à 13:00
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Les personnes qui ont allés manifesté ont pu se sentir forts car nombreux dans la rue. Le problème c est qu ils ont du voter Macron à la présidentielle et que Macron est légitime dans ce cas. Non pas parce qu ils adhéraient, mais parce qu'on leur av...

à écrit le 21/01/2023 à 22:57
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Réponse à @Charlie : Donnez nous l'exemple. Montez une entreprise et mettez en pratique tout ce que vous préconisez et on verra après. Soyez cohérent avec vos idées lumineuses. Il n'y à qu'à, faut qu'on. Très fort.

à écrit le 21/01/2023 à 21:40
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Il n'y a que moi qui sait que les retraites ont été créées pour permettre aux vieux trop invalides pour travailler de ne pas finir dans l'indigence, même sans enfants pour les soutenir ? La retraite n'est pas une période de vacances pour "profiter de...

à écrit le 21/01/2023 à 16:49
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Ce gouvernement par son entêtement et son dogmatisme en faveur des plus riches va faire renaître la lutte des classes. Le en même temps est terminé, le monde d'après est à construire.

le 22/01/2023 à 18:50
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" va faire renaître la lutte des classes." Par contre ,le vote de classe lui il perdure.

à écrit le 21/01/2023 à 16:05
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Voilà un président qui voulait être créatif novateur cette retraite montre un homme sans imagination, vieux dans ses idées un gouvernant fade comme ses députés des moutons incapables d'innover.Pauvre France des politiques toujours aussi médiocres.

le 21/01/2023 à 18:22
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Tout à fait, je suis surprise de voir que ce jeune président qui prétendait être novateur et ouvert se révèle en fait tellement conservateur, tellement réactionnnaire, tellement fermé dans sa vision de la société.

à écrit le 21/01/2023 à 13:04
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Le pouvoir étant principal actionnaire de la SNCF devrait tirer les conséquences du drame qui vient de dérouler sur une ligne TGV en autre demarrage d'un TGV avec un chat sous la machine ,dans un pays démocratique ceci entraînerait un retour aux urne...

à écrit le 21/01/2023 à 13:00
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Personnellement j'ai fait le plein de deux voitures, car ce conflit risque de s'éterniser. Je vois pas les syndicats lâcher maintenant.

le 21/01/2023 à 15:49
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il faut inventer une prime de stupidite pour l'ensemble du gouvernement c'est a dire un moins surleur remuneration pour avoir creer la chienlit et maintenent un retrour en arriere sur ceux qui ont commence tot et les travaux penible ce qui sera ...

à écrit le 21/01/2023 à 10:14
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Le mouvement citoyen est une vrai réussite, l'avènement du télétravail rend la pénurie de transport aisément gérable ce qui explique la sympathie des citoyens pour les mouvements sociaux. Personne n'a envie de devoir travailler plus longtemps que se...

à écrit le 21/01/2023 à 9:12
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Macron a tout faux sur la forme: il n'a évidemment pas été élu pour faire sa réforme, il accuse ses opposants d'irresponsabilité, et il y va a la hussarde sans négociation réelle. Une attitude de consultant méprisant qui gère l’humain avec un tableu...

à écrit le 21/01/2023 à 8:19
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Les français ont l'air de ne pas supporter les régressions sociales, car le recul de l'âge de la retraite à 64 ans en est une. Pourtant, cette régression est justifiée par la dégradation de l'économie de la France. Et cette dégradation est tout à fai...

le 21/01/2023 à 10:26
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Si vous aviez raison comment justifiez vous les hausses de salaire magistrales des grands patrons et des actionnaires sans que ceux qui produise la richesse en bénéficie soit en augmentation de salaire soit en retraites plus jeune ? Pour moi ils méri...

le 21/01/2023 à 16:04
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Et bien, améliorons l'économie française au lieu de dégrader la situation sociale.....quand on est à la barre on essaye d'éviter la falaise plutôt que d'aller tout droit et de prévenir que ça va mouiller....

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