Un 1er mai « historique » selon les syndicats qui ont défilé ensemble pour la première fois depuis la crise financière de 2009 et auparavant depuis la Libération. Un 1er mai annonçant le début de la sortie de la crise sociale, espère le gouvernement qui entend bien reprendre le dialogue et avancer sur sa feuille de route. Un 1er mai de mobilisation réussie, malgré les vacances scolaires et la pluie, avec 2,3 millions de manifestants en France selon la CGT, mais seulement 782.000 dont 112.000 à Paris selon la police.
"C'est un gros 1er mai. Ce n'est pas un baroud d'honneur, c'est la contestation du monde du travail, de cette réforme", s'est réjoui le leader de la CFDT Laurent Berger, qui prépare son départ du premier syndicat français. Et il a prévenu le gouvernement, et les entreprises: "tout va être plus cher", promettant d'adresser la facture de cette réforme des retraites avec une liste de courses importante. "Ce 1er mai est un des plus forts du mouvement social", a renchéri la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet. Les chiffres étaient de fait bien au-delà d'un 1er mai classique, même si ce n'était pas le "raz de marée" espéré des syndicats.
Si la colère reste vive, au gouvernement, on veut croire "qu'on a passé le plus gros en termes de contestation". Emmanuel Macron s'est donné le 17 avril dernier "100 jours d'apaisement" et "d'action" pour relancer son quinquennat. Elisabeth Borne va envoyer des invitations aux syndicats "dans les jours qui viennent", selon le ministre du Travail, Olivier Dussopt. Au sein de l'intersyndicale, des divergences commencent à pointer, même si Frédéric Souillot assure "qu'il n'y a pas un gravier entre nous". D'ores et déjà, Laurent Berger a annoncé que la CFDT "irait discuter" avec la Première ministre si elle y était invitée, tandis que Sophie Binet a rappelé que l'intersyndicale avait prévu de prendre la décision "ensemble" mardi matin. "On ne peut pas indéfiniment sécher les réunions à Matignon. Il faut un rapport de force rénové, c'est l'écriture d'un nouveau chapitre", a plaidé François Hommeril (CFE-CGC).
A l'évidence, ce 1er mai 2023 marque un tournant dans la crise sociale ouverte depuis janvier et l'annonce de la réforme des retraites par Elisabeth Borne. Une brèche semble s'ouvrir à entendre Laurent Berger qui a estimé que la période de décence est en train de finir, mais reste comme l'ensemble de l'intersyndicale fermement opposé au relèvement de l'âge de départ à 64 ans. Le devenir de l'intersyndicale, voilà le grand sujet du moment : son sort sera scellé ce mardi 2 mai pour déterminer la suite. Il y a visiblement un début de division entre la CGT et la CFDT, même si les mots ne le disent pas. Ce 1er mai étant considéré comme la treizième journée de mobilisation, il devrait y en avoir une quatorzième, le 8 juin, le jour de l'examen à l'Assemblée nationale de la proposition de loi du groupe LIOT rétablissant le départ à 62 ans. Autre date à surveiller, ce mercredi 3 juin, la décision du Conseil constitutionnel sur le référendum d'initiative partagé, deuxième mouture. S'il est confirmé, ce RIP maintiendra la pression jusqu'au Jeux Olympiques avec une mobilisation pour recueillir un minimum de 4,7 millions de signature. Mais en réalité, il y a très peu de chances, même dans ce cas, qu'un texte soit voté pour revenir en arrière sur la réforme Macron.
Après quatre mois de crise, le pays est en train de comprendre que le président de la République ne retirera jamais sa réforme des retraites. Le chef de l'Etat et son gouvernement ont repris les déplacements, au son des casseroles, et tentent de passer à autre chose pour relancer les réformes. La décision vendredi de l'agence de notation Fitch de dégrader la notation de la dette de la France de AA à AA- est un avertissement à prendre au sérieux et à double tranchant. D'un côté, il met l'accent sur la moindre qualité de la signature de la France dont la dette dépasse les 3000 milliards d'euros soit 111% du PIB, situation aggravée par la hausse des taux d'intérêt à plus de 3% à dix ans. De l'autre, il souligne, pour la première fois, le danger que fait peser sur la signature française auprès des investisseurs étrangers l'extrême tension sociale et politique que le pays traverse depuis le début de l'année. Les images de rues en feu et les concerts de casseroles donnent l'image d'un pays enlisé dans une impasse politique ce qui n'est pas de nature à rassurer nos prêteurs. C'est donc un coup de semonce qui doit inciter à une sortie de crise et passer à autre chose.
Plus facile à dire qu'à faire : « si la réforme n'est pas retirée, la confiance ne reviendra pas », répétait hier Sophie Binet, la nouvelle leader de la CGT. Mais on sent bien que des marges de manœuvre existent. « On veut parler augmentation de salaires et conditions de travail », ajoute Sophie Binet. Un parfum de Grenelle souffle sur la France, avec une inflexion de la mobilisation vers d'autres sujets, comme le pouvoir d'achat pour compenser l'inflation. La future loi Travail pourrait être le prochain point de fixation des syndicats pour obtenir le maximum de compensation pour les salariés, qu'il s'agisse de l'employabilité des seniors ou des sujets nouveaux comme le compte épargne temps universel, la semaine de quatre jours et le partage de la valeur.