A l'Opep+ comme à Washington les barils de pétrole se politisent

Joe Biden a décidé de frapper fort en puisant dans les stocks stratégiques des Etats-Unis 1 million de barils par jour durant six mois, soit au total quelque 180 millions de barils, pour faire baisser les prix de l'essence dont la flambée le rend impopulaire et menace sa majorité à quelques mois des élections de moyen terme. De son côté, l'Opep+ a fait le service minimum, préférant la solidité d'un partenariat qui repose sur la bonne entente entre l'Arabie Saoudite et la Russie.
Robert Jules
(Crédits : Reuters)

Le président Joe Biden a annoncé que les Etats-Unis allaient puiser 1 million de barils par jour (mbj) dans leurs réserves stratégiques de pétrole durant six mois si besoin. Une opération inédite depuis la mise en place de ces réserves. L'effort est colossal puisqu'il représente 11,5% de la consommation quotidienne des Etats-Unis.

Sur les marchés pétroliers, les cours du brut étaient en baisse après l'annonce, celui du baril de Brent, à Londres, reculait de 5 % pour évoluer autour de 107,8 dollars, tandis que celui du baril de WTI, référence américaine, lui aussi baissait de 4% pour revenir aux alentours de 103 dollars, largement en dessous du pic de quelque 130 dollars atteint après l'invasion de l'Ukraine.

L'inflation continue à progresser

La décision de la Maison-Blanche devrait être suivie par d'autres pays, une réunion de l'Agence internationale de l'énergie, chargée de conseiller les pays de l'OCDE en matière de politique énergétique, ayant prévu une réunion ce vendredi. Elle pourrait notamment s'occuper de la coordination des actions.

Le choix de Joe Biden vise à réduire la hausse de l'énergie, qui alimente fortement une inflation qui a encore progressé pour atteindre en mars 6,4% sur un an (+0,6% sur un mois) selon l'indice PCE, que la Fed préfère au classique CPI comme référence. Le président américain escompte ainsi freiner les prix de l'essence.

En novembre, les Etats-Unis avaient déjà puisé 50 millions de barils. Le 1er mars, les pays de l'OCDE avaient mis 60 millions de barils (30 millions pour les seuls Etats-Unis) sur le marché mais sans grand succès. Ce jour-là, les cours avaient flambé de 7% en raison des sanctions imposées à la Russie, l'un des plus importants exportateurs mondiaux de pétrole.

Pour le président américain, la décision est aussi politique. Les élections de mi-mandat, qui se tiendront le 8 novembre prochain, s'annoncent difficiles pour les démocrates qui risquent de perdre des sièges au Congrès, rendant plus difficile l'acceptation des projets de Joe Biden. Aux Etats-Unis, le prix de l'essence est un bon indicateur de l'état de l'opinion publique qui juge la capacité du gouvernement à limiter la hausse des prix, en particulier du carburant. Ce mécontentement se reflète dans les sondages qui enregistrent une baisse de la cote de popularité de Joe Biden ces derniers mois.

L'importante décision de la Maison-Blanche est aussi une réponse à l'Opep, notamment à son poids lourd, l'Arabie Saoudite. Depuis plusieurs semaines, l'organisation reste sourde aux appels des pays consommateurs leur demandant d'augmenter leur production pour faire baisser les prix qui se sont installés au-dessus des 100 dollars.

L'Opep+ garde le cap

Ce jeudi, lors de leur réunion, les 23 pays exportateurs - dont les 13 membres de l'Opep - partenaires dans l'Opep+ ont ainsi gardé le cap de leur politique d'offre en indiquant dans un communiqué "ajuster à la hausse la production totale mensuelle de 432.000 barils par jour (bj) à partir du  mois de mai". Depuis le début de l'année, ils ont augmenté leur production de 400.000 bj chaque mois, malgré la guerre en Ukraine qui a entraîné des sanctions occidentales contre la Russie, notamment la décision de réduire jusqu'à s'en passer les importations de brut et produits pétroliers russes.

Le fait que la Russie soit un partenaire éminent avec l'Arabie Saoudite de l'Opep+ pèse dans cette décision. Les membres de l'Opep insistent régulièrement sur le fait que le cartel laisse de côté la politique pour ne regarder que leurs intérêts communs sur les marchés pétroliers. Autrement dit, le niveau des cours prévaut sur la politique comme l'illustre l'appartenance commune de l'Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis d'une part et de l'Iran d'autre part qui s'affrontent à travers la rébellion houthie au Yémen.

En réalité, les prix élevés du brut qui permettent à la Russie de pouvoir financer son effort de guerre profitent aussi aux autres pays producteurs qui bénéficient de la combinaison de prix élevés avec des parts de marché maximales.

En effet, plusieurs membres ayant pompant au maximum, la capacité de production inutilisée de l'OPEP est à peine de plus de 4 mbj, dont 3,2 sont concentrés en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis, selon les données de l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

Aucun désaveu à l'égard de la Russie

Ces deux pays courtisés par la Maison Blanche et d'autres pays consommateurs pour ces capacités comptent bien monnayer à leur avantage à un rapprochement qui ne peut pas passer aujourd'hui par un désaveu de la Russie. L'Arabie Saoudite entretient un rapport difficile avec la Maison Blanche, Joe Biden ayant traité le royaume "d'Etat paria" durant sa campagne en réaction à l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi.

Le cartel, et c'était une information importante provenant de la réunion de l'Opep+, a aussi décidé de prendre ses distances avec l'AIE, jugeant ses données "peu fiables". Désormais, elle se référera à celles fournies par deux sociétés reconnues sur le marché pétrolier, Wood Mackenzie et Rystad Energy. Le reproche porte surtout en filigrane sur l'orientation prise par l'agence en faveur de la transition énergétique qui vise à réduire le recours massif aux hydrocarbures dont la combustion contribue largement aux émissions de gaz à effet de serre qui favorisent le réchauffement climatique.

Dans les scénarios qu'elle élabore pour les prochaines décennies, elle recommande la diminution des investissements dans le développement de la production de pétrole. Or il s'agit là de la principale source de revenus pour les partenaires de l'Opep+.

Robert Jules
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