La fuite sans gloire dimanche dernier du président Ashraf Ghani a signé non seulement l'échec politique et militaire du pouvoir, mais aussi économique.
En 2014, lorsqu'il devient président, cet ancien économiste à la Banque mondiale compte sur l'exploitation des immenses ressources naturelles pour assurer le développement de son pays, classé parmi les plus pauvres de la planète, et tenu à bout de bras par l'aide internationale.
L'Afghanistan compte en effet parmi les pays ayant le sous-sol le plus riche du monde. Il a de vastes réserves de cuivre, de fer, de bauxite, de zinc, d'or, de platine, d'argent, de chromite, de lithium, d'uranium mais aussi du mercure, du marbre, du talc, sans compter le pétrole et le gaz naturel. Il regorge de pierres précieuses : émeraudes, rubis, saphirs, turquoises et lapis-lazuli.
60 millions de tonnes de réserves de cuivre
Selon le United States Geological Survey (USGS), l'agence fédérale en charge du secteur minier aux Etats-Unis, l'Afghanistan pourrait détenir 60 millions de tonnes de cuivre (ce qui le classe au 5e rang mondial), 2,2 milliards de tonnes de minerai de fer, et, surtout, 1,4 million de tonnes de terres rares tels que le lanthane, du cérium, du néodyme concentré dans les gisements de Khanneshin dans la province de Helmand.
L'enjeu est d'importance tant les terres rares sont essentielles au fonctionnement des téléphones portables, téléviseurs, moteurs hybrides, ordinateurs, lasers ou encore les batteries qui vont connaître un boom avec le développement des voitures électriques. Elles sont stratégiques pour le secteur de la défense, un problème tant le marché des terres rares est dominé aujourd'hui par la Chine.
Un secteur vorace en capitaux
C'est précisément vers elle que se sont tournés les différents gouvernements afghans pour développer le secteur. Leur puissant voisin, qui est le premier consommateur mondial de métaux, a les moyens financiers et techniques pour développer cette exploitation. L'industrie minière est fréquemment située dans des zones désertes, elle exige d'importantes infrastructures, un cadre légal stable, et des investisseurs solides car le secteur est vorace en capitaux, et les retours sur investissement demandent des années. La Chine présente ces garanties, sur le papier.
En 2007, le gouvernement avait donc signé un contrat d'un montant de quelque 3 milliards de dollars concédant pour 30 ans à la compagnie publique chinoise Metallurgical Corp. of China (MCC) l'exploitation du site d'Aynak (cuivre et or), situé à 35 kilomètres au sud de Kaboul, dans le nord de la province de Logar. Mais le projet est resté en berne. Avec l'arrivée au pouvoir en 2014 de Ashraf Ghani, les discussions ont repris, de 2015 à 2017, entre MCC et le ministère des Mines pour débloquer la situation. Sans succès. Depuis, le projet est bloqué. Selon le ministère afghan des Mines, MCC a dépensé entretemps 371 millions de dollars, alors que le manque à gagner pour le pays est estimé à 2 milliards de dollars.
Plusieurs annulations de projets miniers
En 2016, le gouvernement a aussi annulé les projets de prospection de plusieurs sites aurifères et cuprifères (Badakhshan, Balkhab, Shaida, Zarkashan) au motif que les modalités des attributions n'étaient pas réalisées dans des conditions transparentes.
De même, la société minière britannique Centar avait formé en 2014 une joint venture avec une société afghane pour la prospection et l'exploitation d'un gisement aurifère. Mais le projet a été dans ce cas aussi continuellement ajourné, illustrant les difficultés à investir dans le pays pour le secteur minier privé international.
Si l'insécurité - réelle - et la corruption expliquent en partie le blocage du développement d'un secteur aussi vital, la Chine a temporisé pour ne pas honorer les contrats signés. A tel point que le gouvernement a tenté ces derniers mois d'annuler et renégocier ces contrats. Selon la journaliste australienne Lynne O'Donnell, qui travailla pour l'AFP et Associated Press à Kaboul entre 2009 et 2017, il a pris prétexte du démantèlement en décembre 2020 d'un réseau d'agents chinois opérant secrètement sur son sol pour mettre la pression sur Pékin, après avoir été informé par les services de renseignements indiens. Le réseau, actif depuis plusieurs années, opérait en lien avec des talibans pour traquer des dissidents ouïghours.
Quelle est la valeur juridique des contrats signés?
Avec la prise de pouvoir des talibans sur le pays, quelle sera la valeur juridique des contrats signés entre Kaboul et Pékin? Une continuité n'est pas à exclure. En effet, les talibans disposent déjà d'un "ministre" des Mines, jusqu'alors basé à Qatar, qui organise la production sur les sites situés sur les zones contrôlées que le mouvement contrôlait.
Quelque 2.000 sites illégaux ont été répertoriés par le Sigar, le service chargé par le Congrès américain de superviser la reconstruction de l'Afghanistan. Exploités par les talibans, et des seigneurs de guerres, ils procurent des revenus - avec ceux de la culture du pavot - pour financer leurs activités. Cette production artisanale de minerais ou de métaux est vendue sur le marché international via des intermédiaires au Pakistan. Le montant des ventes était estimé il y a quelques années à quelque 500 millions de dollars par an.
Désormais en charge de l'organisation de l'économie du pays, les talibans ne devraient pas avoir d'autre choix que de se tourner à nouveau vers Pékin pour relancer l'exploitation du sous-sol, générer des revenus et normaliser l'activité économique. Avec le risque de connaître, à leur tour, la malédiction des matières premières.