Equateur : à Guayaquil, la population se retrouve seule face aux gangs criminels

REPORTAGE. Deux mois après la vague de violences qui a bouleversé le pays après l'évasion d'un chef de gang et la prise en otage de journalistes devant les caméras de télévision, le pays andin retrouve un calme relatif. A Socio Vivienda, un quartier populaire du nord-ouest de Guayaquil abandonné par les pouvoir publics et d'où sont originaires une partie du commando de la télévision, l'atmosphère reste tendue malgré le travail social mené par les acteurs locaux.
Dans le quartier populaire de Socio Vivienda, « l'idée était de fournir un logement aux populations défavorisées du sud de la ville [de Guayaquil], raconte le père Lenin. Mais une fois les maisons construites, il n'y a pas eu d'accompagnement de la part des pouvoirs publics et la zone s'est marginalisée. »
Dans le quartier populaire de Socio Vivienda, « l'idée était de fournir un logement aux populations défavorisées du sud de la ville [de Guayaquil], raconte le père Lenin. Mais une fois les maisons construites, il n'y a pas eu d'accompagnement de la part des pouvoirs publics et la zone s'est marginalisée. » (Crédits : William Gazeau)

Vêtu de sa longue soutane noire, le père Lenin Arvalado s'avance prudemment entre les murs de parpaings dégradés. L'homme d'Église évite les fils à linge tendus entre les baraques et salue au passage les parents des enfants qui forment sa jeune escorte. « Ces enfants, ce sont en quelque sorte nos ambassadeurs, ironise le prêtre. Ils vivent ici, à Socio Vivienda 2. Il ne nous arrivera rien avec eux. » Le père Lenin reste pourtant sur ses gardes. « Là-bas, vous avez les jeunes des bandes qui traînent en motos, précise-t-il en désignant le coin de la rue. Il ne faut mieux pas s'y aventurer sans raison quand vous n'êtes pas d'ici. »

Relégués à la bordure nord-ouest de Guayaquil, la grande métropole équatorienne, Socio Vivienda et ses 30.000 âmes ont concentré l'attention du pays andin ces dernières semaines. Surtout son deuxième secteur, Socio Vivienda 2. Selon les autorités, la majorité des membres du commando qui a pris en otage le personnel de la chaîne TC Television le 9 janvier venait de ces maisons basses aux façades délabrées. Ce jour-là, devant les caméras qui continuaient de tourner, les assaillants ont exhibé armes et grenades tandis que certains formaient avec leurs doigts les signes distinctifs des bandes criminelles qui gangrènent le pays. Avant de se faire arrêter par les forces de l'ordre.

La veille, le pays s'était embrasé. L'évasion d'Adolfo Macias, alias « Fito », chef des Choneros, l'un des gangs les plus puissants du pays, et l'intervention des soldats dans les prisons, avaient déclenché une vague de violences sans précédent à Guayaquil. « Nous avons dû suspendre toutes nos activités pendant plusieurs jours », se souvient Eduardo Baidat, responsable d'un centre d'activités communautaire qui accueille 120 enfants du quartier.

Effet « cucaracha »

Deux mois plus tard, la tension est retombée mais les habitants restent marqués par la violence des évènements. « Les militaires sont intervenus et nous avons retrouvé un peu de calme », observe Pedro, un habitant du quartier. Pourtant, le père de famille, qui s'est installé à Socio Vivienda en 2012, ne reconnaît plus son quartier : « C'est une zone où habitent des familles modestes et il y a toujours eu un peu de trafic de drogues. Mais depuis la pandémie, les bandes criminelles ont pris le contrôle. »

Loin de se limiter à Socio Vivienda, la violence des narcos a contaminé tout le pays. D'un taux d'homicide historiquement bas de 6,9 pour 100.000 habitants en 2016, l'Equateur est passé à 45 en 2023, selon les chiffres de l'Observatoire équatorien du crime organisé. « L'Équateur était le deuxième pays le plus sûr d'Amérique latine en 2016. Aujourd'hui, selon nos estimations, il s'agit du pays le plus violent du continent », commente Renato Rivera, coordinateur de l'institut.

Cette évolution trouve en partie son origine chez le voisin colombien. Fin 2016, les Farc signent un accord de paix historique avec le gouvernement, entraînant un changement structurel du trafic mondial de cocaïne. « Nous observons un effet "cucaracha", ou "cafard", explique Fernando Carrion, chercheur de la Faculté latinoaméricaine de sciences sociales. L'évolution de la situation en Colombie a provoqué un déplacement de certaines phases du trafic de cocaïne vers l'Équateur ». Les grandes organisations criminelles qui tirent les ficelles - cartels mexicains, mafias italiennes et balkaniques - s'en remettent aux gangs locaux pour assurer la gestion du trafic.

« La zone s'est marginalisée »

Les bandes criminelles de Guayaquil, l'un des ports les plus importants de la côte pacifique latino-américaine, recrutent leurs soldats dans les quartiers populaires de la ville. A Socio Vivienda, les « Tiguerones », l'un des principaux gangs du pays, ont trouvé un terreau fertile au développement de leurs activités illicites. Inauguré en 2012, Socio Vivienda est né d'une proposition du président de gauche Rafael Correa. « L'idée était de fournir un logement aux populations défavorisées du sud de la ville, raconte le père Lenin. Mais une fois les maisons construites, il n'y a pas eu d'accompagnement de la part des pouvoirs publics et la zone s'est marginalisée. » Douze ans plus tard, certaines allées ne sont toujours pas goudronnées. Les plus jeunes se baignent dans des bassines installées dans la rue, tandis qu'à l'intérieur de certaines habitations, le plafond s'est effondré sous l'effet des intempéries et de l'humidité.

Debout entre les murs roses de la maison communautaire colonisés par les dessins d'enfants, Eduardo Baidat partage le constat du père Lenin mais ne se décourage pas. « C'est un défi de travailler ici, lâche discrètement l'éducateur qui distribue crayons de couleurs et jeux de société à ses jeunes troupes. Nous nous efforçons d'occuper leur temps libre mais ce n'est pas facile de faire face à la force d'attraction des bandes. » Le problème principal reste la difficulté à trouver un emploi, phénomène amplifié par la réputation du quartier : « Si vous cherchez du travail, et que vous dites que vous venez de Socio Vivienda, vous ne serez pas pris », regrette Pedro. « Même les ambulances refusent de venir chercher les malades directement chez eux », ajoute Beatriz Flores, une autre résidente.

Tandis que les hélicoptères de l'armée survolent le quartier, les habitants de Socio Vivienda font profil bas et espèrent que le calme durera. Sans trop y croire : « Les militaires patrouillent mais que se passera-t-il quand ils arrêteront de venir ? », s'interroge Pedro. Elu en octobre dernier, le jeune président Daniel Noboa privilégie en tout cas la manière forte, ayant même déclaré le pays en situation de « conflit armé interne ». Une méthode qui laisse le père Lenin sceptique : « Si vous n'accompagnez pas cette manière forte d'une vraie politique sociale, le soulagement ne sera que temporaire. »

Commentaire 1
à écrit le 04/03/2024 à 8:10
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"et la prise en otage de journalistes devant les caméras de télévision" Ce serait tellement facile chez nous ! Ils osnt dans la rue en train d'attendre la pluie, la neige, le froid le vent ou la chaleur, ils osnt attroupés en général aux mêmes endroi...

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