Géorgie : la génération Z en première ligne

Fer de lance de la contestation depuis plusieurs semaines, la jeunesse géorgienne organise une manifestation massive aujourd’hui contre la loi sur l’influence étrangère.
Manifestants devant le Parlement géorgien, à Tbilissi, le 18 mai 2024.
Manifestants devant le Parlement géorgien, à Tbilissi, le 18 mai 2024. (Crédits : © LTD / Vano SHLAMOV / AFP)

Ces dernières semaines, les parents de Levan Kikadze ne dorment pas beaucoup. « Ils s'inquiètent pour moi, car plusieurs de mes amis ont été battus ou arrêtés par la police », confie l'étudiant en informatique à Tbilissi, en Géorgie. Âgé de 20 ans, il mène l'un des groupes universitaires de protestation contre le projet de loi sur l'« influence étrangère » adopté par le Parlement le 14 mai. Levan Kikadze nous a donné rendez-vous dans le bâtiment historique de la plus ancienne et la plus importante université de Géorgie, l'université d'État de Tbilissi. « C'est d'abord ici que les étudiants se sont mis en grève, puis des dizaines d'autres universités ont suivi », relate le jeune homme, en jean et tee-shirt, sac au dos.

Lire aussi« J'attends du président Macron qu'il vienne ici » (Salomé Zourabichvili, présidente de la Géorgie)

Fers de lance de la contestation qui secoue le pays depuis début avril, les jeunes mènent des actions variées pour exprimer leur opposition à la loi. Directement inspiré du modèle russe, le texte controversé obligera les ONG et médias financés à plus de 20% par des revenus étrangers à s'enregistrer en tant qu'« organisations servant les intérêts d'une puissance étrangère ». Dans cette ancienne République soviétique du Caucase de 3,7 millions d'habitants, où la plupart de ces entités sont financées par des fonds internationaux, la nouvelle législation vise clairement à faire taire la société civile à cinq mois des élections législatives d'octobre.

Elle pourrait également compromettre l'intégration européenne de la Géorgie, qui a obtenu fin décembre le statut de candidat à l'UE. Une décision accueillie avec
enthousiasme par la population, proeuropéenne à plus de 80 % selon les sondages. La
présidente, Salomé Zourabichvili, a mis son veto au projet de loi, mais le parti au pouvoir lancera demain la procédure parlementaire pour passer outre.
« Il ne s'agit pas seulement d'une loi, il s'agit de l'autoritarisme en train de prendre forme en Géorgie et d'un changement d'orientation du gouvernement pour s'éloigner de l'Occident et se rapprocher de la Russie », alerte Ia Eradze, professeure d'économie à l'Institut géorgien des affaires publiques, qui précise que le secteur académique sera également touché: « Nos bourses et programmes de recherche proviennent essentiellement de l'Europe et des États-Unis. »

Mais la jeunesse géorgienne, en particulier la génération Z, n'entend pas laisser faire sans réagir. Cette semaine a été décrétée « semaine de protestation étudiante ». Marquée par une grande marche vendredi en soutien aux manifestants battus ou détenus par la police, elle doit se conclure par une mobilisation d'ampleur ce dimanche à l'occasion de la fête nationale géorgienne. Les organisateurs espèrent dépasser le record du 11 mai, où 150 000 personnes se sont rassemblées autour de la place des Héros à Tbilissi, un chiffre historique pour cette ville de 1,3 million d'habitants.

Aux côtés des étudiants, de nombreux groupes sont également engagés contre la loi: ONG, partis politiques d'opposition, syndicats, artistes... et non seulement dans la capitale, mais aussi dans d'autres villes du pays comme Koutaïssi ou Batoumi. « Dans cette protestation, nous communiquons et échangeons des informations entre nous, mais il n'y a pas deux ou trois leaders qui décident pour les autres, explique Giorgi Khachidze, travailleur social de 23 ans. Même si cela complique l'organisation des manifestations, c'est aussi ce qui fait notre force et contribue à la réussite du mouvement. » L'engagement du jeune homme a commencé en mars 2023. À ce moment-là, le parti au pouvoir, Rêve géorgien, fondé par le milliardaire Bidzina Ivanichvili, qui dirige le pays en sous-main, avait déjà tenté de faire passer cette loi sur l'« influence étrangère ». Avec quelques amis, Giorgi Khachidze a lancé un mouvement baptisé Étudiants contre la loi russe. « Cette nouvelle génération, qui se retrouve pour la première fois dans la rue, est très créative dans ses formes de contestation, souligne Ana Andguladze, doctorante en sciences politiques à l'université libre de Bruxelles. Dans les manifestations, on voit beaucoup de panneaux de protestation humoristiques. » Les jeunes mènent leurs actions dans la bonne humeur, chantant et dansant pour défendre leur avenir européen. La chercheuse géorgienne note également une forte solidarité dans la population face aux tactiques répressives de l'État, qui multiplie les intimidations et les arrestations contre les manifestants depuis quelques semaines. Plusieurs militants d'opposition et personnalités critiques de la loi ont même été passés à tabac devant leur domicile. Professeur à l'université de Géorgie, ancien diplomate, Gia Japaridze a été violemment agressé le 8 mai. Il dénonce « les méthodes mafieuses à la russe » d'un gouvernement prêt à tout pour rester au pouvoir.

La nouvelle législation vise clairement à faire taire la société civile à cinq mois des élections législatives

Cette violence n'entame pas la conviction des jeunes protestataires. « Soit ils retireront la loi, soit ils seront battus aux prochaines élections. Dans tous les cas, nous serons les vainqueurs », assure l'étudiant Levan Kikadze. Pour Ana Andguladze, la confiance de cette génération s'explique par l'expérience de l'année dernière : « Le recul du gouvernement leur a montré que leurs efforts pouvaient porter leurs fruits. » Le soutien affiché par les Occidentaux encourage aussi les manifestants, même si beaucoup disent attendre des sanctions à l'égard de leurs dirigeants.

Pour Giorgi Khachidze, l'enjeu est historique : « Il s'agit de choisir l'Union européenne ou de redevenir l'arrière-cour de l'Empire russe, mais notre combat va bien au-delà, c'est notre avenir démocratique qui est en jeu. Nous, jeunes générations, voulons vivre dans un pays où si vous n'êtes pas d'accord avec le gouvernement, vous pouvez le dire. » À Tbilissi, certains groupes d'initiative et mouvements d'étudiants réfléchissent déjà à la manière de s'impliquer activement dans les élections législatives d'octobre. Leur défi : contrer Rêve géorgien, au pouvoir depuis 2012. « On veut convaincre la population de voter pour n'importe quel parti, sauf Rêve géorgien », souhaite Giorgi Khachidze.

Commentaires 3
à écrit le 26/05/2024 à 10:26
Signaler
Nos jeunes osnt quand même particulièrement sympas, en plus d'êtres beaux, il est quand même étonnant que notre classe dirigeante les massacre autant. Ben oui la seule chose qu'ils ne pourront jamais s'acheter malgré tout le fric qu'ils nous prennent...

à écrit le 26/05/2024 à 8:37
Signaler
Ça devrait faire réfléchir ceux qui pensent qu'un gouvernement nationaliste est la panacée ! Face à la Russie de Poutine, hors de l'Europe point de salut. Guerre, déclassement, soumission au programme.

le 26/05/2024 à 9:28
Signaler
"Ça devrait faire réfléchir" Plus aucun dirigeant ne réfléchi.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.