« Il ne faut pas mettre en place des programmes d'austérité » (Pierre-Olivier Gourinchas, FMI)

GRAND ENTRETIEN. Affichant un optimisme prudent, Pierre-Olivier Gourinchas, économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), commente les prévisions de l'institution internationale sur l'économie mondiale où nombre d'incertitudes dominent: inflation élevée toujours présente, poursuite de la hausse des taux, ralentissement économique, réouverture de la Chine, guerre en Ukraine... Pour y faire face, l'économiste met en garde les Etats, endettés par les mesures de soutien durant la pandémie du Covid-19, sur la nécessité d'avoir une gestion budgétaire qui conserve des marges de manoeuvre permettant de renouer avec la croissance économique et d'assurer la nécessaire transition énergétique.
Pierre-Olivier Gourinchas est chef économiste du FMI depuis janvier 2022.
Pierre-Olivier Gourinchas est chef économiste du FMI depuis janvier 2022. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE- Le Fonds monétaire international (FMI) a relevé ses prévisions de croissance de 2,7% à 2,9% pour 2023, réduisant la probabilité d'une récession aux Etats-Unis et en Europe. Pourtant, les indicateurs avancés donnent des signes inquiétants : hausse des faillites, ralentissement des embauches, inflation élevée, poursuite de la hausse des taux, stagnation des salaires et, surtout, poursuite de la guerre en Ukraine. N'êtes-vous pas trop optimiste ?

PIERRE-OLIVIER GOURINCHAS- Les prévisions pour cette année ont été relevées modestement. En octobre, le FMI tablait sur une croissance du PIB mondial de 2,7%. 2,9% correspond à un taux de croissance assez faible. La croissance moyenne entre 2000 et 2019 est entre 3,6% et 3,8%, même en prenant en compte la crise financière de 2008. 2023 va rester une année difficile. On risque d'assister à une crise du pouvoir d'achat avec l'inflation. La remontée des taux des banques centrales continue. La guerre en Ukraine se poursuit et va avoir un impact sur les marchés de l'énergie.

Cependant, certains points nous ont amenés à réviser à la hausse nos prévisions. Les économies se sont montrées beaucoup plus résistantes aux chocs qu'on ne l'anticipait dans le courant de l'année dernière. Les taux de chômage sont à des niveaux historiquement bas en zone euro, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Les marchés du travail se portent assez bien dans l'ensemble. La réouverture de la Chine est beaucoup plus rapide que prévu. En octobre 2022, on était dans un scénario de zéro Covid avec des confinements répétés ayant un impact sur les chaînes de production et la demande des ménages. C'est cela qui est derrière la hausse de nos prévisions de croissance.

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Comment expliquez-vous la relative résistance de l'investissement des entreprises et la consommation des ménages aux Etats-Unis et en Europe ?

La consommation des ménages et l'investissement des entreprises se sont montrés résistants en raison notamment des mesures budgétaires. Aux Etats-Unis, il y a eu une accumulation de coussins mis en place pendant la pandémie. Ces soutiens ont donné des ressources supplémentaires aux ménages. Ils ont pu continuer à consommer même dans un contexte d'érosion de leurs revenus réels. En zone euro, on s'attendait à une catastrophe absolue avec la cessation des livraisons de gaz russe en 2022. Il y avait des pronostics alarmistes. Les économies ont montré une capacité à absorber les chocs.

Vous l'avez évoqué, l'un des facteurs de reprise repose sur la Chine qui a mis fin à sa politique « zéro Covid ». Vous avez prévu pour cette année une croissance de 5,2%, après 3% en 2022. Cette estimation est plutôt prudente. Pourquoi ?

A court terme, cette ouverture va dans la bonne direction. Mais c'est une transition relativement peu maîtrisée puisque les règles sanitaires ont été suspendues du jour au lendemain. Le coût humain, potentiellement élevé, est difficile à évaluer car on ne dispose pas de toutes les données. Toutefois, certains indicateurs économiques, par exemple ceux de mobilité, sont revenus quasiment à leur niveau d'il y a deux ans. C'est le cas de la célébration de la nouvelle année lunaire qui vient d'avoir lieu par rapport à celle de 2021, une période où traditionnellement les Chinois voyagent beaucoup pour se retrouver en famille. D'autres indicateurs avancés montrent également la vigueur de la reprise, validant le scénario d'une vague d'infections passant rapidement. Évidemment, je reste prudent. N'étant pas un expert de santé publique, je ne vais pas m'avancer à faire des pronostics sur ce qui pourrait se passer en cas d'émergence de nouveaux variants. Mais du seul point de vue économique, cette rapide réouverture a aujourd'hui un effet positif sur l'activité des chaînes de production, ce qui va augmenter la demande des ménages. Le tourisme, le trafic aérien, etc. montrent bien qu'une demande latente est en train de s'exprimer.

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En revanche, l'endettement de l'immobilier reste un problème?

Certes, il y a des bémols comme ce secteur où la crise perdure. Les bilans des entreprises lourdement endettées dans l'immobilier nécessitent du temps pour être nettoyés. Comme ces situations ne vont pas s'améliorer d'elles-mêmes, il faut des mesures de politiques publiques qui pour le moment sont graduelles. Au FMI, on encourage les autorités chinoises à être plus proactives pour assainir le secteur et repartir sur de bonnes bases, par exemple en traitant la question des appartements pré-vendus.

Ensuite, nous avons des incertitudes sur la croissance à moyen et long terme. Les indicateurs de productivité, un facteur essentiel pour l'amélioration des conditions de vie et de bien-être, ne sont pas très bons en Chine, ce qui pose la question de son modèle de croissance à moyen terme. Depuis plusieurs années, les autorités essaient de faire pivoter ce modèle, basé sur les exportations et un appareil de production structuré pour fournir l'économie mondiale, vers une demande reposant davantage sur la demande domestique. Mais elles n'y arrivent pas vraiment. Elles ont essayé de le faire en stimulant le crédit, notamment dans le secteur immobilier, mais ce choix a atteint ses limites comme le montre le surendettement persistant.

Nos prévisions reflètent cette question du modèle. Pour 2024, nous prévoyons une croissance de 4,5 %, après un effet de rebond à 5,2% en 2023, car nous anticipons une stabilisation, d'autant qu'il y a des facteurs structurels qui vont peser comme le vieillissement de la population. Pour la Chine, 4,5% de croissance, c'est faible par rapport à sa moyenne sur les 20 dernières années.

Vos prévisions de croissance pour la Russie avec 0,3% cette année et  2,1% en 2024 paraissent optimistes. Les sanctions occidentales notamment sur les hydrocarbures ne vont-elles pas avoir un impact dommageable sur son économie?

Nous avons en effet ajusté nos prévisions pour 2023 qui tablent sur une légère croissance. Mais si on regarde la trajectoire économique de la Russie en 2023 et en 2024 par rapport à celle d'avant-guerre, on constate que l'écart qui s'est créé va se creuser, contrairement à d'autres pays dont on anticipe que même s'ils connaissent une récession rattraperons leur retard. Cette différence est en partie liée aux effets des sanctions. En 2022, l'économie russe a pu s'adapter à ces sanctions qui portaient essentiellement sur ses importations parce qu'elle a continué à générer des revenus grâce à ses exportations de pétrole et de gaz, qui sont restées à un niveau élevé. Elle a également bénéficié d'une relance budgétaire importante, liée au financement de la guerre en Ukraine. La combinaison de ces deux facteurs a soutenu l'activité économique.

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En revanche, en 2023 et dans les années qui suivront, le potentiel des sanctions avec l'embargo européen sur les exportations de brut depuis décembre et des produits raffinés depuis ce mois-ci est plus élevé. La Russie peut-elle les vendre ailleurs? Pour l'instant, l'impact sur les ventes de brut n'est pas très fort, la Chine, l'Inde et d'autres pays s'étant substitués aux pays européens. Le prix du brut russe se situant en dessous du plafond fixé par les pays du G7, cette contrainte n'a pas trop d'effet. Mais comment vont évoluer les marchés de l'énergie où règnent beaucoup d'incertitudes ? Les exportations russes pourraient être affectées, et freiner la croissance russe cette année ou dans les années à venir.

Pierre Olivier Gourinchas FMI

Le chef économiste du FMI Pierre Olivier Gourinchas lors de la présentation des dernières prévisions macroéconomiques fin janvier à Singapour. Crédits : FMI

Les Etats restent confrontés  à une inflation structurelle qui devrait persister en 2023 (8,8% en 2022 et 6,6% en 2023) et à des endettements à des niveaux élevés. De quelles marges de manœuvre budgétaires peuvent-ils disposer ?

Les marges de manœuvre budgétaires des Etats ne vont pas augmenter. Mécaniquement, l'inflation en 2022 a fait baisser les encours de dette par rapport à la taille de l'économie. De l'autre côté, le service de la dette va augmenter avec la remontée des taux d'intérêt. Enfin, à moyen terme, les Etats vont devoir reconstruire les coussins budgétaires dont ils pourraient avoir besoin pour faire face à des chocs de grande ampleur.

La hausse des taux directeurs risque-t-elle de peser sur les finances publiques ?

Cette remontée des taux d'intérêt vient peser sur les finances publiques. Mais il faut rappeler que les taux avaient atteint des niveaux historiquement bas. Lors des vingt dernières années,  la charge de la dette dans les pays de la zone euro a baissé, même si les niveaux d'endettement ont augmenté. Elle devrait maintenant augmenter un peu. Dorénavant, les contraintes budgétaires vont mordre un peu plus fort.

Pendant la pandémie, les pays qui avaient des marges de manœuvre budgétaires plus importantes ont pu mettre en place plus de mesures de soutien pour protéger leurs populations et les entreprises. Les pays émergents ont dépensé en moyenne 5% de leur produit intérieur brut. Les pays développés ont dépensé en moyenne entre 10% et 15% de leur PIB. Le niveau de protection est lié à cette capacité budgétaire.

Quelles sont vos préconisations en matière de politique budgétaire ?

Il ne faut pas mettre en place des programmes d'austérité. Mais les Etats doivent avoir une vision à moyen terme pour reconstruire ces marges de manœuvre afin de faire face à un environnement très incertain. La transition climatique va nécessiter des marges de manœuvre budgétaires. Il est possible d'aider les populations les plus vulnérables et d'aider les entreprises les plus menacées dans les secteurs clés. Mais les Etats peuvent essayer de le faire avec une neutralité budgétaire.

Ils peuvent déployer des mesures budgétaires tout en s'assurant qu'elles soient financées par ailleurs. Dans le contexte de la crise énergétique, les mesures ont été relativement généreuses. Elles ont protégé de manière très large et avec un coût budgétaire qui n'est pas négligeable. Ces mesures sont coûteuses alors que la crise énergétique risque d'être là pendant encore un long moment. Attention à ne pas trop entamer ces marges de manœuvre.

En matière de politique monétaire, la Fed n'a augmenté ses taux que de 0,25 point  de base lors de sa dernière réunion, et la BCE de 0,50 point. Y voyez-vous le signe d'une prochaine pause dans le resserrement monétaire, comme ont l'air de le penser les marchés financiers?

Les marchés sont encore plus optimistes que nous, et visiblement ils ont envie de crier victoire et pensent que l'on peut arrêter d'augmenter les taux. Or, je le répète, la bataille contre l'inflation n'est pas encore gagnée. Il y a de bonnes nouvelles, mais les taux sont quand même à 5 % hors énergie et alimentation. On est très loin de la cible des 2 %. Certains pays, notamment les Etats-Unis, sont sur la voie de la désinflation, mais en Europe, ce n'est pas le cas.

Il est donc important que les banques centrales gardent le cap, tant que cette désinflation n'est pas établie durablement, les chiffres pouvant varier d'un mois à l'autre. Les marchés du travail sont très tendus, même si, pour le moment, le risque d'une boucle inflation/hausse des salaires ne s'est pas matérialisé. Il y a certes des augmentations de salaires nominaux mais elles restent en deçà des hausses de prix. Pour l'instant, ce sont plutôt des pertes de salaire réel. Néanmoins, il est trop tôt pour déclarer victoire. En fait, en devenant trop optimistes, les marchés financiers jouent contre leur propre intérêt parce que si les conditions financières se relâchent, cela stimulera l'activité économique, ce qui obligera les banques centrales à durcir à nouveau leur politique monétaire.

Comment analysez-vous le paradoxe d'un contexte économique inflationniste et potentiellement récessionniste avec des taux de chômage des deux côtés de l'Atlantique qui restent à des niveaux historiquement bas. Les grilles de lecture des économistes ne semblent plus fonctionner. Qu'en pensez-vous au FMI?

On observe évidemment de près cet aspect. Pour l'instant, le scénario est à peu près conforme à ce que nous anticipions il y a quelques mois. Il faut tenir compte du délai entre la mise en place d'un resserrement monétaire et son impact sur l'activité et sur les prix. Le pic d'inflation, je le répète, est lié à la baisse des prix de l'énergie et de l'alimentation, donc de facteurs assez globaux. Grâce aux températures hivernales plus clémentes en Europe, le prix du gaz a baissé. Et le ralentissement de l'économie mondiale réduit la demande d'énergie, notamment du pétrole, ce qui fait baisser son prix.

Ensuite, le ralentissement économique induit par la hausse des taux des banques centrales va prendre un peu plus de temps. On commence à le voir dans les secteurs sensibles aux taux d'intérêt comme l'immobilier ou dans des secteurs intensifs en capital, où les apports d'argent deviennent plus coûteux. On le constate aussi en matière de prêts des banques, l'accès au crédit devenant de plus en plus difficile pour les entreprises et les ménages. Tout cela est anticipé.

En revanche, sur le marché du travail, cela ne se manifeste pas encore. Mais il faut rappeler qu'on sort d'une période exceptionnelle du point de vue de l'emploi. Avec la pandémie, plusieurs pays ont connu des pics de chômage re-absorbés ensuite par le marché du travail, avec même des pénuries dans certains secteurs. Donc, la situation des marchés du travail sort plutôt de la norme habituelle.

Reste à savoir si l'on va assister dans les prochains mois à un ralentissement progressif sur le marché du travail dans le sillage de celui de la croissance économique. S'il ne se produit pas, cela pourrait signifier que les pressions inflationnistes vont perdurer, ce qui compliquera à nouveau la tâche des banques centrales. Donc je ne pense pas que l'on puisse dire que les modèles ou les paradigmes économiques ne marchent plus. Si l'on prend en compte les spécificités de la conjoncture actuelle, on a en réalité une certaine visibilité.

Actuellement, en France, se déroulent des manifestations et des grèves contre le projet de réformes des retraites du gouvernement, le FMI a pris position en faveur du projet qu'il a justifié par la nécessité pour la France de maîtriser ses dépenses publiques. Quel regard portez-vous sur cette réforme ?

Le projet discuté actuellement au Parlement est du ressort des autorités nationales. En France, certaines réformes structurelles pourraient soutenir l'économie. Le taux d'emploi des seniors y est relativement faible dans un contexte d'allongement de l'espérance de vie et de la qualité de vie. On vit plus longtemps et on vit mieux. La question d'une augmentation du taux d'emploi paraît légitime. Elle viendra augmenter la croissance potentielle de l'économie. De ce point de vue, c'est un débat qui mérite d'avoir lieu.

Propos recueillis par Grégoire Normand et Robert Jules

Commentaires 7
à écrit le 15/02/2023 à 17:24
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Trop tard le programme d'austérité a été voté à la présidentielle de mai 2022 et pour 5 ans !

à écrit le 14/02/2023 à 10:14
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"stagnation des salaires", qui a rédigé ça??? quand on augmente les salaires moins vite que l'inflation, ce n'est pas une stagnation, mais une baisse. Surtout que cela fait plusieurs années que cela se produit.

le 14/02/2023 à 15:55
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Les français sont progressivement transformés en mendiants : Il faut demander son chèque énergie, son chèque carburant, ses autres aides diverses et variées. Et bien entendu, les entraves administratives pour faire valoir ses droits sont proportionné...

à écrit le 14/02/2023 à 8:19
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Tous ces compétents sont capables de dire le lendemain le contraire ce qu'ils ont dit la veille. Toutes les données du FMI sont des lectures dans une boule de cristal. Voir notre ex patronne du FMI devenue la boss de la BCE qui nous raconte dans âner...

à écrit le 13/02/2023 à 14:56
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Le titre est ahurissant !!! Tous les états tournent avec 5% de déficit et lui te parle d'austérité ( 4% de deficit c'est de l'austérité)..mais oui au contraire il faut financer le budget courant avec de la bonne dette payee par personne par les enfan...

à écrit le 13/02/2023 à 11:05
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"endettés par les mesures de soutien durant la pandémie du Covid-19" : Fallait pas s'endetter pendant l'épidémie de Covid-19, c'est tout. Rien ne le justifiait

à écrit le 13/02/2023 à 9:55
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Les conseillers ne sont pas les payeurs, on remarquera qu’ils sont rarement au pouvoir un peu comme les syndicalistes, ils donnent bcp de bons conseils mais aucun ne veut se mouiller.

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