Les effets des vagues d'épidémie se prolongent. Plus d'un an après la fermeture des frontières en Europe, la France doit affronter une troisième vague à la veille d'un printemps incertain. Le gouvernement qui planche actuellement sur plusieurs scénarios pour l'Île-de-France devrait faire des annonces dans les prochains heures. En attendant, les économistes Jean Pisani-Ferry et Olivier Blanchard ont rendu publique ce mercredi 17 mars dans une note éclairante de Terra Nova sur les conséquences délétères d'une pandémie durable sur l'économie. En parallèle, les économistes du Trésor montrent dans une étude dévoilée la veille que les coûts économiques des épidémies augmenteraient en fonction de leur sévérité sanitaire.
L'approche des économistes a beaucoup changé en un an. Au printemps 2020, beaucoup d'entre eux et plusieurs membres du gouvernement comme le ministre de l'Economie Bruno Le Maire travaillaient sur un choc ponctuel avec la mise en oeuvre de mesures d'urgence. Lors des conférences de presse, le locataire de Bercy envisageait une paralysie étendue sur quelques semaines et un retour rapide de la croissance. Après une année cataclysmique, l'horizon est toujours entaché d'incertitudes même si l'avancement de la campagne de vaccination apporte des lueurs d'espoir. Le gouvernement actuellement empêtré dans une crise sanitaire à rallonge doit jongler entre les impératifs de vaccination face à la montée des variants dans les chaînes de contamination et des secteurs qui s'enfoncent toujours plus dans la crise. A l'échelle européenne, plusieurs grands pays ont à nouveau durci leurs mesures prophylactiques. S'il est encore difficile à ce stade de mesurer l'ampleur et l'étendue des dégâts, ces différents travaux rappellent que ces épidémies peuvent avoir des conséquences désastreuses pendant plusieurs années si les Etats n'arrivent pas à les contenir précocement.
Un impact économique moindre si des mesures d'endiguement sont prises au plus tôt
La propagation du virus sur l'ensemble de la planète a fait trembler toute l'économie mondiale. En seulement quelques semaines, beaucoup de pays ont fermé leurs frontières et ont mis sous cloche leur économie. Ces décisions ont provoqué un effondrement économique rapide et brutal dans la plupart des Etats qui ont mis en oeuvre des restrictions strictes. L'un des enseignements importants des travaux du Trésor est que le moment de la décision est essentiel pour à la fois limiter le nombre de victimes de cette maladie infectieuse et l'impact macroéconomique d'un tel virus.
« Plus tôt des restrictions strictes sont mises en place, plus elles sont efficaces pour endiguer l'épidémie entraînant ainsi des coûts économiques moindres, en partie parce que la mise en place plus précoce de restrictions permet de réduire leur durée » expliquent les auteurs.
En Europe, certains pays comme la France ont dû mettre en oeuvre un confinement très strict au printemps 2020 en l'absence de masques, de gel, de respirateurs suffisants et de stratégie de traçage et de dépistage. En outre, cette décision prise plus tardivement que dans les pays asiatiques n'a pas permis d'éviter un bilan humain dramatique. Le graphique de la direction générale du Trésor montre une vraie ligne de fracture entre certains pays européens (Italie, Grande-Bretagne, France) et quelques Etats asiatiques (Chine, Corée du Sud et Japon).
Lire aussi : "Les pays avec le plus de pertes humaines sont ceux qui ont le plus de pertes économiques"
Pandémies : des effets à court et long terme
Les économistes de Bercy ont tenté d'étudier les différents canaux de transmission des chocs sur l'économie. Sur les répercussions à court terme, ils soulignent la perte rapide d'offre de travail liée au taux élevé d'infection des populations en âge de travailler et les répercussions d'une létalité élevée sur les personnes présentant des comorbidités importantes. En effet, ces maladies peuvent fortement accentuer le manque de main d'oeuvre disponible en raison notamment des hospitalisations ou de la multiplication des cas contacts et des obligations d'isolement pour limiter la propagation du virus. Ces effets ont particulièrement été visibles lors de la grippe espagnole de 1918 ou lors des épisodes plus récents de paludisme. Il y a un siècle, la grippe hispanique, qui avait fait plus de 40 millions de morts, avait frappé de plein fouet les 20-40 ans en âge de travailler.
Des chocs de comportement peuvent également affecter la consommation à court terme. En effet, les individus peuvent limiter les déplacements et les achats dans des commerces physiques par exemple par peur d'être contaminés. La pandémie de Covid-19 a entraîné une hausse de l'épargne contrainte en France évaluée à environ 200 milliards d'euros par la Banque de France. Toujours du côté de la demande, les entreprises peuvent réduire ou reporter leur décision d'investissement en raison des incertitudes. « De nombreuses entreprises ont été durement touchées. Avec des bénéfices en baisse et une incertitude toujours omniprésente, elles risquent d'être réticentes à investir et de continuer à accumuler des liquidités au cas où les temps redeviendraient difficiles. Cette situation serait préjudiciable à la fois à la production potentielle et à la demande globale » signalent Blanchard et Pisani-Ferry.
Parmi les répercussions à plus long terme, les chercheurs mettent en avant la réduction du capital humain (perte de compétences), la baisse de la productivité de l'éducation, du développement ou des retards dans le progrès technique. « L'incertitude persistante, l'excès d'épargne et le déficit de demande à court terme peuvent conjointement conduire à de l'hystérèse sur le marché du travail, avec une hausse persistante du chômage, en particulier chez les jeunes, entraînant des effets socio-économiques négatifs à plus long terme » ajoutent les auteurs.
Un effet d'apprentissage
La mise en oeuvre d'un confinement strict et long au printemps et ses effets ont permis aux économistes de tirer quelques leçons. Jean Pisani-Ferry et Olivier Blanchard rappellent que si un nouveau confinement devait avoir lieu, il serait sans doute moins coûteux que le premier. « Il y a eu un apprentissage : les pénuries de masques et d'équipements de protection ont largement disparu, les sites de production ont été restructurés pour limiter la contamination, le travail à domicile est mieux organisé, et les ventes au détail à emporter (par « clique et collecte ») se sont développées. Les pouvoirs publics ont une meilleure idée, bien qu'encore étonnamment limitée, des canaux spécifiques de transmission de l'épidémie entre les différents groupes de population et peuvent procéder à davantage de fermetures ciblées » expliquent les deux enseignants.
La vaccination, un remède essentiel au désastre
La rapidité de la recherche sur les vaccins et les résultats engagés par les Etats et les industries pharmaceutiques a été saluée par beaucoup d'observateurs rappelant régulièrement qu'une telle technologie pouvait auparavant mettre une ou plusieurs décennies à pouvoir être commercialisée. Il reste que la course aux vaccins a mis en exergue de nombreuses difficultés de taille. D'abord, la campagne de vaccination en Europe a montré le manque de coordination entre Etats sur le plan sanitaire même si la santé n'est pas une des compétences des instances communautaires. Cette course effrénée aux vaccins a donné lieu au retour d'un « nationalisme sanitaire ». L'Union européenne a par exemple accusé les Etats-Unis et le Royaume-Uni de bloquer les exportations de certains vaccins. Ce qu'a démenti le gouvernement britannique.
A cela s'ajoutent les divergences entre les pays riches et les pays les plus pauvres de la planète qui risquent d'accuser un sérieux retard dans leur campagne de vaccination. « L'émergence périodique de nouveaux variants potentiellement dangereux restera une menace sérieuse tant que certaines parties du monde n'auront pas eu accès à des vaccins efficaces » rappelaient les économistes Jean Pisani Ferry et Olivier Blanchard dans leurs travaux.