Le FMI alerte sur l'explosion des inégalités

Par Grégoire Normand  |   |  1295  mots
"Si certaines inégalités sont inéluctables dans un système économique fondé sur le jeu du marché, des inégalités trop fortes peuvent fragiliser la cohésion sociale, créer des clivages politiques et, à terme, freiner la croissance économique" rappelle le FMI.
Lors d'une rencontre organisée le 2 février 2018 dans les locaux de France Stratégie, l'économiste du FMI Delphine Prady est venue dresser un constat alarmant sur l'évolution des inégalités dans le monde.

Les inégalités inquiètent les économistes du Fonds monétaire international (FMI). Lors d'une présentation du rapport intitulé "Fiscal monitor : tackling inequality" dans les nouveaux locaux de France Stratégie vendredi dernier, l'économiste Delphine Prady est revenue en détail sur l'évolution des inégalités dans le monde rappelant que leur creusement pouvait freiner la croissance économique. Ces inégalités se sont accompagnées "d'une plus forte concentration des richesses dans le top des revenus".

À l'heure où un collectif de vingt-quatre responsables d'ONG et d'économistes lance un appel ce lundi à Emmanuel Macron, au gouvernement et aux parlementaires pour qu'ils adoptent une loi contre les inégalités, au service de l'intérêt général, les moyens de lutter contre ces écarts de revenus sont plus que jamais d'actualité. 

Un accroissement des inégalités entre les pays

L'ancienne conseillère de François Hollande à l'Élysée a tenté de dresser un tableau nuancé de la situation. Elle a expliqué en préambule que si les inégalités mondiales, sans tenir compte des frontières nationales, ont tendance à baisser, elles se creusent dans la plupart des pays là où il existe des données robustes (94 pays pris en compte). Cette réduction au niveau global peut s'expliquer par un effet de rattrapage de grands pays émergents comme la Chine ou l'Inde. Mais l'experte souligne que les pays développés sont loin d'être épargnés par ce phénomène comme le soulignait il y a quelques mois l'OCDE. Au final, l'économiste explique que "le bilan est plutôt négatif".

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Le rôle des politiques de redistribution

Pour mieux appréhender l'évolution de ces inégalités, Delphine Prady a tenu à souligner le rôle essentiel des politiques publiques comme l'illustre le document de l'institution basée à Washington.

"Les écarts d'inégalités entre les groupes économiques et dans le temps sont en grande partie imputables aux différences de politiques budgétaires de redistribution".

Dans la plupart des pays développés, les politiques de redistribution via la fiscalité et les transferts sociaux peuvent diminuer les inégalités de revenu d'un tiers en moyenne, "les trois quarts de cette réduction provenant des transferts". Les innovations technologiques qui favorisent souvent les plus qualifiés peuvent être un facteur prépondérant ajoute Gaël Giraud, chef économiste à l'agence française de développement (AFD) également présent lors de la présentation.

Dans les économies émergentes ou à faible revenu, la redistribution budgétaire est nettement plus limitée en raison d'une économie informelle plus présente et une structure administrative parfois absente pour lever l'impôt. Par ailleurs, la spécialiste signale que "la progressivité de l'impôt est en baisse parce qu'il y a une baisse des taux marginaux sur les revenus supérieurs". Mais ce n'est pas le seul indicateur à prendre compte, "on a constaté dans le même temps, une baisse de l'impôt sur les sociétés". Pour M.Giraud, "le rôle de la redistribution fiscale s'est affaibli".

Par ailleurs, si certaines voix expliquent que la progressivité de l'impôt pourrait constituer une entrave à la croissance économique, Delphine Prady répond que "la recherche conduite au sein du Fonds montre qu'il n'y pas de lien entre un impôt plus progressif et une moindre croissance".

Relever les taux marginaux sur les hauts revenus

Parmi les propositions exprimées par les équipes de l'organisation internationale figure entre autres une hausse des taux marginaux sur les hauts revenus.

"Les pays développés dont l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) est relativement peu progressif ont peut-être la possibilité de relever les taux marginaux d'imposition supérieurs sans entraver la croissance économique. Différents types d'impôts sur la fortune peuvent aussi être envisagés."

Une suggestion qui va à l'encontre de l'actuelle politique fiscale d'Emmanuel Macron. En effet, les économistes de l'Observatoire des conjonctures économiques (OFCE) ont indiqué dans une récente étude que les mesures fiscales et budgétaires décidées par l'exécutif devraient "être en 2018 largement au bénéfice des 2% de ménages du haut de la distribution des revenus qui sont ceux qui détiennent l'essentiel du capital mobilier".

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 Les chercheurs déplorent également le manque à gagner que représentent l'évasion fiscale et la fraude pour les finances publiques. "De nombreux pays devraient s'attacher à réduire les possibilités de fraude et d'évasion fiscales." Ils recommandent également de recourir à une fiscalité plus importante sur le capital.

"Les revenus du capital sont répartis de manière plus inégale que ceux du travail. Leur part dans le total des revenus a augmenté au cours des dernières décennies. Ils sont souvent taxés à un taux plus bas (et en recul) que les revenus du travail. Une taxation suffisante des revenus du capital s'impose pour protéger la progressivité globale du système de l'impôt sur le revenu,"

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Le revenu universel en débat

Face à la menace des inégalités, les économistes de l'institution internationale ont également mené des réflexions sur le revenu universel de base non sans difficulté.

"Il y a beaucoup de débats au FMI, nourris par un manque de cadrage conceptuel" rappelle Delphine Prady.

Elle a ainsi évoqué quelques arguments des partisans et opposants de ce dispositif.

"Les avocats du revenu universel indiquent que c'est un meilleur outil que les transferts sociaux mis en place".

Elle évoque ainsi le cas des taux de non-recours parfois élevés de dispositifs d'aide. A cet égard, "l'expérimentation du RSA est en partie un échec" ajoute M.Giraud. L'argument de la dignité est également un facteur moins évoqué, mais que l'on doit prendre en compte pour comprendre ce faible recours selon l'économiste. Les partisans du revenu universel font également valoir que face à l'automatisation du travail et la perte de revenus qui en découle, le revenu de base pourrait être un instrument efficace pour lutter contre la paupérisation des actifs.

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Pour les opposants, le coût élevé du revenu universel pourrait remettre en cause la faisabilité du projet. "Les adversaires du revenu universel jugent aussi problématique la déconnexion du revenu et de l'activité". Enfin, cet outil pourrait représenter une désincitation au travail selon les contempteurs du projet.

Des efforts sur les politiques de santé et d'éducation

Les autres leviers mis en avant par le FMI concernent les investissements dans l'éducation et la santé qui peuvent contribuer à baisser les inégalités de revenus à moyen terme.

"Pour autant, les services d'éducation et de santé de nombreux pays présentent encore de grosses lacunes".

L'étude du FMI souligne que des écarts de scolarisation considérables subsistent entre les différentes catégories socioprofessionnelles dans la plupart des pays en développement.

Au niveau de la santé, le constat est également accablant. Dans les pays développés, des écarts significatifs d'espérance de vie apparaissent entre ceux qui font des études supérieures et ceux qui ont fait des études secondaires ou inférieures. Gaël Giraud explique à ce sujet que 'les sociétés inégalitaires sont des sociétés où tout le monde est malade". Face à ce constat, les chantiers pour réduire les inégalités paraissent immenses.