Le recours à la torture de plus en plus toléré

Une vaste enquête menée par la Croix rouge internationale (CRI) dans 16 pays indique qu'au cours des 20 dernières années l'opinion publique a basculé sur la question de la torture. 36 % des interrogés pensent que la torture devrait être autorisée dans certaine situations contre 28% en 1999.
Grégoire Normand
La CRI a noté que si les deux tiers des personnes interrogées désapprouvent la torture en 1999, la part des sondés favorables à l'usage de cette pratique pour obtenir des renseignements "a beaucoup augmenté depuis 1999".

Les conclusions de la Croix rouge relatives à la torture sont peu réjouissantes. Alors que le recours à ce type de pratique fait régulièrement débat dans l'opinion publique, l'organisation humanitaire a réalisé une enquête intitulée "Les voix de la guerre" dans des pays en conflit et dans les cinq pays membres du conseil de sécurité à l'ONU (plus la Suisse). Ce travail réalisé auprès de 17.000 personnes révèle des résultats alarmants.

Des citoyens de plus en plus favorables à la torture

La CRI a noté que si les deux tiers des personnes interrogées désapprouvent la torture en 1999, la part des sondés favorables à l'usage de cette pratique pour obtenir des renseignements "a beaucoup augmenté depuis 1999". En 2016, ils ne sont plus que 48% à la désapprouver contre 66% en 1999. Sur cette dernière année, les répondants étaient 28% à affirmer "qu'un combattant ennemi capturé pouvait subir des tortures pour obtenir des informations militaires importantes" contre 36% en 2016.  En parallèle, le pourcentage de réponses "Ne sait pas/Préfère ne pas répondre" a également connu une hausse importante passant de 6 à 16% entre les deux années.

Evidemment, ces chiffres masquent des disparités selon les pays (voir graphique ci-dessous). Au Nigéria et en Israël, les répondants ont indiqué en majorité que les combattants ennemis capturés pouvaient subir des tortures pour obtenir des informations militaires importantes. Le record revient au Nigéria où 70% des sondés ont répondu de manière favorable à cette pratique. Aux Etats-Unis, ils étaient 46% à être favorables. Pour la France, les interrogés ont répondu à 71% qu'ils étaient défavorables contre 26% de favorables.

Interrogé par RFI, Frédéric Joly, porte-parole du CRI en France souligne que "depuis une vingtaine d'années, les opinions publiques considèrent que la torture peut être dans certains cas acceptable. Alors, évidemment, au regard du droit international humanitaire, c'est inacceptable".

Une torture souvent inefficace

Les auteurs de l'étude rappellent que la torture est interdite par la Convention des Nations-Unies contre la torture ratifiée par 159 pays. Pourtant, elle continue à faire largement débat dans l'opinion publique. Donald Trump a tenu à plusieurs reprises des propos ambigus sur le recours à la torture. De son côté, Marine Le Pen s'était exprimée sur la torture fin 2014 au moment de la publication d'un rapport du Sénat américain faisant état des pratiques de la CIA sur des suspects du terrorisme. L'élue avait déclaré :

"Il peut y avoir des cas, permettez-moi de vous dire, quand une bombe - tictac tictac tictac - doit exploser dans une heure ou deux et accessoirement peut faire 200 ou 300 victimes civiles, où il est utile de faire parler la personne". "Même sous la torture ?", relance le journaliste Jean-Jacques Bourdin. "Avec les moyens qu'on peut."

 Après cet entretien, elle avait proposé un démenti sur Twitter dénonçant une "interprétation malveillante" de ces propos.

Le directeur de l'Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire (IRSEM) Jean-Baptiste Jeangène Vilmer était revenu sur les propos de Mme Le Pen dans une tribune publiée dans Le Monde parlant de "l'irréaliste scénario de la bombe à retardement". Tout en rejetant l'argument de la présidente du FN, l'universitaire rappelle ce qui est indiqué dans une des conclusions du rapport américain précité. Ce document affirmait que la torture utilisée par la CIA n'était  "pas un moyen efficace d'obtenir des informations ou la coopération des détenus."  Mr Jeangène Vilmer poursuit en déclarant que :

"Pour conforter son image de réaliste au parler franc, elle (ndlr : Marine Le Pen) caricature les opposants à la torture comme des idéalistes naïfs, qui vont sur un plateau de télévision pour dire : "hou la la ! C'est mal", des déontologistes ayant des principes inapplicables au monde réel. Il faut lui rappeler, à elle et à ceux sensibles à cet argument fallacieux, qu'il y a une raison réaliste et conséquentialiste de s'opposer à la torture : elle est contre­productive".

Effet pervers

Pour le chercheur, la torture aurait même un effet "pervers" qui consiste "à encourager les actes terroristes en entretenant la haine de l'Amé­rique." Il rejoint ainsi les propos de Pierre Motin président de l'ONG Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Acat) qui lutte contre la torture et la peine de mort et fait référence au rapport américain au micro de RFI :

"Un rapport du Sénat américain sur la torture exercée par la CIA après le 11-Septembre montrait que les renseignements obtenus sous la torture étaient soit totalement faux - car quand on est torturé, on dit n'importe quoi pour que la torture s'arrête - soit étaient des renseignements qui avaient déjà été récoltés et recoupés depuis bien longtemps, sans avoir recours à la torture. Donc c'est un mythe."

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Méthode : le CICR a mandaté WIN/Gallup International pour réaliser un sondage d'opinion auprès de la population de 16 pays sur une série de thèmes liés aux lois de la guerre. Entre les mois de juin et septembre, les partenaires locaux de WIN/Gallup International ont posé une vingtaine de questions aux personnes sondées vivant dans des pays touchés par un conflit armé ainsi que dans les pays membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU et en Suisse.

Grégoire Normand
Commentaires 2
à écrit le 09/08/2021 à 9:00
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100% des yéménites sont contre la torture ? On peut se poser des questions sur ce sondage.

à écrit le 06/12/2016 à 15:18
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""Il peut y avoir des cas, permettez-moi de vous dire, quand une bombe - tictac tictac tictac - doit exploser dans une heure ou deux et accessoirement peut faire 200 ou 300 victimes civiles, où il est utile de faire parler la personne". "Même sous la...

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